Le dépôt d’or de Guînes

Le dépôt d’or de Guînes

Auteur

Dimensions

Provenance

Guînes, le marais de Guînes, Pas-de-Calais

Technique

Orfèvrerie

Matériaux

Or (métal)

Datation

Vers 1200-1000 av. J.-C., âge du bronze moyen et final

Lieu de conservation

France, Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale

Comment travaillaient les orfèvres de l'âge du bronze ?

La découverte des bijoux d'or exhumés à Guînes (Pas-de-Calais) [ image principale ] est liée à une pratique caractéristique de l'âge du bronze : les dépôts, c'est-à-dire l'abandon volontaire d'objets métalliques de valeur, parfois tous en or. Retrouvées à l'écart de toute structure domestique ou funéraire, les cinq parures de Guînes constituent sans doute un dépôt votif, une offrande faite à un esprit ou à une divinité. Comme le site n'a livré ni céramique ni objet de bronze, il est impossible de dater précisément les œuvres. Ce sont donc leurs formes et leurs décors qui permettent de les situer entre le bronze moyen et le bronze final, vers 1200-1000 av. J.-C.

Une découverte rocambolesque

En 1985, à l'occasion de travaux de terrassement dans le marais de Guînes, une famille trouve cinq « morceaux de ferraille » d'une vague couleur cuivrée dans de la terre de remblais apportée des environs. Trois sont abandonnés aux jeux des enfants, deux accrochés dans un débarras. Quatorze ans plus tard, en juin 1999, une expertise révèle qu'il s'agit d'objets en or. Un antiquaire se porte acquéreur de trois d'entre eux, en contrepartie d'une somme modique qui pouvait paraître avantageuse à cette famille modeste.

Quelques mois plus tard, à Balinghem, à environ cinq kilomètres de Guînes, une autre famille découvre à son tour six objets d'or massif : quatre bracelets et deux torques lisses sans décor [ image 01 ] . Après présentation des objets au musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, le trésor entre dans les collections nationales. La découverte fait la une des journaux locaux. Alertés, les vendeurs de Guînes apportent au musée, qui les achète aussitôt, les deux pièces encore en leur possession. Mais ils saisissent aussi la justice – avec succès – pour récupérer les trois bijoux sous-estimés par l'antiquaire. Ainsi le trésor de Guînes, composé d'une « ceinture », d'un bracelet et de trois torques, tous en or massif de bon aloi, a-t-il pu être réuni au musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.

Une accumulation de richesses

La « ceinture » ou plutôt la triple torsade [ détail b ] est l'objet le plus exceptionnel par ses dimensions, son poids considérable (plus de 2,5 kg d'or) et la qualité de son exécution. Le travail du métal en torsade est caractéristique de l'âge du bronze moyen et final [ image 02 ] . Cela permet de situer chronologiquement la « ceinture » de Guînes et l'ensemble du dépôt. Le mot « ceinture » qui sert à désigner ce bijou n'est pas approprié. Sa forme fermée et ses dimensions semblent incompatibles avec un port autour de la taille. Son usage n'est pas assuré.

Des trois torques de Guînes en forme d'anneaux ouverts, l'un se distingue aussi par son poids (794 g) et sa facture d'aspect très moderne [ détail c ] . Sa partie supérieure est ornée de délicats sillons obliques dont l'orientation s'inverse aux extrémités, formant une composition particulièrement harmonieuse et épurée.

Les deux autres colliers présentent, avec quelques variantes sur leur face supérieure, un décor de stries plus ou moins profondes disposées en arêtes de poisson [ détail d ] .

Quant au bracelet non orné [ détail e ], il est d'un type caractéristique de l'âge du bronze. Une vingtaine d'exemples en sont connus, dont les bracelets du dépôt de Balinghem [ image 01 ] .

Haute technicité des orfèvres de l'âge du bronze

Pour fabriquer ces bijoux, les orfèvres recouraient à des techniques complexes et variées. Les torques et le bracelet sont fabriqués par déformation plastique à partir d'un lingot d'or coulé en forme de tige. La forme est obtenue par martelage en travaillant au feu, pour que le métal reste malléable et évite de casser. Le travail de la tige achevé, le décor s'effectue en revanche à froid. Les sillons plus ou moins profonds qui constituent les motifs géométriques du décor sont réalisés à l'aide de poinçons à tracer et de ciselets, outils qui pouvaient être en bronze, en pierre, en os, en corne ou en bois. La maîtrise de ces techniques d'orfèvrerie est manifeste dans la grande et lourde « ceinture », parure la plus élaborée du trésor et qui n'a pas d'équivalent connu. Elle est composée de nombreux éléments fabriqués séparément puis savamment assemblés. Le corps du bijou réunit trois tiges torsadées de section cruciforme et ployées en anneaux fermés par soudure. Deux embouts coniques sont fixés sur la tige centrale. Ils sont formés de plusieurs tiges massives ou creuses, obtenues cette fois à la cire perdue. Ces terminaisons sont fermées par deux disques à décor concentrique. En résumé, pour réaliser ce bijou composite étonnant, on a utilisé la déformation plastique, le rivetage, le sertissage, la fonte à la cire perdue et même la soudure, qui apparaît au bronze final.

Le contexte de cette production somptuaire

La société de l'âge du bronze s'est hiérarchisée avec l'apparition de la métallurgie, source de richesse mais aussi de rivalités entre les puissants aristocrates qui contrôlent le commerce des minerais. Cette lutte pour la suprématie sociale et économique a certainement engendré la production de ces lourdes parures. Ces grandes quantités d'or ont une origine encore inconnue, mais elles proviennent sans doute des rivières de la côte atlantique, des îles Britanniques à l'Espagne, particulièrement riches en or à cette époque. C'est également par cette côte que passait l'une des principales routes de l'étain, matière première rare nécessaire à la fabrication du bronze et dont la production majeure était localisée en Cornouailles, dans le sud-ouest de l'Angleterre, et en Bretagne.

Les ors de Guînes et de Balinghem appartiennent à cette même sphère culturelle atlantique où de nombreux trésors ont été découverts, mais aussi, hélas, souvent refondus pour leur valeur marchande.

Christine Vève

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-depot-dor-de-guines

Publié le 22/09/2022

Ressources

Dossier pédagogique réalisé à l’occasion de l’exposition La Normandie à l’aube de l’histoire, au musée départemental des antiquités de Rouen en 2005-2006

https://www.academia.edu/1475054/La_Normandie_%C3%A0_l_aube_de_l_histoire_les_d%C3%A9couvertes_arch%C3%A9ologiques_de_l_%C3%A2ge_du_Bronze_2300-800_av._JC

Fiche pédagogique « Naissance de la métallurgie », par Catherine Loubontin, du musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye

https://musee-archeologienationale.fr/sites/musee-archeologienationale.fr/files/fpmetallurgie.pdf

Petite histoire des ors préhistoriques, par Christiane Eluère

http://www.orpaillage.fr/histoire/prehistoire.html

Un article « Les premières aristocraties. Pouvoir et métal à l’âge du bronze » par Christian Kristiansen

http://www.academia.edu/294254/Les_premieres_aristocraties_Pouvoir_et_metal_a_lage_du_bronze

Glossaire

Âge du bronze : Lorsque, à des dates variables selon l’aire géographique, les sociétés préhistoriques en viennent à maîtriser la métallurgie, s’ouvre pour elles l’âge des métaux, lui-même subdivisé en périodes qui correspondent chacune à une étape importante dans la fabrication du métal : d’abord le cuivre, puis le bronze et le fer. La deuxième d’entre elles, l’âge du bronze, commence au plus tôt vers 3300 av. J.-C. au Proche-Orient.

Martelage : Technique de métallurgie consistant à mettre en forme au marteau une plaque de métal posée sur une pièce de bois.

Orfèvrerie : Art de travailler les métaux précieux.

Trésor : Le terme trésor désigne à la fois un ensemble d’objets précieux et le lieu qui les abrite.

Votif : Adjectif s’appliquant à un objet donné en offrande à une divinité, en vue de répondre à une prière ou en gage d’un vœu.