Le Corsage rouge (Marthe Bonnard) Bonnard Pierre

Le Corsage rouge

Dimensions

H. : 50,3 cm ; L. : 52,3 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1925

Lieu de conservation

France, Paris, Centre Pompidou, musée national d’Art moderne

Marthe, la muse idolâtrée

Nul autre artiste n'a construit son œuvre autour d'une femme comme Pierre Bonnard autour de Marthe. Il la rencontre en 1893. Elle devient rapidement son modèle, sa compagne et aussi sa muse. Ses tableaux sont habités par la présence de Marthe : une silhouette à l'arrière-plan, un corps nu dans la baignoire [ image 1 ], un visage à la fenêtre. Ici, vêtue d'un corsage rouge rayé de blanc, elle est saisie dans un moment de vie quotidienne, accoudée à la table de la salle à manger. Le repas s'achève, elle semble s'assoupir, songeuse, les yeux baissés, à moitié dans l'ombre. La mélancolie perceptible sur son visage rappelle que les amis de Bonnard, qu'elle tenait jalousement à distance, n'hésitaient pas à parler de son caractère lunatique.
Cette année 1925 est une date importante dans la vie du couple, qui vient de traverser une période difficile. Depuis 1921, Bonnard entretient une liaison avec Renée, une artiste beaucoup plus jeune que lui. Un temps, il échafaude même avec elle des projets de mariage. Mais il ne peut se résoudre à rompre avec Marthe, en dépit de la vie impossible qu'elle lui fait parfois mener. Contre toute attente, c'est finalement Marthe que Bonnard épouse en 1925, après trente-deux ans de vie commune. Quelques semaines plus tard, Renée se suicide. Tyrannique, Marthe obligera Bonnard à détruire toutes les toiles qui auraient pu lui rappeler son ancienne maîtresse. Jeunes femmes au jardin, retravaillé après la mort de Marthe en 1942, est un des rares portraits de Renée à témoigner encore du caractère solaire de la jeune femme.

Pierre Bonnard, un peintre indépendant et hors du temps

Bonnard occupe une place à part dans l'histoire de l'art, car il ne s'inscrit dans aucun des grands mouvements d'avant- garde qui caractérisent le 20e siècle. À l'écart des querelles esthétiques qui marquent son temps, il mène en solitaire une quête très personnelle visant à réinventer une certaine forme de figuration encore ancrée dans le réel, au moment même où la plupart s'en détournent. Il voue en effet à la peinture une « passion périmée », comme il se plaît à le dire lui-même.
Avec ses sujets simples et silencieux qui témoignent d'une humilité et d'une sérénité un peu désuètes à l'heure des grandes démonstrations, Bonnard paraît à contre-courant. Mais, en dépit des apparences, au-delà de ce qu'il représente sur la toile – serait-ce l'être aimé, si important dans sa vie –, il poursuit un but ambitieux qui consiste à « rendre vivante la peinture et non [à] peindre la vie ». Le décès de Marthe en 1942 laisse Bonnard face à lui-même. Enfermé dans son atelier du Cannet [ image 2 ], il multiplie les autoportraits au miroir [ image 3 ]. Avec un soin maniaque, il retouche inlassablement ses toiles détendues sur le mur, comme s'il ne pouvait se résoudre à l'achèvement de la peinture. Ainsi entend-il traverser le temps : « je voudrais arriver devant les jeunes peintres de l'an 2000 avec des ailes de papillon ».

Se souvenir de la sensation procurée par l'instant ordinaire

Un ami disait de lui qu'il était « un voyageur autour de sa maison». Nulle autre formule ne saurait mieux définir Bonnard, car son univers c'est d'abord sa maison : celle de Vernon en Normandie, celle du Cannet un peu plus tard sur la Côte d'Azur. Dans sa peinture, qui semble comme photographier les instants les plus ordinaires d'une vie simple, tout se joue dans la salle à manger [ image 4 ], près de la fenêtre [ image 5 ], sur la terrasse ou dans le jardin.
Le travail de Bonnard sur la couleur, son amitié avec Claude Monet, dont il était le voisin en Normandie, incitent parfois à le considérer comme le dernier héritier de l'impressionnisme. Pourtant, sa méthode s'y oppose. Il ne travaille pas sur le motif, mais presque toujours dans l'atelier, à partir de ses souvenirs. Aussi n'est-ce pas l'instant tel qu'il le voit qu'il cherche à représenter, mais plutôt l'instant tel qu'il l'a ressenti. Son œil ne détaille pas, il capte d'un seul coup. Bonnard dit lui-même vouloir « donner l'impression que l'on a quand on pénètre dans une pièce, que l'on voit tout et rien à la fois ». Avec une attention particulière pour la direction des lignes et la répartition des pleins et des vides, comme ici, il reconstruit, réinvente et sublime le réel dans des compositions très réfléchies. Bien au-delà de l'impressionnisme, Bonnard s'aventure ainsi dans une voie encore inexplorée par la peinture.

Cécile Maissonneuve

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-corsage-rouge-marthe-bonnard

Publié le 07/10/2014

Glossaire

Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.