L’Arbre aux corbeaux Friedrich Caspar David

L’Arbre aux corbeaux

Dimensions

H. : 59 cm ; L. : 73 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

Vers 1822

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Quelle place tiennent les paysages de Friedrich dans l’art romantique ? Friedrich, un peintre religieux ?

L'ouverture vers de nouveaux horizons

À la fin du XVIIIe siècle, l'Italie continue de séduire un grand nombre d'artistes, tel le paysagiste britannique William Turner (1775-1851) [ image 1 ], exact contemporain de Caspar David Friedrich. Pourtant, ce dernier peintre allemand ne fait pas le voyage en Italie. Formé à Copenhague et actif notamment à Dresde, Friedrich se consacre au paysage et puise son inspiration dans une nature sauvage et parfois hostile : il n'hésite pas à décrire les sommets montagneux, alors peu explorés, les forêts profondes de l'Allemagne ou encore l'immensité et les dangers de la mer [ image 2 ]. L'Arbre aux corbeaux [ image principale ] est une œuvre caractéristique de sa production : le tableau représente les rives sauvages face à l'île de Rügen, située sur la mer Baltique et que le peintre fréquente régulièrement.

Un arbre pour exprimer le sublime

Alors que de nombreux paysagistes utilisent la nature comme un décor de fond à une histoire humaine, Friedrich fait des éléments naturels le sujet principal de ses œuvres. Ici, il met en scène un arbre aux branches tourmentées et dont le tronc, construit sur une diagonale, semble résister au vent. Le cadrage serré, qui empêche de voir la totalité de la ramure, crée une proximité avec le spectateur. Cette dernière va à l'encontre des principes classiques de composition d'un paysage : le spectateur n'est effectivement pas mis à distance de l'image, mais il est dans le paysage peint qui s'impose à lui avec force. L'homme ne domine plus la nature comme dans un paysage classique où tout est savamment ordonné et reconstruit. Il est directement confronté à la violence des éléments. Cette confrontation suscite une émotion souvent terrifiante face à la nature, beauté qualifiée à l'époque de « sublime ». Fondement du travail de Friedrich, c'est l'un des éléments importants de la recherche des romantiques. Ces derniers sont en effet fascinés par une nature violente et hostile à l'homme. Ils privilégient la représentation de paysages dépourvus de présence humaine, ou bien des catastrophes naturelles comme les inondations.

Mort…

Si les œuvres de Friedrich sont souvent basées sur des études précises de branches, de rochers, elles ne sont pas pour autant des représentations recherchant l'objectivité. Chaque élément suggère en effet une dimension supérieure à lui-même, faisant du paysage un lieu de contemplation visionnaire et métaphysique : la petite colline visible derrière l'arbre principal évoque ainsi un tumulus, tombeau d'un membre d'une ancienne civilisation germanique, les Huns pensait-on à l'époque. Il rappelle la fin de toute chose, ce que confirment les souches d'arbres morts dispersées sur la toile. La saison hivernale perceptible dans les branches dépouillées et la présence exclusive des corbeaux évoque la dernière saison de la vie. C'est un symbolisme qui sera fréquemment repris à la fin du XIXe siècle. L'éclairage de l'arbre en contre-jour l'assombrit et accentue l'impression de mort.

… et renouveau

Cependant, loin d'être l'expression d'une vision pessimiste, l'œuvre de Friedrich évoque la renaissance pour qui regarde avec attention : sur l'arbre principal, on perçoit des bourgeons annonciateurs d'un cycle qui va recommencer [ détail b ]. Le paysage maritime à l'arrière-plan s'éclaircit, ramenant l'espoir d'une nouvelle lumière et de la résurrection de la nature.

La lumière, ambigüe, est investie d'un double rôle qui varie selon l'état d'âme du spectateur : soleil couchant qui s'accorde à l'idée de mort, ou bien soleil levant qui amène l'espoir d'une renaissance.

Peindre au-delà du visible

Friedrich investit la peinture de paysage d'une dimension sacrée. Ainsi, pour la commande d'un tableau d'autel, le retable de Tetschen, il n'hésite pas à peindre un paysage. C'est une nouveauté qui suscite l'étonnement à l'époque. Au lieu de représenter la scène de la Crucifixion qui figurerait le Christ lui-même au moment de son exécution, il peint un objet symbolique, le crucifix dominant un paysage sauvage au-delà de l'objet, le paysage entier est expressif du sacré et fait de ce tableau une œuvre religieuse.

La voix de Friedrich

Pour Friedrich, l'acte de peindre est le résultat d'une vision intérieure et est guidé par une réflexion métaphysique : « […] obéis absolument à ta voix intérieure car elle est le divin en nous et ne nous égare pas. » « Ferme l'œil de ton corps afin de voir ton tableau d'abord par l'œil de l'esprit. »

Dans des aphorismes, il précise la dimension religieuse de son travail :
« Pourquoi […]
« Choisis-tu si souvent, pour l'objet de peinture,
« La mort, la vie précaire et le tombeau ?
« Celui qui veut un jour vivre éternellement,
« Doit à la mort se vouer fréquemment. »

Un héritage réduit

Bien que caractéristique de l'état d'esprit romantique, notamment par son interrogation sur la place de l'homme dans l'univers et par sa manière de percevoir l'artiste comme un être à part, un « voyant », Friedrich n'a pas de réelle postérité dans la génération romantique. Son travail, basé sur une inquiétude et une spiritualité personnelle, n'a que peu d'écho en dehors de l'Allemagne où l'essentiel de son œuvre est conservé. Les romantiques français ne s'en inspireront pas directement. On peut peut-être voir un lien lointain et certainement involontaire dans la manière dont Gustave Courbet (1819-1877) [ image 3 ] ou Théodore Rousseau (1812-1867) [ image 4 ] magnifieront certains éléments de la nature. Mais chez ces derniers, l'approche réaliste l'emporte sur le contenu spirituel.

Isabelle Bonithon

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/larbre-aux-corbeaux

Publié le 16/03/2015

Ressources

Étude consacrée au retour à la nature au <small>XIX</small><sup>e</sup>&nbsp;siècle sur le site <em>L’Histoire par l’image</em>

http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=931

Film de présentation de l’exposition «&nbsp;De l’Allemagne&nbsp;» (musée du Louvre, 28&nbsp;mars&nbsp;– 24&nbsp;juin 2013)

http://www.youtube.com/watch?v=tDJOAi5SpwM

Glossaire

Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.