Nef de Charles Quint Schlottheim Hans (attribué à)
Nef de Charles Quint
Le mois de janvier
Dimensions
Provenance
Technique
Matériaux
Datation
Lieu de conservation
Objet décoratif ou fonctionnel ?
Ce bateau de laiton doré, peuplé de petits personnages, appelé la « nef de Charles Quint », est une pièce de luxe, emblématique du goût des souverains européens pour ces chefs-d'œuvre de précision et d'invention. Seuls trois exemplaires de ce type d'objet sont conservés, tous issus d'ateliers allemands. Leur forme, leur fonction et leur provenance les placent à mi-chemin entre œuvre d'apparat, objet de curiosité et objet utilitaire.
Une horloge-automate
La nef de Charles Quint est une horloge-automate. Petite par rapport à l'objet lui-même, l'horloge marque les heures et les quarts. Coiffée d'un aigle bicéphale, elle se trouve sur la façade d'un caisson d'où jaillit le grand mât [ image b ], lui-même flanqué de deux fines colonnes cannelées. Ce sont les colonnes d'Hercule, emblème personnel de l'empereur Charles Quint.
Les dimensions de l'horloge sont caractéristiques de la Renaissance. C'est à cette époque qu'apparaît le ressort moteur qui permet la miniaturisation du mécanisme. Les petites horloges connaissent dès lors un grand succès auprès de clients fortunés amateurs de prouesses techniques et d'objets scientifiques à l'esthétique raffinée.
Un automate exceptionnel
L'objet abrite un mécanisme complexe qui permet d'actionner une trentaine de figurines représentant divers personnages : les électeurs habillés d'un manteau rouge, des courtisans, des musiciens, des gardes et des marins. Assis à l'arrière de la nef sous un baldaquin, l'empereur entièrement doré et couronné tient le sceptre et l'orbe [ image c ].
L'objet représente ainsi une image en miniature du cérémonial qui entoure les apparitions publiques du souverain. Les électeurs amorcent leur procession devant l'empereur au son de la fanfare, élément indissociable de la pompe impériale. Les musiciens, les bras et les têtes des figurines, les canons, le navire lui-même, entrent en mouvement grâce à sept mécanismes distincts. Le passage des heures et des quarts est marqué par les deux personnages montés dans les hunes du grand mât.
Pourquoi associer Charles Quint à un navire ?
Charles Quint est élu « empereur du Saint Empire germanique » en 1519. Par le biais de différents héritages, il gouverne de nombreux territoires : l'Espagne, les Flandres, plusieurs États italiens, l'ancien duché de Bourgogne et une partie de l'Amérique du Sud. Il règne sur un empire où « le soleil ne se couche jamais ». Le bateau est associé aux grandes découvertes qui ont enrichi cette dynastie de souverains, alors la plus puissante de la chrétienté.
La nef de Charles Quint ne correspond à aucun type de navire précis La coque est un peu disproportionnée par rapport au reste du bateau. Elle flotte sur une représentation fantaisiste du monde marin où apparaissent monstres et chevaux ailés [ image d ]. La forme et le décor du navire rappellent des gravures [ image 1 ] dont certaines servaient de source d'inspiration aux orfèvres et aux horlogers.
De la table au cabinet de curiosités
Des objets en forme de nef sont associés au cérémonial du repas princier [ image 2 ]. Depuis le Moyen Âge, une pièce d'orfèvrerie de ce type de navire peut contenir la salière, des épices, un couteau ou la serviette d'un grand personnage. Elle est portée en début de repas sur la table du prince. Sa présence honore celui près de qui elle est placée.
La nef de Charles Quint, par la somptuosité de sa forme et la complexité de son mécanisme, est un objet caractéristique d'une « chambre des merveilles » ou cabinet de curiosités. Ce lieu particulier est connu, dans le monde germanique, sous le nom de Kunstkammer. Dans cette pièce sont exposés des objets extraordinaires classés par catégorie et symbolisant, par leur spécificité, la création dans toute sa diversité. Quatre catégories apparaissent au sein de ces collections : Naturalia, Artificialia, Scientifica, Mirabilia. À Prague, dans la Kunstkammer de Rodolphe II, petit-fils de Charles Quint, une nef de ce type (celle conservée aujourd'hui à Vienne) était présentée parmi les Scientifica.
L'horloger des princes
L'œuvre conservée au château d'Écouen est attribuée à un horloger établi à Augsbourg vers 1570, Hans Schlottheim, l'un des plus célèbres de sa génération, jouissant de la considération des princes. Tout en ayant installé un atelier important à Augsbourg, il séjourne à la cour impériale de Prague puis à celle du prince électeur de Saxe à Dresde.
Les horlogers allemands, notamment ceux de Nuremberg et d'Augsbourg, sont parmi les artisans les plus sollicités et les plus innovants de la Renaissance. L'exploitation active des mines par des familles de banquiers et de négociants favorise l'essor de l'orfèvrerie et de l'horlogerie aux XVIe et XVIIe siècles. Les orfèvres sont régulièrement associés à la fabrication des horloges, mais, à Augsbourg, les horlogers appartiennent à la guilde des forgerons. La réglementation très stricte de cette corporation et la formation longue et exigeante des jeunes horlogers expliquent le degré de sophistication des œuvres issues de ce centre.
Si la nef de Charles Quint perpétue une tradition ancienne, elle est également emblématique des innovations techniques de l'époque. Commandée par un prince pour enrichir sa collection ou pour offrir en cadeau diplomatique, elle illustre l'inventivité et la curiosité qui caractérisent les hommes de la Renaissance.
Mots-clés
Cécile Galinier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/nef-de-charles-quint
Publié le 29/04/2014
Ressources
Site consacré aux cabinets de curiosités en Europe
Site du musée national de la Renaissance, lieu de conservation de l’œuvre
Une vidéo montrant la nef de Vienne en mouvement
Glossaire
Électeurs : Dans le Saint Empire romain germanique, les électeurs sont les princes qui constituent le collège réuni pour l’élection de l’empereur.
Orbe : Globe surmonté d’une croix, symbole du pouvoir royal ou impérial.
Orfèvrerie : Art de travailler les métaux précieux.
Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.