Triple portrait du cardinal de Richelieu Champaigne Philippe de

Triple portrait du cardinal Richelieu

Veuve du peintre Mathias Rigaud, mère d'Hyacinthe Rigaud. Sculpture réalisée d’après le double portrait peint (image 6)

Dimensions

H. : 58,7 cm ; L. : 72,8 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

Vers 1642

Lieu de conservation

Royaume-Uni, Londres, National Gallery

Pourquoi l’étrange parti pris d’un visage sous trois angles différents ?

Ce tableau représente Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu (1585-1642), principal ministre de Louis XIII, sous ses profils gauche et droit et, au centre, de trois quarts. Comme dans tous ses portraits, l'ecclésiastique est montré vêtu de l'habit cardinalice. On en distingue ici la mosette rouge, sur laquelle tombe le collet rabattu, noué par de longs cordons. Formant un V de couleur bleue, un large ruban porte la médaille de l'ordre du Saint-Esprit. Sur sa tête, la calotte rouge laisse échapper de longues mèches grisonnantes. Le buste, réduit à un cône, est traité en masses simplifiées, animées par des reflets et des ombres. Le fond sombre fait ressortir le visage, sculpté par la lumière, n'exprimant pas de sentiment particulier. Le regard perçant, la fine moustache et les marques de l'âge permettent de cerner la physionomie et le tempérament du célèbre personnage.

Un modèle destiné à la sculpture

Ce triple portrait n'est pas une œuvre autonome, mais un modèle devant servir à la réalisation d'une sculpture, commandée par le cardinal à l'Italien Francesco Mocchi. Un précédent buste de marbre, réalisé par Le Bernin, a en effet déplu au cardinal image 1. Initialement, c'est le peintre flamand Anton Van Dyck qui était chargé de peindre le modèle, mais il est décédé avant de l'avoir achevé. Richelieu se tourne alors vers Philippe de Champaigne image 2, un artiste originaire de Bruxelles, installé à Paris depuis 1621 et devenu en 1628 le « peintre ordinaire » de la reine mère, Marie de Médicis.

Philippe de Champaigne, nouvel Apelle ?

Ministre à la stature exceptionnelle, réformateur et pacificateur de la France, Richelieu est aussi un amateur d'art et un grand collectionneur. Il trouve en Philippe de Champaigne le peintre idéal, apte à comprendre ses attentes et à les traduire dans un style adapté. Le peintre devient le seul

habilité à le figurer en habit de cardinal. Pas moins de onze portraits de Richelieu sortiront de son atelier. Tous célèbrent à la fois l'homme d'État et l'individu, répétant la formule du portrait d'apparat et développant la belle langue picturale de Champaigne : clarté du dessin, ampleur de la forme, franchise du coloris image 3. La virtuosité technique de l'artiste lui permet de traduire étoffes et carnations à la perfection. Il sait aussi se concentrer sur l'essentiel, supprimant détails et éléments décoratifs pour mettre en avant l'âme du modèle, sa personnalité profonde. L'estime sans faille que témoigne le cardinal au peintre amène leur contemporain, l'historiographe André Félibien, à comparer Champaigne à l'artiste antique Apelle, seul en son temps autorisé à figurer Alexandre le Grand.

Au terme de cette longue série d'effigies, le triple portrait est jugé par le cardinal si ressemblant qu'il demande à Champaigne de retoucher tous les portraits antérieurs en fonction de ce dernier. Cette peinture, à l'origine simple étude destinée à un sculpteur, devient la référence en termes de portrait du cardinal et le point d'aboutissement d'une lente maturation menée de front par l'artiste et son commanditaire. Ensemble, ils ont créé l'image idéale du cardinal-duc de Richelieu, homme d'État, grande conscience religieuse, mais aussi homme du XVIIe siècle, à même de tempérer ses passions par la raison.

D'où vient l'étrange formule du triple portrait ?

Conçue pour guider le sculpteur dans son travail, la formule du triple portrait existe néanmoins comme genre à part entière dans l'histoire de la peinture, même si elle est rare. Ainsi, dans la Venise de la Renaissance, les peintres ont répondu aux sculpteurs, vantant leur capacité à imiter la réalité en trois dimensions, en peignant des visages vus sous plusieurs angles.

Il semble que Léonard de Vinci ait apporté cette solution à Venise lors de son séjour en 1499, sous la forme d'un dessin, portrait présumé de César Borgia image 4. La formule est reprise par le Vénitien Lorenzo Lotto dans son Portrait d'un orfèvre image 5, s'inscrivant à son tour dans ce débat, appelé paragone (« comparaison » en italien). Pour démultiplier les angles de vision et prouver leur capacité à traduire le réel en volumes malgré la surface plane du support, les peintres vénitiens recourent par ailleurs aux reflets (sur une surface de métal, dans un miroir ou dans l'eau). Il ne semble pas que de tels portraits soient destinés à des sculpteurs. Ils illustrent en tout cas la richesse d'un dialogue entre les deux disciplines, peinture et sculpture.

D'une certaine manière, ce triple portrait réactualise le débat au XVIIe siècle. La formule est utilisée par Anton Van Dyck pour le portrait du roi Charles Ier d'Angleterre (1635), destiné à être sculpté par Le Bernin. Elle est reprise en 1695 par Hyacinthe Rigaud dans le double portrait de sa mère, Marie Serre image 6, destiné à guider le sculpteur Antoine Coysevox image 7. Cette fois-ci, il ne s'agit plus d'une commande officielle mais d'un portrait privé, chargé d'affection.

Stéphanie Cabanne

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/triple-portrait-du-cardinal-de-richelieu

Publié le 03/09/2020

Ressources

Courte analyse du portrait du cardinal de Richelieu assis, par la conservatrice du musée Condé

https://vimeo.com/128785345

Une étude historique et iconologique du tableau

https://www.histoire-image.org/fr/etudes/cardinal-richelieu-images-pouvoir

Glossaire

Ordre du Saint-Esprit : Ordre le plus prestigieux de la chevalerie française, fondé le 31 décembre 1578 par Henri III. Son emblème, une croix ornée de la colombe du Saint-Esprit, portée sur un ruban bleu, est porté par ses membres.

Mosette : Courte pèlerine descendant jusqu’à la ceinture et boutonnée par devant, constituant une des parties de l’habit des cardinaux, des évêques et des chanoines.

Portrait d’apparat : Formule de portrait élaborée à la Cour d’Espagne au XVIe siècle, montrant le souverain debout, en tenue officielle, portant les insignes du pouvoir.