Portrait de madame Cézanne Cézanne Paul

Portrait de madame Cézanne

Auteur

Dimensions

H. : 81 cm ; L. : 65 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1885-1895

Lieu de conservation

France, Paris, musée de l'Orangerie

Pourquoi Cézanne représente-t-il sa femme de manière peu flatteuse ? En quoi la démarche du peintre est-elle novatrice ?

En 1862, Paul Cézanne quitte sa ville natale d’Aix-en-Provence pour rejoindre Paris, où il fréquente les autres peintres impressionnistes  Il rencontre Hortense Fiquet image principale, qui travaille dans un atelier de relieur et comme modèle, vers 1869. Elle est d’origine modeste, d’un tempérament calme et réservé. Leur fils unique, Paul, naît en 1872. Le couple vit souvent séparé, avant et après leur mariage en 1886. Cézanne a représenté cette compagne discrète de nombreuses fois. Ce qui frappe dans ses portraits est l’absence d’affect et de psychologie qui les traverse.

Madame Cézanne ne séduit pas

Dans le portrait du musée de l’Orangerie image principale, madame Cézanne est représentée à mi-corps, assise, de face, les cheveux ramassés en chignon, inexpressive, dans une robe bleu foncé, sobre. Le peintre insiste sur les lignes géométriques : le modèle s’inscrit dans un triangle, tandis que l’ovale de son visage répond à celui formé par ses bras. Le fond neutre, l’absence de décor, la frontalité, la symétrie des plis du vêtement, la palette réduite, dominée par les bleus et verts, ne font que renforcer l’austérité du portrait. De toute évidence, ni madame Cézanne ni le peintre ne cherche à séduire le spectateur, ce qui est inhabituel pour un portrait de femme à cette époque image 1. L’épouse de Cézanne ne prend pas la pose, n’est pas idéalisée, ne porte pas une belle robe. L’artiste ne respecte donc pas les règles du genre du portrait féminin.

Par ailleurs, le contexte social, l’environnement quotidien ne sont pas décrits. La représentation de la vie moderne n’intéresse pas Cézanne. Il se démarque ainsi de la plupart des impressionnistes, tel Claude Monet qui peint le Portrait de madame Gaudibert en 1868 image 2.

Un objet de peinture plus qu’un portrait

Certains éléments brisent la symétrie. Le bras gauche du modèle est légèrement plus long que le droit. L’oreille gauche est plus grande, comme si Hortense avait légèrement bougé durant la pose. Ses yeux sont tournés vers la gauche. L’accoudoir droit du fauteuil est vu strictement de face, tandis que l’autre est vu de biais. Ainsi Cézanne introduit-il des distorsions de perspective. On peut effectivement observer un abandon de la perspective linéaire, à point de vue unique, où les lignes convergent vers un point de fuite, dans des œuvres du peintre à partir des années 1880, quel qu’en soit le thème. Ainsi, dans la nature morte Pommes et Oranges image 3, il multiplie les angles de vue et les objets montrés semblent instables. C’est l’un des aspects de l’œuvre de Cézanne qui nourrira l’inspiration de Braque et Picasso au début du XXe siècle, lorsqu’ils élaboreront le cubisme, en multipliant les points de vue.

Vibration de la lumière et liberté des couleurs

Dans ce portrait image principale, la lumière vient du haut, à droite, éclairant fortement la moitié du visage de madame Cézanne, son chignon et certaines parties de sa robe. Ces éclats lumineux sont traités en réserve, laissant visible la préparation de la toile. À de nombreux endroits (le fond, la carnation, le buste), la couche picturale est très mince, jouant sur la transparence. La matérialité de la peinture est caractéristique de l’époque impressionniste. Toutefois, à l’inverse de ses collègues, Cézanne recherche un effet de construction par la couleur.

Le peintre affirme dès les années 1870 qu’il souhaite faire de la « peinture aussi solide que celle des musées » et renonce aux effets changeants de l’atmosphère. Cézanne n’utilise pas le modelé, variation d’une teinte, claire ou sombre, pour suggérer le volume, mais des couleurs vives. Les couleurs dites chaudes, comme le rouge, le rose ou le jaune, sont utilisées pour les parties dans la lumière ou les zones en relief (menton, joue et oreille droites). À l’inverse, le vert et le bleu sont réservés aux ombres (droite du visage et du cou). Cézanne s’affranchit donc de la couleur locale, la couleur intrinsèque des objets, comme le font d’autres peintres de cette époque, tel Van Gogh image 4 ou Seurat image 5.

La libération de la palette qui débute à l’époque impressionniste s’accentue à la fin du XIXe siècle, avec l’emploi de couleurs pures.

Un des précurseurs de l’art moderne

Si la touche de Cézanne apparaît très libre, elle est pourtant longuement mûrie. Plusieurs témoins et modèles évoquent la manière très lente et réfléchie dont travaillait le peintre, avec parfois plusieurs minutes entre chaque touche. Le marchand Ambroise Vollard raconte ainsi que Cézanne l’avait fait poser cent quinze fois en 1899, sans être satisfait du résultat et laissant le portrait inachevé image 6. L’anxiété de Cézanne et ses doutes transparaissent également dans sa difficulté à achever ses œuvres, que ce soit le portrait de Vollard, plusieurs de ceux de madame Cézanne ou tant d’autres peintures. Peu de tableaux du peintre sont datés, une vingtaine environ.

Les réserves incluses dans les compositions montrent ainsi le processus de création, le travail expérimental du peintre. Pour lui, le sujet importe peu. Il est une étape dans la démarche artistique. Cette posture, inédite à l’époque, fait de Cézanne un des premiers peintres d’art moderne.

La série de portraits de madame Cézanne

Hortense Fiquet est la personne qu’il a le plus représentée, même lorsque leurs liens étaient distendus. Nous connaissons vingt-neuf portraits d’elle. Cette série s’étend sur deux décennies, de 1872 au début des années 1890 image 7 image 8 image 9 image 10.

Le travail en série permet d’effectuer des recherches plastiques, en variant les poses, les compositions, les couleurs. Le visage d’Hortense est souvent impassible, comme un masque. Lire cette austérité comme une allusion à leur éloignement serait donner trop d’importance à une interprétation psychologique. Cet aspect intéresse peu Cézanne qui, dit-il, peint des corps, non des âmes. Ses œuvres sont avant tout des constructions. Le travail sériel de Cézanne concerne également d’autres sujets que les portraits. On peut citer la Montagne Sainte-Victoire image 11, Les Baigneurs ou Les Baigneuses image 12. Un parallèle pourrait être fait avec le travail sériel de Claude Monet, notamment à partir des années 1890 (celle de la cathédrale de Rouen, par exemple).

La simplification, les recherches plastiques de formes et de couleurs annoncent l’art du XXe siècle. Picasso a dit de Cézanne qu’il était leur « père à tous ». Il a, bien sûr, beaucoup observé sa peinture au moment de l’élaboration du cubisme. Mais auparavant, il cite Cézanne dans le Portrait de Gertrude Stein (1905-1906, Museum of Modern Art, New York), s’inspirant d’un Portrait de madame Cézanne à l’éventail de la collection de Gertrude Stein.

Après la mort de Cézanne, en 1906, Picasso a aussi confié qu’il avait consacré quatre-vingt-dix séances de poses à ce portrait, allusion au travail lent de son aîné. Matisse admirait également le peintre d’Aix et possédait un Portrait de madame Cézanne image 7 plus serein que celui du musée de l’Orangerie.

Mots-clés

Thuy-Lan Hovan

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/portrait-de-madame-cezanne

Publié le 07/02/2025

Ressources

Notice et commentaire de l'oeuvre sur le site web du musée de l'Orangerie

https://www.musee-orangerie.fr/fr/oeuvres/portrait-de-madame-cezanne-196025

La conférence inaugurale de l’exposition "Portraits de Cézanne", 57 mn (2017, musée d’Orsay)

https://www.youtube.com/watch?v=OhTZvPkEmuk

Glossaire

Réserve : Technique qui consiste, en peinture et en sculpture, à ne pas travailler toute la surface. La partie non travaillée est laissée « en réserve ».

Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.

Cubisme : Courant artistique, né peu avant la guerre de 1914, dont les pionniers furent Pablo Picasso et Georges Braque. Il porte un nouveau regard sur l’objet, dont les volumes et les plans peuvent être représentés de manière stylisée et vus simultanément sous plusieurs angles. Il s’inspire à la fois des recherches formelles de Paul Cézanne et des arts premiers.