Panneau de revêtement à la joute poétique

La joute poétique

Auteur

Dimensions

H. : 118 cm ; L. : 175,7 cm ; Pr. : 6 cm

Provenance

Iran, Ispahan [?]

Technique

Céramique, Glaçure colorée

Matériaux

Pâte siliceuse

Datation

XVIIe siècle

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Que nous révèle ce panneau en céramique sur la vie de cour iranienne au XVIIe siècle ?

Ce grand panneau iranien image principale est une œuvre majeure des collections d'art islamique du musée du Louvre, non seulement par sa beauté, mais aussi par ses représentations de personnages (de plus, en grand format). Ceci est rare dans le monde de l'Islam, du fait de traditions ayant fait croire à une opposition de Dieu à toute figuration de l'être humain, alors qu'aucun texte du Coran n'interdit l'art figuratif.

Des poètes dans un jardin

Cette œuvre, aux dominantes bleue et jaune, nous montre quatre personnages dans un jardin luxuriant.

Au centre, deux jeunes gens coiffés de turbans image b, couvre-chef réservé aux hommes, sont agenouillés, tournés l'un vers l'autre. Ils tiennent chacun une safina, carnet oblong qui est le format habituel des recueils de poésie en Iran image 1. L'homme à gauche image d semble déclamer un poème. Son compagnon image c, plongeant son calame dans un encrier, le copie ou écrit un autre poème cette dernière hypothèse pourrait suggérer une sorte de concours de poésie, d'où le titre donné à ce panneau. Il porte sur son turban une aigrette blanche, attribut des princes.

Deux autres personnages, peut-être des serviteurs, se tiennent debout, de part et d'autre des poètes : à gauche, un homme qui les contemple image e à droite, une femme qui apporte un grand bol couvert image f.

Au premier plan, devant les poètes, sont posés sur l'herbe un grand plat de grenades et de coings, fruits abondamment produits en Iran image 7, et une bouteille piriforme à long col, récipient autrefois fréquent en Perse image 2 image 8.

La localisation de la scène dans un jardin est significative. Dans beaucoup de pays musulmans, au climat aride voire désertique, le jardin est considéré comme un avant-goût du paradis, et représente un luxe.

Des échos à la culture persane

Les arbustes en fleur et les petits nuages pourraient évoquer le renouveau de la nature lié aux pluies régénératrices du printemps, saison du Nouvel An iranien (Norouz, autour du 21 mars). À cette occasion, des banquets sont organisés dans les parcs et les jardins autrefois, dans la haute société, ces repas étaient agrémentés de musique et de récitations poétiques.

La poésie occupe une très grande place dans la culture islamique, et notamment iranienne. Un des livres les plus importants de la littérature persane est le Shâhnâmeh, histoire des rois de l'Antiquité perse. Écrit en vers par Ferdowsi au début du XIe siècle, il a grandement inspiré l'art figuratif en Iran et au-delà image 11.

Des influences chinoises

Dans cette œuvre, de nombreux détails révèlent l'influence de la culture chinoise sur la culture persane. Elle est d'abord perceptible dans la physionomie des personnages, aux yeux en amande et aux « visages de lune », selon une expression rencontrée dans la poésie iranienne. Les vêtements qu'ils portent la montrent également : à fermeture croisée sur le buste pour le prince image c, et à motifs de flammèches (ou de petits nuages stylisés) pour l'homme à gauche image d. De même, le bol couvert bleu et blanc apporté par la femme image f évoque par sa couleur la porcelaine chinoise que collectionnaient les souverains de la dynastie safavide (1501-1722) image 2.

Cette influence chinoise est la marque d'un héritage culturel ancien. Dès l'Antiquité, la Perse est une des étapes incontournables des Routes de la soie. Les objets de luxe importés de Chine par les commerçants y suscitent l'admiration et imposent l'idée d'une supériorité du goût chinois. Par ailleurs, à partir du IVe siècle av. J.-C., le bouddhisme se diffuse dans l'Est de la Perse. De nouveaux canons de beauté physique apparaissent, empruntés aux représentations du Bouddha. Enfin, au Moyen Âge, les invasions turco-mongoles entraînent un métissage des populations.

La peinture persane

Le style de cette œuvre rappelle que la peinture persane s'affranchit souvent d'un certain réalisme, en particulier dans le domaine de la couleur, comme en témoigne, à l'arrière-plan, le tronc bleu d'un arbuste.

Plus précisément, le style de cette œuvre peut être rapproché de celui du célèbre peintre de livres de l'époque safavide, Rezâ' Abbâsi, qui travaillait dans la capitale iranienne, Ispahan, au début du XVIIe siècle. Il est connu pour ses personnages très stylisés, aux visages larges surmontés d'énormes turbans et encadrés de longues mèches noires, aux corps sinueux et un peu lourds ceints d'une longue étoffe plissée image 3.

Un décor palatial ?

Ce type de panneau décoratif composé de grands carreaux en céramique était particulièrement apprécié en Iran au XVIIe siècle, car plus rapide à réaliser qu'un panneau de mosaïque, sorte de puzzle de petits morceaux de céramique, chacun d'une seule couleur. Chaque carreau était peint d'un motif en plusieurs teintes grâce à l'application d'une ligne sombre à base de chromite, permettant de cerner les différentes zones colorées ainsi, les couleurs ne pouvaient pas se mélanger ni couler. Ce type de décor en carreaux de céramique à couleurs cloisonnées a été utilisé pour orner certains murs de la grande mosquée du Shâh, à Ispahan, mais aussi ceux de palais.

L'origine de cette œuvre, achetée par le musée du Louvre en 1893, est inconnue. Le rapprochement avec des panneaux semblables conservés au Metropolitan Museum of Art de New York image 4 image 5 et au Victoria & Albert Museum de Londres image 6 image 7 image 8 laisse penser qu'elle proviendrait du pavillon royal du Tchéhel-Sotoun image 9, édifié à Ispahan image 12 au XVIIe siècle. Ces panneaux pourraient appartenir à une même série, évoquant la vie de cour. La découpe particulière de beaucoup d'entre eux semble indiquer qu'ils étaient placés sur la partie basse des murs de la salle d'audience, laquelle présente des fresques dans le même esprit image 10.

Sylvie Cuni-Gramont

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/panneau-de-revetement-la-joute-poetique

Publié le 25/03/2022

Ressources

« Céramiques et carreaux safavides », un article issu du mini-site Trois empires de l’Islam : chefs-d’œuvre de l’art ottoman, safavide et moghol du musée du Louvre

http://mini-site.louvre.fr/trois-empires/fr/ceramiques-safavides.php

La notice de l’œuvre sur le site du musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010327350

Un article sur l’art safavide sur Wikipédia

https://fr.wikipedia.org/wiki/Art_safavide

Glossaire

Persan : Adjectif s’appliquant à tout ce qui se rapporte à l’Iran après la conquête musulmane (avant celle-ci, l’adjectif à utiliser est perse).

Shâh : « Roi » en iranien.

Céramique siliceuse : Céramique faite d’un mélange constitué de peu d’argile et beaucoup de silice (sable ou quartz broyé).

Piriforme : Littéralement, en forme de poire.

Calame : Roseau taillé en pointe, utilisé pour écrire.

Mosaïque : Art qui consiste à réaliser de grands panneaux décoratifs, à l’aide d’une multitude de petits cubes (tesselles) de divers matériaux (pierre, céramique, verre) et de diverses couleurs, disposés sur un enduit. C’est un décor privilégié sur les sols et les murs des grands édifices publics et des riches demeures.