Untitled - Sans titre Rothko Mark

Untitled

Sans titre (Noir, Rouge sur Noir sur Rouge)

Auteur

Dimensions

H. : 116,7 cm ; L. : 106,2 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Acrylique sur papier

Datation

1969

Lieu de conservation

États-Unis d’Amérique, Chicago, Art Institute Chicago

Comment la couleur peut-elle susciter la méditation ?

Cette œuvre image principale a été réalisée par Mark Rothko à la fin de sa carrière.

Sur une grande feuille de papier de format vertical, l'artiste a appliqué un fond orange sur lequel se détachent trois aplats de couleur rectangulaires horizontaux : un jaune en bas image b, un blanc au centre image c et, dans la partie supérieure, un troisième rectangle orange clair, cerné d'une fine couche jaune laissant transparaître le fond image d.

Aucune de ces formes n'est clairement délimitée, comme si le peintre voulait nous inciter à voir plus loin, au-delà de la simple surface picturale. Cette aspiration à une élévation spirituelle est emblématique du travail de Mark Rothko. Quelles sont les étapes qui ont conduit cet artiste de la figuration à l'abstraction ? Comment en est-il arrivé à cet usage spirituel de la couleur ?

Un émigré russe à New York

Marcus Rothkowitz, né en Lettonie en 1903, est le benjamin d'une famille juive de quatre enfants. En 1913, avec sa mère, il rejoint son père aux États-Unis, où ce dernier a émigré pour fuir les persécutions et pogroms sévissant dans l'Empire russe.

Grâce à une bourse d'étude, le jeune Marcus peut intégrer l'université de Yale, puis entre à la Parsons New School for Design, à New York. Ses premières peintures sont figuratives et influencées par l'expressionnisme.En 1938, Marcus Rothkowitz décide d'angliciser son patronyme en Mark Rothko. Il s'engage dans une phase d'expérimentation et rejoint les aspirations d'une nouvelle génération d'artistes new-yorkais, regroupés a posteriori sous l'appellation d'école de New York.

Les prémices d'une nouvelle peinture américaine

Comme Mark Rothko, de nombreux jeunes peintres américains souhaitent se démarquer de la peinture figurative et réaliste des années 1930, conscients de la nécessité de créer une peinture régénératrice. En effet, à cette époque, beaucoup d'entre eux ont connu la Grande Dépression puis la Seconde Guerre mondiale, et participé aux projets artistiques du New Deal. Dès 1942, dans sa toute nouvelle galerie new-yorkaise, Peggy Guggenheim rassemble leurs œuvres dans une importante exposition, Art of this Century.

Mark Rothko travaille lui aussi au programme du Federal Art Project. En 1943, dans une émission de radio, il exprime sa volonté de rechercher de nouveaux éléments de langage plastique.

Un maître de l'expressionnisme abstrait

Les expositions qui se succèdent chez Peggy Guggenheim permettent la rencontre d'artistes, critiques et marchands en quête d'innovations. Sans former un groupe officiel ni publier de manifeste et tout en gardant leur individualité, ces artistes se trouvent rassemblés sous la bannière de l'« expressionnisme abstrait » et acquièrent une renommée internationale.

En 1949, Mark Rothko découvre Le Grand Atelier rouge d'Henri Matisse, entré dans les collections du MoMA cette année-là. Il en retient la composition en rectangles image 1et, surtout, l'utilisation de la couleur rouge, sa vibration ainsi que son pouvoir d'expression. Bientôt, il commence à travailler par grands aplats colorés et lumineux,] organisés en bandes ou envahissant la totalité de la surface picturale. Dès lors, Mark Rothko est considéré comme l'un des maîtres de l'expressionnisme abstrait et s'oriente vers le monochrome.

Color field painting

L'expressionnisme abstrait se scinde en deux tendances : l'action painting, expressionnisme gestuel et instantané, et le color field painting, littéralement « peinture du champ coloré ». Hostile à l'action painting, dont Jackson Pollock devient le chef de file, Mark Rothko se sent investi d'une quête spirituelle dans un monde matérialiste et tente de toucher à l'essentiel. La toile est désormais un champ saturé de couleurs appliquées couche après couche. Sa matière picturale, fine et translucide, fait émerger la lumière et rend la peinture sensible.

Le critique d'art américain Clement Greenberg caractérise ainsi les œuvres des peintres du color field painting : « La chaleur sombre de la couleur dans les peintures de Newman, Rothko et Still estompe les valeurs et donne à la surface une planéité nouvelle, qui vibre et respire. Rompues par relativement peu d'accidents de dessin ou de composition, les surfaces exhalent la couleur avec un effet enveloppant accru par le format même du tableau. On réagit à un environnement autant qu'on réagit à un tableau accroché au mur. » (J.-L. Ferrier [dir.], L'Aventure de l'art au XXe siècle, Paris, Éditions du Chêne, 1999.)

Sublimer, méditer

Mark Rothko ajoute : « Si je peins de très grands tableaux c'est parce que je veux être très intime et humain. Peindre un petit tableau, c'est se placer en dehors de son expérience… Quand on peint un grand tableau, on est dedans. » (C. Greenberg et al., Regards sur l'art américain des années soixante, anthologie critique établie par C. Gintz, Le Vésinet, Éditions Territoires, 1979.) De façon générale, la surface picturale ouvre ainsi un espace propice à la contemplation. Le terme de « champ » utilisé par Clement Greenberg permet d'exprimer l'idée que la peinture s'étend bien au-delà des simples limites de la toile, à l'infini de nos perceptions : on parle de « all over ». Le recours au format monumental devient de plus en plus évident et nécessaire.

Au cours de sa carrière, Mark Rothko reçoit de nombreuses commandes publiques, et une grande rétrospective lui est consacrée au MoMA en 1961. Si la couleur reste l'élément essentiel de son langage pictural, il abandonne progressivement les couleurs vives, qui ne sont pour lui synonymes ni de gaieté, ni de légèreté, au profit d'une palette aux tons sombres image 2, tels le brun et certains rouges. Esprit tourmenté, aspirant à un idéal que la vie ne peut lui offrir, Mark Rothko met fin à ses jours en 1970.

Véronique Duprat-Roumier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/untitled-sans-titre

Publié le 20/11/2020

Ressources

La notice d’une œuvre de Mark Rothko sur le site du Centre Pompidou

https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cajrkgR/rMd5GB5

Glossaire

Expressionnisme abstrait : Mouvement de peintres américains qui renouvellent l’abstraction après 1945. Chez ces peintres, le tableau est affirmé comme surface peinte et expérience intérieure du réel. On distingue généralement deux groupes : le color field, qui valorise le champ coloré (Mark Rothko, Barnett Newman…) et l’action painting qui valorise la gestuelle (Jackson Pollock, Willem de Kooning…).

Palette : La palette est la petite planche sur laquelle l’artiste dispose et mélange ses couleurs. Le terme désigne aussi l’ensemble des couleurs qu’il choisit pour une œuvre.

Expressionnisme : Tendance artistique qui naît en Europe centrale à la fin du XIXe siècle et qui met à l’honneur la libre expression des passions et des formes, en réaction à l’académisme et à l’impressionnisme.

Action painting : Terme américain qui désigne, à partir des années 1950, une tendance au sein de l’expressionnisme abstrait. Les gestes et l’implication physique des artistes occupent une place centrale dans le processus de création.

All over : Pratique artistique qui consiste à couvrir toute la surface d’un tableau sans hiérarchie de plans, à la différence d’une composition classique.