Le Couronnement de la Vierge Le Tintoret
Le Couronnement de la Vierge
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Pourquoi un sujet religieux orne-t-il la salle du Grand Conseil du palais des Doges à Venise ?
Comment la réalisation d’un tel décor s’organise-t-elle ?
La salle du Grand Conseil du palais des Doges : un lieu symbolique du pouvoir politique vénitien
Le palais des Doges est le siège des institutions politiques de la République de Venise. Le doge préside les nombreux organes constituant le gouvernement vénitien et notamment le Grand Conseil, composé de patriciens (nobles de la cité) qui ont la tâche d'élire les membres des autres assemblées, dont le Sénat. La salle du Grand Conseil [ image 1 ], très vaste et accueillant parfois plus d'un millier de personnes, est le lieu où se réunit cet organe. C'est également là que se déroule la complexe élection du doge. En 1577, une partie du palais est ravagée par un incendie. En dépit du déclin de Venise, le gouvernement prend la décision de reconstruire les salles détruites.
Un décor illustrant la puissance vénitienne disparue
Sur trois de ses murs, la salle du Grand Conseil est ornée des portraits des doges et de scènes historiques et militaires glorifiant le passé de la cité. Le plafond est décoré de peintures encastrées dans des caissons de bois doré. L'une d'elles, L'Apothéose de Venise [ image 2 ], a été peinte par Véronèse. L'esquisse de Tintoret [ image principale ], actuellement conservée au musée du Louvre, est un projet pour le décor du mur surmontant le tribunal où s'installait notamment le doge. Le sujet, le Couronnement de la Vierge ou le Paradis, illustre une thématique religieuse. Le programme iconographique d'un tel ensemble est minutieusement élaboré par des patriciens, et non pas laissé à la libre inspiration des artistes. Le Paradis, en l'occurrence, reprend le sujet du précédent décor à fresque de Guariento, un artiste du XIVe siècle.
Le concours de 1582
Le décor de la salle du Grand Conseil est l'un des grands chantiers artistiques de la fin du XVIe siècle. Le concours de 1582 voit se confronter de grands peintres vénitiens : Véronèse, Francesco Bassano, Palma le Jeune et Tintoret. L'esquisse proposée par ce dernier n'est pas retenue c'est celle de Véronèse [ image 3 ] qui l'est, mais le peintre, alors âgé, meurt en 1588 sans avoir pu mener à bien ce projet. Un second concours est probablement organisé à la suite de ce décès. Tintoret propose une nouvelle esquisse (actuellement conservée au musée Thyssen, à Madrid), qui est cette fois retenue.
De l'esquisse à l'œuvre finale
Comme Véronèse l'avait envisagé dans son projet, Tintoret remplace le décor d'architecture initial de Guariento par un espace surnaturel où des personnages flottent sur des nuages [ détail b ]. En revanche, le nouveau décor n'est pas une peinture murale, mais est peint sur une toile. Bien qu'habitué à couvrir des surfaces monumentales, Tintoret est ici mis au défi de réaliser une œuvre de 22 mètres de large et 7 mètres de haut. Surchargé de commandes et déjà âgé, le peintre délègue la réalisation à son atelier, dans lequel travaillent ses fils. La seconde esquisse leur sert de modèle.
L'œuvre finale diffère sensiblement de la première étude présentée ici. Celle-ci, plus claire, offre des contrastes d'ombre et de lumière moins forts que la version finale. L'esquisse du maître témoigne néanmoins davantage de son talent que le décor du palais réalisé à plusieurs mains. Tintoret est très influencé par Michel-Ange et a été très marqué par Le Jugement dernier de la chapelle Sixtine, comme le montre par exemple la représentation de corps en torsion [ détail c ]. Ces formes contournées rappellent le mouvement maniériste persistant en cette fin de XVIe siècle.
Une représentation du Paradis ? du Couronnement de la Vierge ?
Il s'agit en fait des deux. Le Couronnement de la Vierge par le Christ se déroule dans une scène surnaturelle figurant le Paradis, lieu de séjour des bienheureux, symbolisé ici par le ciel. Cette iconographie trouve sa source dans l'Apocalypse, texte biblique, ainsi que dans La Divine Comédie de Dante.
Le Couronnement de la Vierge au sommet de la hiérarchie céleste
La Mort de la Vierge est décrite dans La Légende dorée de Jacques de Voragine, texte médiéval racontant la vie des personnages sacrés. Cet écrit évoque des scènes parfois non documentées dans la Bible. La tradition fait suivre la Mort de Marie de son Assomption et de son Couronnement par le Christ au milieu des bienheureux. Ceux-ci sont répartis selon un ordre hiérarchique dans l'œuvre de Tintoret. Chaque catégorie apparaît sur une ellipse de nuages : les anges musiciens entourent les douze apôtres répartis autour du Couronnement [ détail d ], tandis que les quatre évangélistes et les prophètes surmontent les saints. Certains de ces personnages sont identifiables par leurs attributs, comme le protecteur de Venise, l'évangéliste Marc, représenté avec son lion [ détail e ].
Venise, puissance maritime et paradis sur terre !
Placée sous la protection de la Vierge, la ville de Venise aurait été créée, selon la tradition, le jour anniversaire de l'Annonciation, le 25 mars 421. Alors que de nombreuses villes italiennes revendiquent un héritage antique et donc païen, Venise, elle, réinvestit les fêtes chrétiennes la Sensa par exemple, ou Ascension, est le jour où l'on commémore un événement très important, celui des noces du doge avec la mer, union garante de la prospérité économique de la ville. Il n'est donc pas étonnant de voir le Grand Conseil placé sous la protection de ce Couronnement, symbole d'un gouvernement faisant de Venise une ville correctement administrée, rigoureusement hiérarchisée, et donc en quelque sorte une vision du Paradis.
Mots-clés
Isabelle Bonithon
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-couronnement-de-la-vierge
Publié le 23/05/2015
Ressources
Interview de Jean Habert sur la vie artistique vénitienne au <small>XVI</small><sup>e</sup> siècle, par la revue <em>Textes et documents pour la classe</em>
http://www.cndp.fr/tdc/fileadmin/docs/tdc_984_renaissance_venise/article.pdf
Présentation de la deuxième esquisse de Tintoret sur le site du musée Thyssen, à Madrid (en anglais)
Présentation sur le site du musée du Louvre
https://www.louvre.fr/decouvrir/le-palais/de-la-joconde-aux-noces-de-cana
Glossaire
Maniérisme : Courant artistique né en Italie au XVIe siècle que l’on considère comme la dernière phase de la Renaissance. Il tire son nom du mot italien maniera utilisé pour désigner le style personnel d’un artiste. Pour les peintres qui se rattachent à ce courant, l’effet de style prime sur l’équilibre et l’harmonie. Ils se distinguent par une élégance du dessin, des compositions complexes privilégiant tensions et déséquilibres, une distance par rapport à l’imitation servile de la nature.
Attribut : Objet, animal ou figure systématiquement associé à un personnage (dieu, saint, héros, figure allégorique…). Il est tenu, porté ou juxtaposé. L’attribut fait souvent allusion de manière emblématique à un épisode marquant de sa vie ou de sa légende, ou bien à son essence ou à sa fonction. L’attribut permet de le reconnaître.
Évangélistes : Auteurs des Évangiles. Ils sont au nombre de quatre : saint Jean, saint Matthieu, saint Luc et saint Marc.
Fresque : Technique de peinture murale qui consiste à appliquer des couleurs délayées à l’eau sur un enduit frais. Le mot est d’origine italienne, il vient de fresco qui signifie frais. Toute œuvre peinte d’après ce procédé est aussi désignée sous le nom de fresque.