Grand camée de France

Grand camée de France

Auteur

Dimensions

H. 31 cm ; L. 26,5 cm

Provenance

Technique

Camée

Matériaux

Sardonyx

Datation

Première moitié du Ier siècle (dynastie des Julio-Claudiens)

Lieu de conservation

France, Paris, Bibliothèque nationale de France (BNF)

Comment assurer la succession de sa famille à la tête de l’Empire romain et affirmer sa légitimité ? Pourquoi un camée romain s’est-il retrouvé au Moyen Âge dans un trésor d’église ?

Le « grand camée de France » [ image principale ] témoigne du goût des Romains pour les arts précieux. C'est une œuvre exceptionnelle par ses dimensions et par son sujet, étroitement lié à l'histoire du premier siècle de l'Empire romain. La complexité de la mise en scène, la rareté du matériau et la virtuosité technique n'ont cessé d'être admirées tout au long du Moyen Âge puis de l'époque moderne.

La succession d'Auguste, fondateur de l'Empire romain

Réalisé dans une plaque de pierre dure de plus de trente centimètres de hauteur, le grand camée de France présente vingt-quatre figures sculptées en bas-relief et disposées en trois registres superposés. L'identification des personnages est souvent malaisée, mais la signification générale est claire : il s'agit d'affirmer la continuité dynastique de la famille d'Auguste (27 av. J.-C. - 14 apr. J.-C.), le fondateur de l'Empire romain. N'ayant pas de fils, Auguste, membre de la famille des Julii, a adopté pour lui succéder son beau-fils Tibère (14-37 apr. J.-C.), issu de la famille des Claudes. Cette succession vaut à la dynastie des empereurs qui règnent sur Rome jusqu'en 68 le nom de Julio-Claudiens.

Une œuvre de propagande dynastique

La partie supérieure [ détail b ] représente l'Olympe, le séjour des dieux, où siège Auguste divinisé. Auprès de lui, l'Amour, fils de Vénus, rappelle que, selon la légende, la déesse est la mère divine de la dynastie. Un personnage apporte le globe du pouvoir il peut s'agir d'Énée ou de la personnification de l'Éternité de Rome. À droite, Pégase élève vers l'Olympe un membre de la famille impériale devenu un héros.

Le registre médian figure le monde des vivants [ détail c ] : au centre est assis l'empereur Tibère [ image 1 ], les jambes couvertes de l'égide de Jupiter. Dans la main droite, il tient le sceptre, symbole du pouvoir politique, dans la gauche le bâton nommé lituus, crosse symbolique du pouvoir religieux. Assise à ses côtés se tient Livie [ image 2 ], sa mère, l'épouse d'Auguste. Le jeune homme porteur d'une cuirasse et debout face à Tibère est vraisemblablement celui qui est alors appelé à lui succéder : Germanicus, son neveu, ou Drusus III, l'arrière-petit-fils d'Auguste. L'identité de nombreux personnages reste problématique. Mais il est certain que la scène exprime le réseau complexe des liens familiaux qui se tissent autour du pouvoir et de sa transmission. Ainsi le jeune garçon chaussé de bottes, à gauche, pourrait bien être Caligula, qui succédera finalement à Tibère en l'an 37, suite à la disparition prématurée des autres prétendants au trône.

Au pied du trône impérial, un captif assis fait le lien avec le registre inférieur [ détail d ] où des familles de barbares vaincus, des Orientaux coiffés du bonnet phrygien et des Germains aux longues chevelures, symbolisent les conquêtes de Rome et l'étendue du pouvoir impérial sur le monde.

Ce n'est pas un simple tableau familial qu'il faut lire dans une image aussi complexe. Il s'agit d'une œuvre de propagande politique, qui a pour but de légitimer la place de la dynastie des Julio-Claudiens à la tête de l'empire. Porteuse d'un message dicté par le pouvoir en place, cette œuvre exceptionnelle est qualifiée de « grand camée d'État ». Aujourd'hui, seules deux pièces de ce type sont conservées. Outre le grand camée de France, la « Gemma Augustea » [ image 3 ] (conservée à Vienne, en Autriche) exécutée vers l'an 10, sous le règne d'Auguste, témoigne de la même préoccupation : transmettre le pouvoir au sein de la famille des Julio-Claudiens afin d'assurer la stabilité de l'empire.

Un âge d'or pour le travail des pierres dures

La technique de gravure des pierres dures ou gemmes est désignée sous le nom de « glyptique », dérivé du verbe grec qui signifie « graver ». Elle apparaît dès le IVe millénaire av. J.-C. au Proche-Orient. Ces pierres gravées se classent en deux catégories : les intailles [ image 4 ], lorsque le motif est en creux, et les camées, lorsqu'il est en relief.

Pour faire un camée, le graveur privilégie une pierre qui, comme la sardonyx, présente des couches de couleurs différentes, dont il pourra exploiter les contrastes. La plaque de sardonyx choisie pour graver le grand camée de France est remarquable par la superposition de cinq strates dont la couleur varie du brun aux roux clair et foncé alternant avec du blanc.

Le graveur se sert d'une couche sombre pour le fond, afin que les figures s'y détachent. Il donne ainsi une impression de profondeur [ détail c ]. Il représente les vêtements, les cuirasses et les coiffures dans des tons de brun ou de jaune et les chairs plus volontiers en blanc.

Le grand camée de France est le plus grand camée connu. La plupart des gemmes gravées sont de très petites dimensions. Ces pierres étaient appréciées pour leur beauté, mais aussi pour leur caractère magique et protecteur. Certaines étaient montées en bijoux, en particulier en bagues.

De la Rome antique à Paris, une histoire mouvementée

Le grand camée de France a connu une histoire mouvementée. Réalisé à Rome au début du Ier siècle, il a dû appartenir à un membre de la famille impériale peut-être a-t-il été exposé dans un édifice civil ou religieux. Après la chute de l'Empire romain d'Occident, on retrouve sa trace à Constantinople, dans les collections des empereurs byzantins.

Sans doute acheté par Saint Louis au XIIIe siècle, il entre dans le trésor de la Sainte-Chapelle de Paris. Il est alors enchâssé dans une somptueuse monture d'argent doré, ornée de pierres précieuses, de perles et de médaillons émaillés. La représentation de figures bibliques et évangéliques et la présence de logettes contenant des reliques conféraient à cette monture un caractère chrétien. Au Moyen Âge, le camée passait en effet pour représenter un épisode biblique : le triomphe de Joseph à la cour de Pharaon.

En 1620, l'érudit Nicolas-Claude Fabri de Peiresc comprend le premier qu'il s'agit d'une œuvre d'origine romaine. Dès lors, de nombreuses gravures reproduisent le camée et concourent à sa célébrité. Le peintre Rubens, féru d'antiquités, en fait une grande copie et s'en inspire dans l'un des tableaux qu'il peint pour la reine Marie de Médicis [ image 5 ]. C'est après la Révolution, en 1791, que le grand camée de France est déposé au Cabinet des médailles aux côtés des œuvres les plus insignes des collections nationales.

Hélène Bordier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/grand-camee-de-france

Publié le 22/09/2022

Ressources

La vie de Tibère dans Vies des douze Césars de Suétone

http://bcs.fltr.ucl.ac.be/suet/TIB/plan.html

Le grand camée de France, chef-d’œuvre du Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale de France

http://medaillesetantiques.bnf.fr/ws/catalogue/app/collection/record/ark:/12148/c33gbcsv8

Une étude sur le grand camée de France par J. Charbonneaux, publiée en 1948

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1948_num_92_1_78227

Une généalogie de la dynastie julio-claudienne

http://www.e-chronologie.org/genealogie/julioclaudiens.htm

Glossaire

Bas-relief : Type de sculpture en deux dimensions. Le matériau est creusé afin que la forme souhaitée apparaisse en épaisseur par rapport au fond.

Olympe : Dans la mythologie grecque, montagne où demeurent les dieux.

Énée : Héros antique de la guerre de Troie, fils d’Aphrodite et du mortel Anchise. Il fuit la ville en flammes en portant son père sur son dos. Son histoire épique, rapportée par Virgile dans L’Énéide, est associée aux origines de Rome.

Registre : Dans une œuvre peinte ou sculptée, lorsqu’un décor est réparti sur plusieurs bandes superposées, le registre désigne l’ensemble des éléments situés au même niveau.

Jupiter : Roi des dieux pour les Romains, vénéré sous le nom de Zeus par les Grecs.

Pégase : Cheval ailé de la mythologie grecque, né du sang de Méduse.

Héros : Dans la Grèce antique, personnage le plus souvent issu de l’union d’une divinité et d’un mortel auquel on prête des aventures exceptionnelles. Associé à la vie locale, un culte est rendu sur son tombeau.

Barbares : Pour les Grecs, tous les autres peuples. Pour les Romains, toutes les populations qui ne partagent pas la culture gréco-romaine.

Gemme : Pierre dure, considérée comme précieuse.

Intaille : Pierre dure gravée d’un motif en creux.

Camée : Pierre dure, de la famille des agates, gravée d’un motif en relief.

Byzance : Antique cité grecque de Byzantium, située sur l’embouchure du Bosphore, Byzance est rebaptisée Constantinople lorsque Constantin en fait la capitale de l’empire romain d’Orient en 324. Conquise par les Turcs au XVe siècle, elle devient capitale de l’Empire ottoman, puis de la Turquie moderne sous le nom d’Istanbul adopté à partir de 1930. Le nom antique de la cité subsiste dans l’adjectif « byzantin », qui qualifie la civilisation de l’empire chrétien d’Orient du Ve au XVe siècle.

Saint Louis : Roi de France de la dynastie capétienne qui régna sous le nom de Louis IX (1214-1270). Canonisé peu après sa mort pour son implication dans les croisades et pour sa piété, il a laissé l’image d’un souverain juste.

Sainte-Chapelle : Chapelle du Palais de l’île de la Cité à Paris, construite à l’initiative de saint Louis (Louis IX) et consacrée en 1348, afin d’abriter les reliques de la Passion du Christ.

Médicis : Famille florentine de banquiers collectionneurs et protecteurs des arts. Ses membres s’emparent progressivement du pouvoir à Florence au XVe siècle. Deux grands papes de la Renaissance en sont issus : Léon X (1475-1521) et Clément VII (1478-1534). Anoblie au XVIe siècle, la famille Médicis s’allie deux fois à la France en lui donnant deux reines et régentes : Catherine (1519-1589), épouse d’Henri II, et Marie (1575-1642), épouse d’Henri IV.

Aphrodite (Vénus) : Déesse de l’Amour et de la Beauté, vénérée sous le nom d’Aphrodite par les Grecs et de Vénus par les Romains. Selon Hésiode, la déesse serait née de l’écume fécondée par les organes sexuels d’Ouranos, tranchés par son fils Cronos. Son nom est donné aux statuettes préhistoriques, caractéristiques de la culture gravettienne, réalisées en pierre ou en ivoire, représentant des femmes aux formes généreuses.

Julio-Claudiens : Première dynastie d’empereurs romains. N’ayant pas de fils, Auguste (27 av. J.-C.-14 apr. J.-C.), membre de la famille des Julii, adopte pour lui succéder son beau-fils Tibère (14-37 apr. J.-C.), issu de la famille des Claude. Cette succession vaut à la dynastie des empereurs qui règnent sur Rome jusqu’en 68 le nom de Julio-Claudiens.