La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste enfant Michel-Ange
La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste enfant
Détail d’Adam
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Remarquez-vous les deux mondes qui coexistent dans ce tableau ?
À la fois peintre, sculpteur, architecte et même poète, Michelangelo Buonarroti, dit Michel-Ange, est l'un des plus célèbres artistes de la Renaissance italienne.
Fils d'une vieille famille florentine, Michel-Ange entre dès l'âge de 13 ans en apprentissage dans l'atelier du peintre Domenico Ghirlandaio. Son talent précoce attire bientôt l'attention de Laurent le Magnifique, homme d'État de la puissante famille des Médicis, qui l'accueille dans son entourage marqué par la pensée humaniste. La crise politique qui éclate à Florence après la mort de Laurent en 1492 pousse Michel-Ange à quitter la ville. Il rejoint Rome en 1496 et répond à de nombreuses commandes, notamment pour le pape Jules II, en tant qu'architecte pour la basilique Saint-Pierre, en tant que sculpteur pour son tombeau et en tant que peintre pour la chapelle Sixtine. Plus que tout autre, son art, sans cesse renouvelé, incarne l'esprit de la Renaissance.
Une œuvre de dévotion
Durant sa période de formation florentine, le jeune Michel-Ange découvre les marbres antiques et affirme son goût pour des formes puissantes. Il s'intéresse aussi aux peintures des artistes florentins qui l'ont précédé, tels que Giotto image 1 et Masaccio image 2.
Parallèlement à ses premiers grands marbres, comme la Pietà de la basilique Saint-Pierre ou encore David image 3, l'artiste fait aussi ses preuves en peinture avec La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste enfant, dit Tondo Doni image principale.
Ce tableau de forme ronde (tondo) résulte d'une commande passée par Agnolo Doni, un riche marchand et mécène florentin, associé à la puissante famille Strozzi par son mariage avec Maddalena Strozzi image 4. Elle représente la Sainte Famille, réunissant la Vierge, l'Enfant Jésus et saint Joseph. Cette œuvre religieuse, destinée à la sphère privée, a sans doute été réalisée à l'occasion d'un événement familial, le mariage des commanditaires ou la naissance de leur fille.
Une composition élaborée
Dans ce tondo, Joseph tend l'Enfant à Marie, qui se tourne pour le saisir dans un mouvement de torsion exagéré. Les trois figures, situées au premier plan, s'inscrivent dans une forme pyramidale.
Derrière eux, un muret crée une séparation horizontale entre le premier plan et l'arrière-plan. Le petit saint Jean-Baptiste, tenant une croix, se tient derrière, à la lisière image b. Son regard et celui de Marie convergent vers l'Enfant Jésus dans un mouvement d'élévation.
Des personnages masculins, nus à la manière des statues antiques, occupent l'arrière-plan.
La composition est construite en mêlant deux perspectives ayant chacune leur propre point de fuite, celui de l'arrière-plan étant abaissé par rapport à celui du premier plan.
D'un monde à l'autre
L'œuvre, qui s'inscrit dans un cercle de forme parfaite, met en scène le monde ancien et le nouveau : le second commence avec la naissance du Christ, tandis que le premier est symbolisé par les nus (ignudi) à l'arrière-plan, qui posent à la façon des marbres antiques et incarnent l'humanité païenne. La posture de l'un d'eux image c, sur la droite, assis les jambes écartées, le bras tendu, est d'ailleurs inspirée du groupe du Laocoon image 5, découvert à Rome en 1506 et aussitôt acquis par le pape Jules II.
Le recours à la double perspective est lui aussi symbolique, la perspective du monde païen étant plus basse que celle du monde religieux.
Les deux univers sont représentés sans être mêlés. Saint Jean-Baptiste, à la jonction entre les deux, occupe une place de passeur, le sacrement du baptême qu'il instaure permettant d'accéder au monde nouveau. L'image représente en quelque sorte l'étape initiatique de la conversion d'un monde à l'autre.
Les prémisses du maniérisme
Dans ce mélange de païen et de religieux, Michel-Ange exalte la torsion des corps et l'ampleur des drapés, sous un éclairage quasi théâtral. Ces choix esthétiques, surprenants dans une image sainte, renouvellent totalement le genre. Le corps de l'Enfant Jésus prend appui sur celui de sa mère dans une contorsion qui paraît très exagérée. De même, la Vierge, dans son mouvement de côté pour attraper l'Enfant, adopte une position bien peu confortable et inhabituelle dans la représentation traditionnelle, sage et équilibrée du thème de la Vierge à l'Enfant. Les muscles saillants sont mis en valeur par les effets d'ombre et lumière : épaule, avant-bras, main et visage semblent sculptés et traités comme un haut-relief image d. Cette manière sculpturale de peindre rappelle le Tondo Pitti image 6, sculpté dans le marbre par Michel-Ange. La luminosité des couleurs éclate et l'intensité des contrastes évoque un univers surnaturel.
Le Tondo Doni peut être considéré comme une œuvre essentielle dans le parcours d'un artiste en pleine possession de ses moyens. Deux ans plus tard, Michel-Ange s'attaque à son grand œuvre, la peinture de la voûte de la chapelle Sixtine image 7 dans cet univers empli de formes humaines qui invoque le divin, son génie culmine. L'artiste florentin passe les trente dernières années de sa vie à Rome, où il décède à l'âge de 89 ans, au sommet de sa gloire.
Par ses audaces chromatiques et la puissance des corps qu'il représente, Michel-Ange renouvelle le langage artistique. Il joue un rôle fondamental dans le développement du maniérisme en Europe au XVIe siècle en effet, la personnalité, le style, la liberté d'invention de Michel-Ange apparaissent comme des modèles pour les peintres de ce mouvement, florentins et romains notamment.
Mots-clés
Véronique Duprat-Roumier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-sainte-famille-avec-saint-jean-baptiste-enfant
Publié le 29/04/2020
Ressources
Un texte sur la Renaissance italienne sur le site Histoire de l’art
http://www.histoiredelart.net/courants/la-renaissance-1.html
Un texte sur le Tondo Doni sur le site de la Galerie des Offices (Florence, Italie)
https://www.virtualuffizi.com/fr/michelangelo-buonarroti-et-le-tondo-doni.html
Une biographie de Michel-Ange sur le site L’Internaute
https://www.linternaute.fr/biographie/art/1775128-michel-ange-biographie-courte-dates-citations/
Glossaire
Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.
Allégorie : Représentation figurée d’une idée abstraite.
Maniérisme : Courant artistique né en Italie au XVIe siècle que l’on considère comme la dernière phase de la Renaissance. Il tire son nom du mot italien maniera utilisé pour désigner le style personnel d’un artiste. Pour les peintres qui se rattachent à ce courant, l’effet de style prime sur l’équilibre et l’harmonie. Ils se distinguent par une élégance du dessin, des compositions complexes privilégiant tensions et déséquilibres, une distance par rapport à l’imitation servile de la nature.
Perspective : Technique qui permet de représenter l’espace et les objets avec de la profondeur et des volumes sur une surface plane pour donner l’illusion de la troisième dimension.
Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.
Médicis : Famille florentine de banquiers collectionneurs et protecteurs des arts. Ses membres s’emparent progressivement du pouvoir à Florence au XVe siècle. Deux grands papes de la Renaissance en sont issus : Léon X (1475-1521) et Clément VII (1478-1534). Anoblie au XVIe siècle, la famille Médicis s’allie deux fois à la France en lui donnant deux reines et régentes : Catherine (1519-1589), épouse d’Henri II, et Marie (1575-1642), épouse d’Henri IV.
Humanisme : Mouvement de la pensée qui se développe au cours de la Renaissance et qui met au cœur de ses valeurs la personne humaine, sa dignité et son épanouissement, accompagné d’un retour aux sources gréco-latines
Tondo : Abréviation de rodonto (« rond »). Mot italien désignant une œuvre d’art, peinture ou sculpture, de forme ronde.