Au Moulin Rouge Toulouse-Lautrec Henri de
Au Moulin Rouge
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Toulouse-Lautrec, témoin de la vie moderne ou acteur de la modernité ?
Henri de Toulouse-Lautrec naît à Albi en 1864, dans une vieille famille aristocratique. Il montre précocement des talents de dessinateur. À 19 ans, il suit une formation classique à Paris auprès de peintres académiciens comme Léon Bonnat ou Fernand Cormon.
Dès son installation à Montmartre, en 1884, il peint des scènes de la vie moderne, dans la lignée d'Édouard Manet et des impressionnistes. Proche des Nabis et de l'Art nouveau, il ne fait pas de hiérarchie entre les arts et pratique aussi bien la lithographie que la peinture. Son premier grand succès est une affiche qu'il réalise pour le Moulin Rouge image 1 en 1891. Pendant plusieurs années, Montmartre et sa vie nocturne trépidante sont au cœur de son œuvre.
Montmartre et le monde de la nuit parisienne
La butte Montmartre est intégrée à la ville de Paris en 1860. Elle devient alors le lieu de divertissement par excellence et attire de nombreux artistes, dont Pierre-Auguste Renoir, Edgar Degas et Vincent Van Gogh.
Comme eux, Toulouse-Lautrec fréquente les nombreux bals publics, cafés-concerts et cabarets du quartier, tels l'Élysée Montmartre ou son rival, le Moulin Rouge, ouvert en 1889 et dont il devient l'affichiste attitré.
L'artiste observe sans préjugé ces lieux de plaisir où se mêlent les différentes classes sociales, artistes (danseuses, chanteuses, chansonniers), public populaire ou bourgeois. C'est dans ce contexte qu'il peint Au Moulin Rouge image principale, une de ses toiles les plus grandes et les plus ambitieuses.
De célèbres danseuses du Moulin Rouge
D'un format carré assez rare, la composition offre une vue en forte plongée sur l'intérieur du Moulin Rouge.
Le premier plan, à gauche, est partiellement occulté par une large balustrade.
À droite, le spectateur est frappé par l'apparition d'une figure féminine image b dont la silhouette est coupée par le bord du tableau. Le visage de la femme, blafard, aux ombres verdâtres, aux lèvres rouges et aux cheveux jaunes, surgit tel un masque saisissant et contraste avec la robe sombre qu'elle porte. Il s'agit sans doute de May Milton, une danseuse anglaise à la chevelure blonde venue se produire sans grand succès à Paris en 1895, et dont l'artiste s'était entiché, lui consacrant une affiche image 2.
Dans le groupe central des personnages assis autour d'une table image c, deux autres femmes attirent l'attention.
L'une, représentée de dos et vêtue d'une robe à collerette, frappe par son éclatante chevelure rousse. C'est peut-être de Jane Avril, danseuse au Moulin Rouge, une grande amie de Toulouse-Lautrec dont elle est l'égérie. Sa silhouette mince et élégante, coiffée d'un grand chapeau à plumes, se retrouve dans de nombreuses œuvres du peintre, tableaux, affiches, lithographies.
L'autre femme, de face, porte une robe à carreaux. Son visage rond et pâle, fortement éclairé, est détaillé très précisément : la Macarona, une danseuse espagnole qui connaît un grand succès au Moulin Rouge, où elle fait la connaissance de Toulouse-Lautrec. Celui-ci la représente d'ailleurs en costume de jockey dans un dessin en 1893.
A l'arrière-plan, on reconnaît aisément La Goulue, à sa blondeur et à son chignon haut, dans la jeune femme qui se recoiffe devant le miroir image d. Au début des années 1890, Louise Weber, dite La Goulue, est la grande vedette du Moulin Rouge, où sa sensualité fait merveille dans des danses débridées comme le cancan ou le chahut. Comme Jane Avril, c'est une amie et une muse de Toulouse-Lautrec, qui la représente à de nombreuses reprises image 1. Elle quitte le cabaret en 1895 pour entamer une carrière en solo.
Une femme au lourd visage un peu caricatural l'accompagne il s'agit peut-être de la Môme Fromage, une autre danseuse du Moulin Rouge.
Un public masculin de la haute société
Les hommes, quant à eux, sont des bourgeois ou des aristocrates, comme Toulouse-Lautrec qui se représente traversant le fond de la salle à côté de Gabriel Tapié de Céleyran, son cousin image d. Le peintre joue du contraste entre leurs deux silhouettes : son cousin est grand et mince, tandis que lui-même ne dépasse pas 1,52 m en raison de la maladie génétique dont il souffre.
Ce sont des amis de Toulouse-Lautrec qui sont assis autour de la table image c.
À gauche, l'écrivain Édouard Dujardin, critique littéraire et musical, est reconnaissable à sa longue barbe ondulée, son monocle et sa canne. Il figure dans l'affiche du Divan japonais aux côtés de Jane Avril.
Au centre, l'homme à la petite moustache aux extrémités recourbées est Paul Sescau, un photographe spécialisé dans les reproductions de tableaux, notamment ceux de Toulouse-Lautrec. Ce dernier l'avait déjà portraituré en 1891.
À droite, la silhouette massive, un peu tassée sur son siège, et l'épaisse barbe noire sont celles de Maurice Guibert, peintre amateur et photographe.
Une peinture d'avant-garde, originale et audacieuse
Toulouse-Lautrec reprend ici un procédé de composition qu'il avait déjà utilisé avec succès en 1889 dans Le Moulin de la Galette.
La balustrade forme une ligne oblique qui est contrebalancée par celles du parquet. Ce dispositif original enserre le groupe attablé dans un espace fortement construit, tout en le mettant à distance. À cause de la vision en forte plongée, le parquet semble remonter à la verticale, comme dans certains tableaux d'Edgar Degas image 3 et les estampes japonaises dont Toulouse-Lautrec était friand. On retrouve la même audace que chez Degas dans le cadrage et les effets de lumière artificielle, comme en témoigne la figure de May Milton sur la droite image b.
La technique est très variée, alternant une touche parfois libre et rapide (la balustrade, le fond de la salle) et un travail précis et plus épais (les visages parfaitement caractérisés). Les quelques notes vives, peu nombreuses mais stridentes, sont mises en valeur par les teintes brunes, grises et vertes qui dominent la composition.
On peut être surpris de l'atmosphère mélancolique de la scène dans un lieu comme le Moulin Rouge, qui évoque la fête et les plaisirs. Les personnages sont assis côte à côte sans échanger un regard, les visages sont inexpressifs. Toulouse-Lautrec semble montrer la distance infranchissable qui existe entre les êtres, hommes et femmes, artistes et bourgeois.
Après 1895, Toulouse-Lautrec s'éloigne de Montmartre pour trouver de nouvelles sources d'inspiration, notamment dans le théâtre contemporain.
Vidéos
Toulouse-Lautrec, une vidéo de la série « Les Grands Maîtres de la peinture » :
Françoise Besson
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/au-moulin-rouge
Publié le 15/10/2019
Ressources
Des commentaires spécialement destinés aux enfants sur le site du musée d’Orsay
https://www.petitsmo.fr/les-artistes/henri-de-toulouse-lautrec
Des fiches thématiques sur la vie et l’œuvre du peintre
https://musees-occitanie.fr/encyclopedie/artistes/henri-de-toulouse-lautrec/
Le dossier pédagogique de l’exposition du Grand Palais
https://www.grandpalais.fr/fr/article/exposition-toulouse-lautrec-le-dossier-pedagogique
Le site internet du musée Toulouse-Lautrec à Albi
Une étude sur les bals et les spectacles parisiens sur le site L’Histoire par l’image
https://www.histoire-image.org/fr/etudes/baraque-goulue-bal-bullier
Une présentation de l’exposition « Toulouse-Lautrec. Résolument moderne » au Grand Palais (9 octobre 2019 – 27 janvier 2020)
https://www.grandpalais.fr/fr/article/henri-de-toulouse-lautrec-de-retour-paris
Une présentation des panneaux peints par Toulouse-Lautrec pour la Goulue au musée d’Orsay
Glossaire
Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.
Nabi : Mot d’origine hébraïque signifiant « prophète ». Il désigne un groupe d’artistes postimpressionnistes, à la recherche d’une peinture nouvelle. Rassemblés à partir de 1888 autour de Paul Sérusier, les nabis partagent une esthétique faite de formes épurées, d’aplats de couleur, de contours, et parfois un certain sens du symbolisme et de la religiosité. Par ses écrits, le peintre Maurice Denis ne tarde pas à en devenir le théoricien. Sa formule, « un tableau […] est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées », traduit bien l’esprit de synthèse qui anime les nabis.
Art nouveau : Style qui se développe dès la fin du XIXe siècle, d'abord en Belgique et en France. Il s’épanouit dans l’architecture et dans les arts décoratifs. La recherche de fonctionnalité est une des préoccupations de ses architectes et designers. L’Art nouveau se caractérise par des formes inspirées de la nature, où la courbe domine.