Bassin Muhammad ibn al-Zayn
Bassin
Armoiries de Tuquztemür, vice-Roi de Syrie
Auteur
Dimensions
Provenance
Technique
Matériaux
Datation
Lieu de conservation
Pourquoi cet objet d’art islamique porte-t-il le nom d’un roi de France ?
Ce grand bassin en laiton image principale, incrusté d'or, d'argent et de pâte noire, est l'un des chefs-d'œuvre du département des Arts de l'Islam du musée du Louvre. Il est curieusement appelé le « baptistère de saint Louis », mais cette appellation est trompeuse.
Un objet lié aux rois de France
Le bassin est mentionné dès la fin du Moyen Âge dans l'inventaire du trésor royal de la Sainte-Chapelle du château de Vincennes. Beaucoup plus tard, en 1606, il est utilisé pour le baptême du futur Louis XIII (1601-1643), et est alors dénommé « baptistère ». C'est au XVIIIe siècle qu'il prend le nom de saint Louis, le roi le plus célèbre du Moyen Âge, même si la création de cet objet est postérieure au règne du monarque (1226-1270). En 1821, le bassin est utilisé pour le baptême du petit-neveu de Louis XVI, futur duc de Bordeaux. À cette occasion, deux petites plaquettes d'argent ornées des armoiries royales françaises (écu à trois fleurs de lys sous une couronne de roi de France) sont fixées sur sa paroi intérieure détail b.
Un bassin créé dans le Levant des Mameluks
Sous le rebord du bassin, une inscription en argent incrusté détail c, rédigée en arabe, prouve l'origine orientale de l'objet. Elle explique que ce dernier est l'œuvre du maître Muhammad ibn al-Zayn, nom que l'on retrouve, dans les salles des Arts de l'Islam du Louvre, sur un élégant petit bassin réalisé en Égypte au XIVe siècle image 1.
À cette époque, le pays est gouverné par les Mameluks, anciens esclaves-soldats turcs qui ont pris le pouvoir au milieu du XIIIe siècle en renversant les Ayyubides, souverains d'Égypte et de Syrie qu'ils servaient jusque-là. Redoutables combattants, ils mettent fin aux croisades, renvoient définitivement les Francs du Levant et instaurent sur leur territoire un solide gouvernement militaire, qui dure jusqu'au début du XVIe siècle et correspond à une période faste de l'histoire syro-égyptienne. La plupart des édifices médiévaux subsistant au Caire, surtout des mosquées, datent de leur règne.
Un chef-d'œuvre de métal
Sous les Mameluks, les artistes signent encore rarement leurs œuvres. Le fait que Muhammad ibn al-Zayn ait gravé son nom en cinq endroits différents du décor du bassin indique qu'il était probablement un artiste très reconnu en son temps et, par conséquent, recherché par d'importants commanditaires, ce que la haute qualité de l'objet et son décor confirment.
Les artisans du monde islamique ont toujours excellé dans le travail du métal, produisant des objets faits d'alliages de cuivre et ornés de décors gravés ou découpés dans des plaques d'argent, de cuivre et parfois d'or. Ce bassin est fait d'une seule feuille de laiton incrustée de plaquettes d'argent découpées en forme de personnages, d'animaux et de végétaux. L'emplacement de chaque motif a d'abord été gravé, puis la plaquette a été martelée dessus, adhérant solidement au fond incisé. Les détails ont par la suite été précisés par gravure et souvent rehaussés par incrustation de pâte noire. Des plaquettes d'or ont aussi été utilisées : certaines subsistent sur le fond du bassin.
Ce type de grand bassin, aux parois verticales légèrement évasées au sommet, est apparu dans l'art de l'Islam au XIIIe siècle. En général utilisé pour des ablutions, il est souvent accompagné d'une aiguière assortie (ce bassin en a probablement eu une, hélas perdue). Destiné à d'importants personnages, il porte fréquemment un décor évoquant les activités de ceux-ci (guerre et vie de cour).
Un décor princier
De fait, si, à l'intérieur du bassin du musée du Louvre, le fond est décoré de poissons image d, motifs rappelant la fonction de l'objet (contenir de l'eau), le haut des parois montre des cavaliers chassant, notamment le lion, ou se battant, armés d'arcs, d'épées ou de lances. Ces scènes, parfois très violentes (des fragments de corps humains sont représentés entre les jambes des chevaux), sont séparées par quatre médaillons, dont deux représentent un personnage en suivant l'iconographie traditionnelle, dans l'art islamique ancien, du prince trônant : de face, assis à l'orientale (en tailleur) et tenant une coupe contre sa poitrine détail b.
Un grand bandeau orne l'extérieur du bassin et montre de nombreux officiers (surtout des militaires, sabre au côté) se divertissant. Quatre personnages sont à cheval, figurés chacun dans un médaillon. Deux de ces cavaliers sont des chasseurs : l'un transperce un ourson avec sa lance image c, tandis que l'autre, tenant un arc, est précédé d'un guépard tenu en laisse et dressé sur ses pattes postérieures image e. Cette dernière représentation illustre le privilège des riches princes musulmans de pouvoir faire capturer des guépards sauvages puis de les faire dresser pour les aider à la chasse sur certains objets princiers, comme ce bassin, le guépard peut aussi être assis sur la croupe du cheval, derrière le cavalier image b. Dans un autre médaillon, un cavalier semble porter sur l'épaule une crosse de polo image f. Ce sport est alors très répandu chez les aristocrates et militaires musulmans, améliorant l'agilité des cavaliers, et donc aussi l'habileté au combat à cheval. Il est particulièrement apprécié des Mameluks, qui portent les arts équestres à un très haut niveau image 2. Enfin, entre certains médaillons, apparaissent des scènes de préparatifs d'un banquet détail g, dans lesquelles des serviteurs apportent coupe, grand plat ou bouteille à long col en usage à l'époque image 3.
Les personnages se détachent sur un arrière-plan végétal dense, dans lequel se trouvent des oiseaux volant, les faucons et chiens des chasseurs, mais aussi un petit lapin nous regardant, assis sur son arrière-train détail h. D'autres animaux (gazelles, guépards, licorne, éléphant, lion, dromadaire…) courent sur la frise qui longe, en haut et en bas, ce bandeau central détail c détail e détail f.
La somptuosité et le décor de cet objet renvoient à l'évidence à un destinataire de très haut rang, dont les armoiries auraient peut-être dû figurer dans deux des quatre médaillons de l'intérieur du bassin qui n'ont pas été décorés par Muhammad ibn al-Zayn, et sur lesquels seront apposées, au XIXe siècle, les armes de France. Son identité reste donc un mystère.
Ressources
A la découverte des arts de l'Islam
https://www.louvre.fr/oeuvre-notices/bassin-dit-baptistere-de-saint-louis
L’article Wikipédia consacré à l’œuvre
https://fr.wikipedia.org/wiki/Baptist%C3%A8re_de_Saint_Louis
Un article sur l’œuvre sur le site du projet Qantara
https://www.qantara-med.org/public/show_document.php?do_id=1393
Glossaire
Baptistère : cuve utilisée dans la religion chrétienne pour le rituel du baptême.
Francs : Croisés (en grande partie français).
Levant : territoires de la côte syro-palestinienne.
Ablutions : lavage rituel du corps à l’eau.
Aiguière : cruche ou carafe de facture raffinée.
Polo : sport pour deux équipes de cavaliers devant envoyer, avec un maillet, une balle dans des buts.