Char miniature de Mérida

Char miniature de Mérida

Revers

Auteur

Dimensions

H. 12 cm ; L. 28 cm

Provenance

Espagne, Estrémadure, Badajoz, Mérida

Technique

Sculpture

Matériaux

Bronze

Datation

IIe-Ier siècle av. J.-C.

Lieu de conservation

France, Saint-Germain-en-Laye, musée d'Archéologie nationale

En quoi cet objet révèle-t-il la richesse du thème du char et de la chasse dans la culture celtique ?

Découvert à Mérida (Estrémadure), ville espagnole célèbre pour son patrimoine archéologique romain, cet objet en bronze image principale est un témoignage précieux de la culture celtibère, attestée dans la région avant la conquête romaine. Par son sujet, un chasseur en pleine action entouré d'animaux, et son petit format, il pourrait évoquer un jouet, mais il est en réalité porteur d'une riche symbolique. Bien que son contexte archéologique ne soit pas connu, on estime qu'il a été réalisé entre le IIe et le Ier siècle av. J.-C. Il semble que cette sculpture ait été découverte démontée, une caractéristique propre aux objets votifs ou cérémoniels dans la culture celtique.

Vivacité d'une scène mouvementée

L'objet est composé d'un chariot, formé d'une plateforme rectangulaire de bronze montée sur quatre roues, sur lequel trois statuettes représentant les protagonistes d'une scène de chasse sont fixées : un homme à cheval, muni d'une lance (ajoutée lors d'une restauration moderne), accompagné de son chien et poursuivant un sanglier.

La scène est haletante et pleine de vivacité : le cavalier s'apprête à frapper le sanglier. À la droite de l'homme, des encoches réalisées sur la plateforme image b indiqueraient l'existence d'une quatrième statuette aujourd'hui perdue, représentant probablement un sanglier ou un chien. Le char est pourvu de six clochettes image c qui tintaient lorsque l'objet était mis en action.

Une datation complexe

L'œuvre, réalisée à la fonte à la cire perdue, est datée entre le IIe et le Ier siècle av. J.-C. Mais une récente analyse des métaux utilisés indique que certaines pièces remonteraient au Ve siècle av. J.-C. La sculpture serait donc le résultat d'un réemploi d'éléments anciens (peut-être conservés pour leur caractère sacré) et d'ajouts postérieurs.

Le rendu des animaux est assez naturaliste, ce qui indiquerait une influence gréco-romaine. Notons toutefois une nette simplification des formes et un certain goût pour le décor géométrique : le harnachement du cheval et le vêtement du cavalier sont ornés de petits ronds image d, tandis que la robe du sanglier est formée de chevrons image e. Ce goût pour l'ornement géométrique et la stylisation est une caractéristique de l'art celtique.

Le char, véhicule symbolique de l'au-delà

Afin d'éclairer le sens de cet objet, il convient de remonter dans le temps. Chez les Celtes, le char, qu'il soit à quatre roues (période de Hallstatt) ou à deux (période de La Tène), est associé au pouvoir et à l'élite. Marque de supériorité sociale, il pouvait, lors de funérailles, être utilisé pour exposer le corps du défunt ou lors de processions, durant lesquelles il conduisait littéralement celui-ci dans l'au-delà. La célèbre tombe dite de la Dame de Vix (Côte-d'Or), datant de la fin de la période de Hallstatt, en témoigne : si le char qu'elle renfermait a été découvert démonté, les diverses reconstitutions proposées montrent un véhicule très luxueux image 1.

Le char est donc associé à l'au-delà. L'image de la roue matérialiserait peut-être un temps cyclique, symbole d'éternité. Cette éternité est le privilège du prince ou du guerrier, invité à partager un banquet où l'ivresse tient une place centrale. Ainsi, la tombe de la Dame de Vix, comme d'autres tombes de la même époque, renfermait un service complet destiné à la consommation de boissons alcoolisées lors du banquet funéraire, inspiré des récits homériques.

Le sanglier : la puissance primordiale

Le sanglier, représenté ici en tant que proie, est porteur d'une double symbolique fondamentale, celle de la destruction et de la création.

Animal courageux et gibier de choix, il incarne la vigueur et l'abondance. Cherchant sa nourriture dans le sol (les glands de chêne, notamment), le sanglier est associé aux forces de la terre et aux puissances de la mort. Le porc est d'ailleurs un mets très apprécié des Celtes, qui l'élèvent de manière assez intensive. Ressource au cœur de l'hiver, il apporte donc la vie : c'est la viande consommée lors de la fête de Samain, qui est célébrée chaque année au mois de novembre.

Mais cette vigueur peut mener à la destruction violente du monde. Le sanglier se voit attaché à une symbolique guerrière très importante, comme en témoignent les carnyx image 2. Il semble être l'incarnation d'un dieu, dont le nom ne nous est pas parvenu. Dans la mythologie celtique, les métamorphoses constantes des dieux les rendent insaisissables et tout-puissants. De fait, le doute subsiste quant à l'interprétation de certaines œuvres figurant des sangliers : incarnation d'un dieu ? animal totémique des ancêtres ou des guerriers ? Ce qui est certain, c'est que son image est prestigieuse image 3. Le territoire celtibère est d'ailleurs émaillé de statues représentant des porcs mâles (quelquefois des taureaux), appelées verracos (« verrats »).

Cavalier et cheval : la lumière

Le cavalier avec son cheval est un thème récurrent dans l'art celtique image 4. Le cheval, animal rapide et farouche, est associé depuis l'âge du Bronze au soleil et au retour cyclique de la lumière. Ici, le guerrier à cheval pratiquant la chasse au sanglier symboliserait donc la quête d'équilibre entre les forces de destruction et de création.

Illustration d'un mythe ?

Cette scène pourrait donc illustrer un mythe, celui d'une chasse dans l'autre monde. En terrassant un dieu, les hommes puiseraient leur force de cette victoire.

Lorsqu'il roulait, le char de Mérida mettait en action cette scène fondamentale de chasse fantastique avec, au centre de sa symbolique, l'équilibre du cosmos. Il devait servir dans le cadre de rituels, dont la teneur nous échappe aujourd'hui. En effet, les Celtes ne pratiquaient pas l'écriture, et leur religion est restée incompréhensible aux Grecs et aux Romains. La symbolique de ce thème s'est transmise par le biais de la culture orale. Il a par la suite été exploité par les bardes gallois du Moyen Âge, qui ont conçu le cycle arthurien.

Sylvaine Joy

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/char-miniature-de-merida

Publié le 11/02/2022

Ressources

La fiche descriptive de l’œuvre sur le site du musée d’Archéologie nationale

https://musee-archeologienationale.fr/objet/le-char-de-merida-espagne

La galerie des objets protohistoriques en France sur le site de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap)

https://galeriemuseale.inrap.fr/index.php/Browse/objects/key/ecc7411b22d8481e480b6140ebe83778/facet/chronomusee_facet/id/39602/view/images

Une présentation du char cultuel de Roissy sur le site du musée d’Archéologie nationale

https://musee-archeologienationale.fr/decouvrir/focus-sur/le-char-ceremoniel-de-roissy

Une vidéo de la conférence de Bastien Dubuis, Émilie Millet et François Mirambet sur la découverte d’une tombe à char du premier âge du Fer à Lavau (Troye), publiée par l’École nationale des chartes

https://youtu.be/Imjo04TEDFE

Glossaire

Fonte à la cire perdue : Technique de fonte inventée au début du IVe millénaire av. J.-C., qui consiste à remplacer la cire évacuée du moule par du métal en fusion. Pour ce faire, trois étapes sont nécessaires : – l’objet initial à mouler, réalisé en cire, est placé dans une gangue d’argile ; – la gangue d’argile est chauffée et la cire s’évacue par des canaux spécialement aménagés à cet effet ; – le métal fondu est introduit dans les creux ainsi obtenus par d’autres canaux prévus pour la coulée.

Votif : Adjectif s’appliquant à un objet donné en offrande à une divinité, en vue de répondre à une prière ou en gage d’un vœu.

Celtibère : Culture celtique (indo-européenne) rassemblant plusieurs peuples, installés dans le Centre et l’Ouest de la péninsule Ibérique depuis au moins la fin de l’âge du Bronze (1500-1200 av. J.-C.), très imprégnée de culture ibérique (non indo-européenne). Elle s’affirme pendant le second âge du Fer au Ve siècle av. J.-C., son apogée se situant vers le IIIe-IIe siècle av. J.-C. et disparaît avec la romanisation, au Ier siècle av. J.-C. Toujours sujette à hypothèses quant à l’origine de sa langue et les caractéristiques de son métissage indo-européen/ibère, la culture celtibère semble plus proche de la culture ibère que des cultures celtiques contemporaines de Gaule, par exemple. Toutefois, les dieux du panthéon celtique, tels que Lug, le dieu de la lumière, y sont présents, ainsi que le bestiaire symbolique. À cette époque, les Celtes ne sont pas en contact direct avec le monde grec, mais les échanges commerciaux sont déjà intenses entre le Nord de l’Europe et la Méditerranée. C’est l’époque des chefferies et des riches tombes à tumulus, telles celles de la Dame de Vix (Côte-d’Or) et du prince de Hochdorf (Sarre, Allemagne). Caractérisées par la présence d’un char à quatre roues, ces tombes témoignent de l’adoption par les Celtes des pratiques du banquet funéraire méditerranéen, notamment par la présence de services à boisson très luxueux. Cette époque voit l’émergence d’une élite guerrière, ainsi que de grands mouvements migratoires de populations celtiques en Europe. Le monde gréco-latin entre alors en contact direct avec les peuples celtiques.

Celtes : Populations de l’âge du fer qui ont occupé une partie de l’Europe de l’Ouest, notamment la Gaule, dans la seconde moitié du premier millénaire avant J.-C. Leur culture s’efface peu à peu du fait de la conquête romaine, mais perdure dans les îles Britanniques jusqu’au début du Moyen Âge. Aujourd’hui encore, il en subsiste des traces.

Chevron : Élément décoratif en forme de V.

Samain : L’une des quatre fêtes celtiques célébrant les différentes étapes de l’année, connues grâce aux sources écrites médiévales irlandaises. Fêtée en novembre, à l’époque de l’actuel Halloween des Anglo-Saxons, elle marquait le début de l’année, démarrant aux jours sombres.

Carnyx : Trompette de guerre verticale, au son puissant.

La Tène : Appelée second âge du Fer, cette période s’étend de – 475 à – 50 av. J.-C. et prend fin avec la romanisation. La Tène est un site archéologique au bord du lac de Neufchâtel.

Hallstatt : Appelée premier âge du Fer, cette période s’étend de 800 à 475 av. J.-C. Hallstatt est le nom d’une nécropole située dans les Alpes autrichiennes, couvrant la période de la fin de l’âge de Bronze et du premier âge du Fer.

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