Daniel dans la fosse aux lions

Daniel dans la fosse aux lions

Auteur

Dimensions

H. 49,5 cm ; L. 53 cm ; P. 51 cm

Provenance

abbatiale Sainte-Geneviève de Paris

Technique

Sculpture

Matériaux

Marbre

Datation

VIe siècle et début XIIe siècle

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

En quoi ce chapiteau à décor figuré est-il caractéristique de la sculpture romane ? Quelle était la fonction des images dans l’art roman ?

D'une église à l'autre : un bel exemple de réemploi

Ce chapiteau provient de l'église abbatiale Sainte-Geneviève de Paris, construite à la fin du XIe siècle et au début du XIIe siècle sur la montagne Sainte-Geneviève et consacrée à la sainte patronne de la ville, dont elle abritait les reliques [ image 1 ]. Mais il décorait auparavant la basilique des Saints-Apôtres, fondée sur le même emplacement par le roi des Francs Clovis et son épouse Clothilde au début du VIe siècle. En effet, le chapiteau a été retaillé dans un autre plus ancien, dont on aperçoit encore au revers le décor de feuilles d'acanthe [ détail b ]. L'usage du marbre, matériau noble et coûteux, devient rare au début du Moyen Âge et s'explique ici par le réemploi. Seuls des ateliers situés dans les Pyrénées, près des carrières de marbre, continuent à travailler cette pierre difficile à tailler et même à exporter leur production jusqu'en région parisienne. Aussi, quand l'église est reconstruite après avoir été dévastée par les Vikings au IXe siècle, ce précieux chapiteau est réutilisé, mais reçoit un nouveau décor.

Le chapiteau, un élément clé de l'architecture depuis l'Antiquité

Un chapiteau est un bloc de pierre taillé qui couronne le fût d'une colonne et soutient la retombée d'un arc ou un entablement. Il joue ainsi un rôle fondamental dans l'architecture, car il permet de passer d'un plan circulaire à un plan carré ou rectangulaire. Depuis l'Antiquité, le chapiteau constitue un support privilégié de la sculpture. Sa partie la plus haute porte le nom de corbeille à cause de sa forme évasée. Il existe une grande continuité dans le décor, et les premiers chapiteaux médiévaux imitent les modèles antiques, comme le montre le décor corinthien à feuilles d'acanthe de celui de Sainte-Geneviève [ détail b ]. Mais à l'époque romane, les chapiteaux à décor figuré connaissent un développement exceptionnel, dans les églises et dans les cloîtres. Rehaussés de couleurs à l'origine, ils présentent une grande variété de matériaux, de programmes iconographiques et de styles, et répondent à deux préoccupations principales : l'embellissement de l'édifice et l'édification des fidèles. Les sujets sont donc empruntés à la Bible ou tirés de la vie des saints. Certains chapiteaux mettent en scène plusieurs personnages suivant une iconographie précise.

Une histoire racontée dans la pierre

Le thème de Daniel dans la fosse aux lions, très fréquent à l'époque romane, est tiré de la Bible (Daniel, VI, 17-25). Au temps de la déportation des Hébreux à Babylone, le prophète Daniel est jeté aux lions pour avoir bravé le roi Darius. Les lions l'épargnent, et il est libéré par le roi pour avoir eu foi en son Dieu. Ce thème, populaire dès l'origine du christianisme et représenté sur de nombreux objets, met en valeur la confiance en Dieu du chrétien qui, même confronté aux pires épreuves, est sauvé par sa foi. Ici, l'image met l'accent sur un Daniel juvénile, résigné et serein, assis entre deux lions qui détournent la tête et qui, malgré leur aspect impressionnant, ne semblent pas le menacer. Dans le contexte médiéval, c'est aussi une façon d'évoquer la nécessaire résistance du clergé face à la violence des seigneurs et aux abus du pouvoir politique. Enfin, dans le cadre de la comparaison entre l'Ancien et le Nouveau Testament, Daniel préfigure le Christ, sa Passion et sa victoire sur la mort.

La loi du cadre : une image adaptée à la forme architecturale

Le sculpteur a habilement conçu sa composition en fonction du cadre qui lui était imparti, en répartissant une scène unique sur trois côtés. Il a joué de cette contrainte pour mettre en valeur la structure du chapiteau, auquel les figures sont subordonnées. L'ayant représenté assis, la tête penchée dans une attitude méditative, il a pu inscrire Daniel dans une surface relativement réduite, sur la face principale. Les proportions trapues de son corps et sa tête ronde contribuent à lui donner une forte présence. Les têtes des lions renforcent les angles, et leurs corps se prolongent sur les faces latérales, continuant ainsi la composition sans interruption [ détail c ]. Les volutes qui se rejoignent aux angles accentuent encore la force de cette scène symétrique centrée sur trois personnages. Particulièrement lisible même quand le chapiteau était situé en hauteur, elle remplit donc très bien la fonction didactique de la sculpture romane.

Un sculpteur originaire du sud de la France ?

Les autres chapiteaux provenant de Sainte-Geneviève, conservés au musée national du Moyen Âge, sont très différents [ image 2 ]. En calcaire et non en marbre, ils sont décorés de scènes variées (la Genèse, les signes du zodiaque) disposées en frise et peuplées de petits personnages qui évoluent au milieu d'animaux monstrueux et de motifs végétaux. Aucun n'est aussi monumental que celui du Louvre.

Des chapiteaux de l'Aquitaine présentent une composition symétrique tout à fait comparable. Quant au style, il est proche de celui du Languedoc ou du Roussillon, par les formes douces et arrondies, les plis concentriques des vêtements, les lions à la gueule largement fendue et à la crinière ondulée. Le soin de tailler le chapiteau de Daniel dans la fosse aux lions a donc été probablement confié à un sculpteur venu du sud de la France, plus familiarisé avec le travail du marbre que ses collègues du Nord. Le contexte était favorable : de nombreuses églises sont construites à Paris et dans sa région à l'époque romane, et ces chantiers attirent une main-d'œuvre spécialisée et itinérante. Cela peut expliquer le manque d'unité stylistique que l'on observe en Île-de-France juste avant l'éclosion de l'art gothique.

L'église abbatiale Sainte-Geneviève a finalement été démolie en 1807, et son décor sculpté a été dispersé. Mais son clocher, connu sous le nom de « tour Clovis », est conservé dans l'enceinte du lycée Henri IV [ image 3 ].

Françoise Besson

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/daniel-dans-la-fosse-aux-lions

Publié le 16/02/2015

Ressources

Site officiel du musée du Moyen Âge et des Thermes de Cluny. Plusieurs fiches sur des sculptures romanes, y compris un autre chapiteau provenant de Sainte-Geneviève

https://www.musee-moyenage.fr/

Une gravure du musée Carnavalet montrant l’église Sainte-Geneviève en cours de démolition

http://www.carnavalet.paris.fr/fr/collections/demolition-de-l-eglise-sainte-genevieve-en-1807

Glossaire

Entablement : Élément architectural horizontal, placé au-dessus de colonnes ou de pilastres, comportant une corniche, une frise et une architrave.

Iconographie : Ensemble des images correspondant à un même sujet. On parle de programme iconographique lorsqu’un décor en plusieurs parties regroupe de manière cohérente différents sujets autour d’un même thème.

Prophète : Personne qui parle au nom d’un dieu dont il se dit inspiré et qui, dans certains cas, prédit l’avenir.

Art roman : Art qui se développe dans l’Occident chrétien à partir du Xe siècle. Vers le milieu du XIIe siècle, l’art gothique le remplace progressivement au nord de la Loire.