Infiltration homogène pour piano à queue Beuys Joseph
Infiltration homogène pour piano à queue
Infiltration homogen für Konzertflügel
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L’énergie peut-elle être une nouvelle matière de la sculpture ?
Joseph Beuys est une figure majeure du renouveau de l’art en Allemagne dans les années 1960 et 1980. Son œuvre, d’une démarche absolument inédite, est indissociable du personnage qu’il s’invente et de ce qu’il a vécu lors de la Seconde Guerre mondiale. Convoquant aussi bien le dessin et la sculpture que la performance, la vidéo et l’installation, Beuys , se pose en artiste-chaman. Vêtu d’un gilet et d’un chapeau de feutre qui le caractérisent, il incarne un art social qui entend participer à la redéfinition du monde. Infiltration homogène pour piano à queue image principale est une œuvre qui date de 1966.
Mythologie personnelle
Né à Krefeld, en 1921, Beuys grandit dans une Allemagne passée sous le contrôle d’Hitler. Durant la Seconde Guerre mondiale, il est enrôlé dans la Luftwaffe et part sur le front Est. En 1943, son avion est abattu. Le mythe trouve ici ses origines. Selon la légende, gravement blessé, il est recueilli par des nomades tatars qui enveloppent son corps dans de la graisse et du feutre. Ces premiers soins sauvent l’artiste. Après avoir frôlé la mort, Beuys revient à la vie, à l’image du chaman dont la figure influencera par la suite profondément sa pratique artistique. De retour en Allemagne, à l’académie de Düsseldorf, il devient l’élève du sculpteur Ewald Mataré. Peu après, malgré une grave crise personnelle dans les années 1950, Joseph Beuys réoriente sa pratique de la sculpture. Il adopte un vocabulaire symbolique et formel très personnel, fondé sur l’usage de matériaux dérivés de sa « mythologie individuelle » : l’artiste se met à utiliser le feutre et la graisse, mais aussi le cuivre, le miel, l’or et le soufre pour révéler une intensité énergétique physique et symbolique. Nommé en 1961 à la chaire de sculpture monumentale à l’école des beaux-arts de Düsseldorf, où il a fait ses classes, Beuys développe de concert une œuvre protéiforme et un enseignement qui lui permettent de mettre en œuvre sa conception d’un art interrogeant la vie.
Un art sorti des cadres
Le travail de Beuys intervient dans une période de redéfinition des pratiques de l’art. À côté du dessin, de la peinture ou de la sculpture, se développent en effet de nouveaux modes d’expression, parmi lesquels la performance (ou happening aux États-Unis), l’art vidéo et l’installation. Beuys, bien qu’il continue de se définir comme un sculpteur, touche à toutes ces pratiques. Infiltration homogène pour piano à queue, dont le titre complet est Infiltration homogène pour piano à queue, le plus grand compositeur contemporain est l’enfant thalidomide image principale, offre un parfait exemple de la manière dont l’artiste sort totalement du cadre et des médiums habituels.
Voici les éléments et le contexte de cette création. L’œuvre initiale présente un piano dont le son est étouffé par une enveloppe de feutre. Sur les côtés, deux croix rouges symbolisent l’urgence. Avant d’être une installation, la pièce a été une performance. Le 28 juillet 1966, à l’école des beaux-arts de Düsseldorf, se produisent Nam June Paik et Charlotte Moorman, deux membres du groupe Fluxus dont Beuys est proche. L’artiste s’invite. Il interrompt leur concert et introduit le piano à queue dans sa gangue de feutre. Beuys coud alors publiquement l’une des croix. Il dépose ensuite au pied du piano deux petits jouets mécaniques d’enfant : un canard et une ambulance. Puis il réalise sur un tableau noir une série de schémas et d’inscriptions. Parmi les mots mis en exergue, « souffrance », « son », « chaleur ». Ces termes insistent sur des notions clés de la démarche de Beuys, tels la blessure et son dépassement, ou encore les flux et échanges d’énergie. Il multiplie les mentions de la condition des enfants thalidomides et écrit enfin en lettres capitales : « La musique des temps révolus introduite dans la chambre de l’enfant thalidomide l’aide-t-il ? » L’intervention de l’artiste est ici politique. Il entend « stimuler la discussion » et, au-delà, nourrir la réflexion du public. La thalidomide est en effet un médicament lancé au début des années 1960 dans de nombreux pays, notamment en Europe et au Canada. Son utilisation par des femmes enceintes est à l’origine de graves malformations du fœtus, notamment le développement des mains ou des pieds atrophiés directement à partir du tronc. La commercialisation du médicament cesse rapidement, mais des dizaines de milliers de fœtus ont été touchés. Six ans plus tard, l’artiste met en avant la douleur et les blessures de ces enfants qui ne vivront jamais comme les autres. Le reste est, comme souvent avec l’artiste, interprétations. Les pistes proposées sont multiples, parfois contradictoires, souvent complémentaires. Le silence, par exemple, s’interprète comme l’énoncé de la nécessité de prendre la parole (« Le danger qui menace si nous restons silencieux »), mais il apparaît aussi comme la condition d’une retraite intérieure, vecteur de réflexion, d’interrogation.
Réception, conservation, restauration
En 1976, alors que le Centre Pompidou est en construction, le piano est acheté par son premier directeur, Pontus Hulten. Il est d’abord exposé au Palais de Tokyo (où étaient présentées les collections modernes nationales de la fin du XIXe et du XXe siècle). Cette œuvre incarne la volonté affichée de renouer avec l’art du présent. À l’ouverture du nouveau musée national d’Art moderne – Centre Pompidou, Infiltration homogène pour piano à queue est l’une des œuvres qui déchaîne les passions. De nombreux critiques s’insurgent. Le public lui, tente de savoir ce qui se cache sous le feutre. Y a-t-il ou non un véritable piano ? Le musée place l’œuvre sur un socle, puis derrière des barrières. Les protections ne suffisent pas. Les visiteurs ne cessent de toucher l’œuvre, qui se dégrade rapidement. Le feutre s’effiloche et se troue. La question d’une restauration du textile se pose. Dans un premier temps, l’artiste s’y oppose. Au moment de l’acquisition de l’œuvre, déjà, il avait refusé que les croix rouges abîmées soient remplacées : taillées dans des taies d’oreillers lui ayant appartenu, le tissu devait rester le même. Elles seront finalement détachées, traitées puis recousues. Pour le feutre, il finit par accepter qu’une nouvelle enveloppe soit conçue pour que l’œuvre puisse être envoyée et exposée lors d’une exposition au musée Guggenheim, en 1979. À son retour, un gardien est placé en permanence à côté du piano pour éviter de nouvelles dégradations. En 1981, une salle spécifique est conçue avec une barrière de verre qui en interdit l’accès puis, au gré des accrochages, il n’est plus protégé que par de simples mises à distance. Rapidement, le feutre est de nouveau endommagé. Interrogé en 1985 sur une restauration, l’artiste en accepte cette fois le principe, mais demande que son enveloppe initiale soit placée en permanence au côté . L’œuvre se compose donc aujourd’hui d’une installation du piano recouvert et de sa première « peau » suspendue par un crochet à proximité.
Loin d’être anecdotiques, ces vicissitudes incarnent les problématiques spécifiques liées à la conservation de l’art contemporain. Elles témoignent aussi du parfait fonctionnement de la pièce. Jugée déroutante, l’œuvre, qui porte la trace des réactions du public, n’incarne-t-elle pas sa capacité à interpeller les regardeurs ?
Qui est Joseph Beuys, une vidéo en anglais de la National Gallerie of Scotland
Mots-clés
Anne Bouvier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/infiltration-homogene-pour-piano-queue
Publié le 04/04/2023
Ressources
La notice de l’œuvre sur le site du Centre Pompidou
Pour une définition de l’installation et de la performance
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-Performance/#definition
"Plight" (1985), une vidéo du Centre Pompidou - Musée national d'art moderne
D'Art d'art "Infiltration homogène pour piano à queue", une vidéo d'Arte