La Paresse Vallotton Félix
La Paresse
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Jeu innocent d’une femme et d’un chat ou scène pleine de sous-entendus ?
Suisse d'origine et naturalisé français, Félix Vallotton (1865-1925) choisit de s'installer à Paris à l'âge de dix-sept ans, puis s'associe au cercle des nabis qui cherche depuis 1889 à renouer avec la peinture murale et les arts du décor.
À partir des années 1890, Vallotton, inspiré par les estampes populaires, développe ses talents de graveur. Il redécouvre et renouvelle ainsi la technique ancienne de la gravure sur bois (xylographie), apparue vers 1280, mais délaissée au profit de la gravure sur cuivre à partir du XVIe siècle, puis de la lithographie au XIXe siècle. Contrairement à l'usage qui veut que ce soient des graveurs professionnels qui reproduisent le dessin des artistes sur la matrice d'imprimerie, Vallotton s'approprie complètement la technique en taillant lui-même la planche de bois. Bientôt ses estampes, caractérisées par des personnages stylisés, une atmosphère inquiétante et un humour décapant, sont publiées avec succès dans le journal satirique L'Assiette au beurre et dans les revues littéraires La Plume et La Revue Blanche. La Paresse [ image principale ], où règne une atmosphère d'enfermement et d'ennui, témoigne de cette production qui le distingue entre tous.
Une œuvre bâtie sur les contrastes
Dans La Paresse, Vallotton parvient à une composition claire et soignée qui joue sur les contrastes, ceux du blanc et du noir, des pleins et des vides, des lignes droites et des courbes.
Les surfaces noires en aplat dominent dans cette estampe et donnent l'impression angoissante d'un espace obscur et vide. Ces zones correspondent aux parties non travaillées de la planche de bois. À l'inverse, le corps féminin a été creusé dans la planche pour qu'il apparaisse en blanc sur le papier et ressorte des noirs. La lumière et l'ombre naissent de cette opposition tranchée et suggèrent aussi l'affrontement du bien et du mal.
Le dessin simplifié des figures contraste avec les motifs des étoffes, qui apportent une touche orientale. L'imprimé des coussins tout en courbes et en volutes rappelle les somptueux tissus des kimonos japonais et s'oppose aux frises géométriques du couvre-lit. La silhouette souple de la femme sépare très clairement les deux types de motifs.
L'enfermement et l'ennui
Le point de vue en plongée contribue à plonger le spectateur dans un lieu intime et clos. Le lit sur lequel repose la femme trace une diagonale que barre son bras tendu vers le chat qui, debout sur ses pattes arrière, joue avec les doigts caressants de sa maîtresse. Il émane de l'ensemble une langueur voluptueuse qui justifie le titre de l'œuvre, La Paresse, inscrit dans un cartouche en bas à gauche. La scène entière semble suggérer l'atmosphère d'une maison close. Vallotton connaissait certainement le fameux tableau de Manet, Olympia. Cependant, contrairement à la courtisane de Manet, la jeune femme ne tourne pas ici un regard effronté vers le spectateur. Elle semble plutôt repliée sur elle-même dans le silence, en proie à une certaine tristesse.
Un artiste proche des milieux littéraires
Dans son œuvre, plus particulièrement dans ses estampes, Vallotton exprime son engagement politique : il est anarchiste et appartient au camp des dreyfusards, aux côtés de Zola. Il n'hésite pas à mettre en scène des sujets violents, comme dans La Charge [ image 1 ], où des corps inanimés gisent sur le sol, ou dans L'Assassinat [ image 2 ]. Comme Balzac et Zola dans leurs romans, il s'inspire souvent des anecdotes de la vie parisienne et de la société bourgeoise. Par son thème et l'atmosphère qui s'en dégage, La Paresse de Vallotton rappelle l'univers de Baudelaire, où l'oisiveté et la volupté occupent une place centrale. L'estampe partage d'ailleurs avec plusieurs poèmes des Fleurs du mal consacrés au chat le même climat de torpeur et d'érotisme dans lequel le charme et le mystère du félin répondent à la sensualité féminine.
Peintre et graveur nabi
Dès 1892, Vallotton partage certaines convictions artistiques avec ses amis les peintres nabis. La définition du tableau comme une surface plane recouverte de couleurs juxtaposées les engage vers des expérimentations plastiques neuves, loin des normes académiques. Comme Bonnard, Vuillard, Denis et Ranson, il trouve en peinture des solutions originales et puise sa modernité dans les estampes japonaises [ image 3 ]. Le cadrage en plongée, le personnage décentré et une recherche de l'équilibre par les contraires (noir et blanc lignes et aplats diagonales croisées) rappellent les procédés utilisés par les artistes japonais. Vallotton a certainement visité la fameuse exposition de gravures japonaises organisée à l'École des beaux-arts de Paris en 1890. Comme ses estampes, ses peintures jouent sur les aplats et les contours nets et témoignent aussi de cette source d'inspiration. Le portrait de Misia Natanson [ image 4 ], l'épouse du directeur de La Revue Blanche, en fournit l'exemple. L'estampe qui apparaît à l'arrière-plan sur le mur peut être interprétée comme une signature en image et indique l'importance occupée par la gravure dans la création de Félix Vallotton.
Mots-clés
Ressources
Catalogue de l’exposition de la gravure japonaise à l’École des beaux-arts en 1890
Fondation Félix Vallotton, à Lausanne
La revue satirique L’Assiette au beurre
Le dossier pédagogique de l'exposition « Félix Vallotton : le feu sous la glace »
http://www.grandpalais.fr/pdf/dossier_pedagogique/AO-DP-VALLOTTON-V04.pdf
Sur l’exposition « Félix Vallotton : le feu sous la glace » à Paris aux Galeries nationales du Grand Palais (2 octobre 2013 – 20 janvier 2014)
http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/felix-vallotton-le-feu-sous-la-glace
Sur l’Olympia de Manet au musée d’Orsay
http://www.musee-orsay.fr/index.php?id=851&tx_commentaire_pi1%5BshowUid%5D=7087
Glossaire
Estampe : Images obtenues sur un support papier par impression d’une planche de bois gravée (xylographie) ou d’une plaque de métal, voire d’une pierre dessinée (lithographie). La plaque de métal peut être travaillée selon différents procédés, mécanique (burin) ou chimique (eau-forte), qui définissent plusieurs types de gravure.
Nabi : Mot d’origine hébraïque signifiant « prophète ». Il désigne un groupe d’artistes postimpressionnistes, à la recherche d’une peinture nouvelle. Rassemblés à partir de 1888 autour de Paul Sérusier, les nabis partagent une esthétique faite de formes épurées, d’aplats de couleur, de contours, et parfois un certain sens du symbolisme et de la religiosité. Par ses écrits, le peintre Maurice Denis ne tarde pas à en devenir le théoricien. Sa formule, « un tableau […] est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées », traduit bien l’esprit de synthèse qui anime les nabis.
Matrice d’imprimerie : Plaque le plus souvent en cuivre ou en bois qui, une fois gravée puis encrée, sert à imprimer des estampes qui reproduisent le motif choisi.
La Revue blanche : Revue d’avant-garde artistique et littéraire fondée en 1889 par les frères Natanson. Elle promeut notamment l’art des Nabis (Vuillard, Bonnard…) et l’Art nouveau.