La Pietà de Villeneuve-lès-Avignon Quarton Enguerrand
Pietà de Villeneuve-lès-Avignon
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Qu’est-ce qu’une Pietà ? Enguerrand Quarton, entre Moyen Âge et Renaissance ?
Cette Pietà [ image principale ] provient d'une église de Villeneuve, petite ville perchée sur une colline juste en face d'Avignon. Elle est attribuée au peintre Enguerrand Quarton, dont on sait relativement peu de chose, sinon qu'il était originaire du nord de la France, de Laon en Picardie, et qu'il travailla en Provence entre 1444 et 1466. Rares sont les peintures qui nous sont parvenues de lui, mais nous pouvons admirer parmi ses productions les plus célèbres le Couronnement de la Vierge conservé au musée Pierre-de-Luxembourg à Villeneuve-lès-Avignon. La Pietà de Villeneuve-lès-Avignon peut être considérée comme l'un des derniers grands chefs-d'œuvre de l'école d'Avignon.
Qu'est-ce qu'une Pietà ?
Au centre de l'œuvre figure la Pietà, c'est-à-dire la Vierge éplorée portant sur ses genoux le corps sans vie de son fils Jésus, qui vient d'être détaché de la croix. Ce thème, répandu dans l'art occidental à partir du XIVe siècle en peinture aussi bien qu'en sculpture, est centré sur la douleur de la Vierge. Sur son visage vieilli se lisent l'affliction et une infinie tristesse [ détail b ]. La phrase en latin inscrite dans l'or sur le pourtour du tableau et extraite des Lamentations y fait écho : « Ô vous tous qui passez par ce chemin, regardez et voyez s'il est douleur pareille à la mienne. » Dans le tableau, cependant, la Vierge n'est pas seule, d'autres personnages partagent son chagrin et se lamentent avec elle sur le Christ mort.
Qui sont les autres personnages représentés dans le tableau ?
Saint Jean l'Évangéliste et sainte Marie-Madeleine entourent la Vierge. Ils ont assisté à ses côtés à la Crucifixion. Saint Jean représenté par le jeune homme imberbe aux cheveux longs sur la gauche soutient la tête de Jésus, tandis qu'il en retire la couronne d'épines [ détail c ]. Ce geste d'une grande délicatesse apparaît dans une autre peinture de l'école provençale, la Pietà de Tarascon (Paris, musée de Cluny) [ image 1 ].
Sainte Marie-Madeleine représentée par la jeune femme aux cheveux déliés, sur la droite, essuie ses larmes du revers de son manteau doublé de jaune [ détail d ]. Comme pour saint Jean et la Vierge, son nom est inscrit dans l'auréole, mais on la reconnaît surtout à son attribut, le vase de parfum qu'elle tient dans la main gauche.
Seul le personnage, à l'extrême gauche, agenouillé et les mains jointes, reste extérieur à la représentation sacrée [ détail e ]. Il y assiste en prière. Si l'on ne connaît pas l'identité exacte du donateur ici portraituré, son vêtement caractéristique indique qu'il s'agit d'un chanoine, un homme assez haut placé dans la hiérarchie ecclésiastique.
Entre le ciel et la terre
Dans la Pietà de Villeneuve-lès-Avignon, les personnages se situent dans un espace clairement défini. Certes l'or couvre encore une large partie du fond, suggérant la lumière divine et l'éternité, mais il se limite à l'espace du ciel et laisse la place à un vaste paysage inspiré d'une observation directe de la nature. Sur la gauche, à l'horizon, on distingue une ville [ détail f ] avec des minarets et des coupoles à bulbe, quelques-uns surmontés du croissant. C'est Jérusalem, mais une Jérusalem reconstituée dont certains éléments ne sont pas sans rappeler la ville d'Avignon vue depuis Villeneuve. Sur la droite, la montagne dans le lointain évoque les reliefs de la Provence, comme le mont Ventoux que l'on voit depuis les hauteurs d'Avignon.
Un naturalisme hérité des peintres flamands
Le naturalisme qui apparaît dans le traitement du paysage est aussi perceptible dans le traitement des personnages. Sur le visage du donateur grisonnant, à la peau ridée et tannée par le soleil, le peintre a minutieusement représenté les poils blancs de la barbe et des sourcils. Sur le corps du Christ apparaissent les marques de la flagellation : on reconnaît distinctement, entrecroisées, les traces laissées par un fouet à trois lanières [ détail g ]. L'eau qui s'échappe en petites perles translucides de la plaie au côté soulève l'admiration. Enguerrand Quarton, originaire du nord de la France, avait très certainement eu l'occasion de voir des œuvres des peintres flamands, comme Jan van Eyck [ image 2 ], qui furent les premiers à pousser très loin la représentation minutieuse du réel.
Le sens des volumes et de l'équilibre
Enguerrand Quarton ne se perd pourtant pas dans les détails. Sa composition va à l'essentiel. Les volumes des corps et des visages, puissamment modelés par le contraste des ombres et des lumières, se détachent avec énergie et se répartissent harmonieusement par rapport au fond. Les lignes de force se répondent et les masses s'équilibrent. Saint Jean et sainte Marie-Madeleine se penchent ensemble vers le personnage central. La tête inclinée de la Vierge fait écho à celle de Marie-Madeleine. Le corps arqué du Christ forme au centre de la composition une courbe que le dos arrondi de Marie-Madeleine répète. Ce sens maîtrisé des volumes, cette structure claire et symétrique, témoignent d'une certaine connaissance de l'art méditerranéen, notamment de l'art italien. Une telle influence n'a rien d'étonnant à cette époque dans une ville comme Avignon où, depuis le séjour des papes au XIVe siècle, vivaient de nombreuses familles italiennes qui maintenaient des contacts assidus avec leur terre d'origine.
La Pietà de Villeneuve-lès-Avignon se distingue par la simple monumentalité de sa composition et par l'intensité dramatique que le peintre a su lui donner. À la croisée du Nord et du Midi, ce chef-d'œuvre s'inscrit encore dans l'univers du Moyen Âge. Mais il annonce déjà la Renaissance qui mettra l'homme au centre du théâtre du monde.
Mots-clés
Sous la direction de Cécile Maisonneuve
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-pieta-de-villeneuve-les-avignon
Publié le 18/10/2011
Glossaire
École d’Avignon : Courant artistique qui s’est épanoui à Avignon du fait de la présence des papes du début du XIVe siècle jusqu’au milieu du XVe siècle.
Lamentations : Livre de l’Ancien Testament.
Attribut : Objet, animal ou figure systématiquement associé à un personnage (dieu, saint, héros, figure allégorique…). Il est tenu, porté ou juxtaposé. L’attribut fait souvent allusion de manière emblématique à un épisode marquant de sa vie ou de sa légende, ou bien à son essence ou à sa fonction. L’attribut permet de le reconnaître.
Vase de parfum : Le vase de parfum, attribut de sainte Marie-Madeleine, fait d’abord allusion à l’épisode du repas chez Simon, durant lequel cette sainte versa sur les pieds du Christ un parfum de grand prix et les essuya avec ses cheveux.
Donateur : Personne qui offre à une institution une œuvre d’art.
Flagellation : Épisode de la Passion du Christ qui précède sa crucifixion. Le Christ, qui vient d’être jugé, est fouetté.
Plaies du Christ : Les plaies du Christ sont celles qui résultent du supplice de la crucifixion : celles laissées par les clous enfoncés aux mains et aux pieds pour le fixer au bois de la croix et celle laissée au côté droit par le coup de lance du centurion Longin.
Modelé : Manière de rendre le relief des formes, particulièrement celles du corps humain.