La Tour de Babel Brueghel le Vieux Pieter

La Tour de Babel

Dimensions

H. : 114,4 cm ; L. : 155,5 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

bois de chêne

Datation

1563

Lieu de conservation

Autriche, Vienne, Kunsthistorisches Museum

À quels symboles la construction de cette tour est-elle associée ?

Dans son tableau intitulé La Tour de Babel image principale, le peintre Pieter Brueghel montre une grande tour au centre d’un paysage panoramique riche en détails. Cette toile est datée de 1563, et appartient aux collections du Kunsthistorisches Museum (musée d’Histoire de l’art) de Vienne. Quelques années plus tard, vers 1568, Brueghel représente une nouvelle fois ce sujet. Le second tableau est aujourd’hui conservé au musée Boijmans Van Beuningen à Rotterdam. L’histoire de la tour de Babel est racontée dans la Genèse, le premier livre de la Bible.

Un sujet biblique

Le livre de la Genèse raconte la création du monde et le destin des descendants d’Adam et Ève. Dans le chapitre 10, Nemrod, fils de Kouch et descendant de Noé – et, dans la tradition juive, initiateur de la construction de la tour de Babel –, est reconnu comme le premier héros sur la terre. Le chapitre 11 évoque le projet de tous les habitants de la terre qui, parlant en ce temps-là le même langage, décident de créer une tour pour toucher les cieux. D’autres textes bibliques mentionnent que 600 000 hommes et femmes se regroupent alors pour bâtir la tour, pendant 43 ans. Celle-ci est un défi à l’autorité divine. Pour punir les hommes de leur vanité et de leur orgueil, Dieu décide de brouiller leurs langues et de les disperser.

Babel et l’archéologie

Plusieurs éléments du récit biblique sont tirés de l’histoire de la Mésopotamie. Ainsi, la ville de Babel évoquerait celle de Babylone. La tour de Babel a probablement été inspirée par la grande ziggurat image 2 de Babylone bâtie vers 2000 avant J.-C. Cette construction appelée aussi Etemenanki est dédiée au dieu Mardouk. Elle est accolée à un temple et sert de résidence aux dieux. La tour est réservée aux prêtres, astronomes et astrologues. L’historien et géographe grec Hérodote la décrit ainsi : construite en briques crues émaillées bleues, avec 7 étages, sur une base de 91 mètres de côté, et sa hauteur est de 90 mètres. À la suite des conquêtes perse en 539 avant J.-C. et d’Alexandre en 331 avant J.-C., les temples de Babylone sont abandonnés.

Une Babel à la Renaissance

Pieter Brueghel peint des scènes bibliques, mythologiques et de genre. Dans cette œuvre, il choisit l’exemple de cet épisode de la Bible pour montrer la folie des hommes. Il transpose la tour de Babel dans sa ville d’Anvers image b, cosmopolite, industrieuse et ambitieuse, au XVIe siècle. Le roi Nemrod image c, au premier plan, est vêtu à la mode Renaissance et prend l’allure de Philippe II qui règne alors sur les pays du Nord.

Autour de la tour et à l’intérieur de celle-ci s’affairent les artisans des métiers anversois du XVIe siècle, avec leurs techniques image d et leurs machines de construction image e.

Dans le tableau, le mur d’enceinte rappelle celui d’Anvers de 1542. L’enchevêtrement des toits, les maisons flamandes de style gothique, les églises, les tours de guet, les canaux et les portes sont inspirés de la cité anversoise, qui paraît minuscule pour donner à la tour sa démesure.

Le port, inspiré de ceux de la mer du Nord, accueille de nombreux bateaux. Les quais sont chargés de marchandises et de matériaux.

Le paysage image f, d’une grande beauté, mêle les bleus (fleuve, mer et ciel) aux verts (vallées, forêts, champs et prairies) dans une perspective atmosphérique infinie. La tour de Babel semble d’autant plus démesurée qu’elle se détache sur un paysage infini. Les tons froids de la nature paisible s’opposent aux couleurs chaudes de l’agitation humaine.

La tour, prodigieuse et dérisoire

Au Moyen Âge, on représente la tour de Babel plutôt rectangulaire image 3. Depuis l’époque de la Renaissance, les artistes la montre souvent conique image 4. À Rome, où il a voyagé et fréquenté des artistes et érudits humanistes, Brueghel a vu le Colisée image g, qui l’inspire comme symbole de démesure. Il a pu aussi prendre pour modèle le château aragonais sur l’île d’Ischia, près de Naples image 5.
Sa tour instable et surdimensionnée occupe la plus grande partie du tableau. Les fondations, inachevées, s’enfoncent dans un sol incliné. La tour s’élève vers le ciel en spirale et les étages se superposent sur un axe oblique et des arcatures penchées. Ce déséquilibre laisse pressentir l’échec.
Le peintre décrit avec un grand soin le chantier, le port, la tour grouillant d’activités : c’est une allégorie de la technique, une encyclopédie des corps de métier, un inventaire des formes et des structures. On y distingue les bateaux, barges, attelages et grues. Il miniaturise les treuils, les systèmes de levage, les échelles, les échafaudages, les armatures et les cintres pour construire les éléments de l’architecture (contreforts, balcons, escaliers, galeries, arcatures et colonnes).
L’état d’inachèvement laisse voir la structure, comme dans un gigantesque écorché image h, et permet de détailler les étapes de construction : échafaudages, taille et levage des pierres, mise en place des cintres puis des voûtes.
La tour semble gigantesque face au reste du monde, elle s’élève jusqu’au ciel et transforme les humains en fourmis.

Un tableau à portée morale

Malgré les capacités humaines et les techniques, cette tour représente l’irrationnel, le défi du matériel face au spirituel. L’incompréhension des langues est symbolisée par cette incohérence architecturale. Babylone avec sa tour a probablement été la première utopie créée par les humains, même si elle représente la cité négative, l’opposé de la cité idéale pour la civilisation judéo-chrétienne. Babel représente le désir de domination et l’orgueil. Elle est le mal pour les Hébreux (déportés en 597 et 587 avant J.-C.), pour les Grecs (guerres médiques) et les Romains. Elle s’oppose à la Jérusalem céleste. Dieu reproche aux hommes de vouloir s’élever au-dessus de leur condition et de prétendre atteindre le divin par des moyens matériels.

Aujourd’hui, Babel signifie l’absence de communication et la confusion. Ce fantasme architectural et moral inspiré par la technologie et l’orgueil réapparaît dans les films Metropolis de Fritz Lang en 1927, et dans Blade Runner de Ridley Scott en 1982.

Marie-Bélisandre Vaulet-Lagnier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-tour-de-babel

Publié le 29/08/2024

Ressources

Babylone, la cité des merveilles. 1:30:36. Un film documentaire sur la cité de Babylone

https://www.youtube.com/watch?v=q9zKO5kSjHc

Podcast : un épisode de l’émission « Une vie, une œuvre » consacré à Pieter Brueghel l’Ancien sur France Culture

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/toute-une-vie/autour-de-pieter-brueghel-ou-bruegel-l-ancien-vers-1525-1569-6037278

10 choses à savoir sur Pieter Brueghel l’Ancien • FRANCE 24

https://www.youtube.com/watch?v=AIjKb5NDaoc

Glossaire

Ancien et Nouveau Testament : Pour les chrétiens, les deux recueils constituant la Bible. Le Nouveau Testament, qui comporte notamment les quatre Évangiles, rapporte la vie et l’enseignement du Christ et de ses disciples.

Tour de Babel : Très haute tour que les fils de Noé commencent à construire à Babel (Babylone) pour atteindre le ciel ; mais Dieu, irrité par cette orgueilleuse entreprise, empêchera l’achèvement de l’édifice (Ancien Testament : Rois II, 24 et 25, et Genèse XI, 1-9).

Arcature : Série de petites arcades décoratives.

Mésopotamie : « Le pays entre les fleuves ». Nom donné par les Grecs dans l’Antiquité à la plaine située entre le Tigre et l’Euphrate. Cette région correspond à l’Irak et à une partie de la Syrie actuels.

Ziggourat : Mot provenant d’un verbe babylonien, signifiant « construire en hauteur ». La ziggourat est donc un temple surélevé au sommet d’une pyramide à étages ; elle relie ainsi la terre et le ciel, les hommes et les dieux.

Genèse : Premier livre de la Bible racontant la Création du monde par Dieu.