Lady Macbeth somnambule Füssli Johann Heinrich

Lady Macbeth somnambule

Dimensions

H. : 221 cm ; L. : 160 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

Vers 1784

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Johann Heinrich Füssli annonce-t-il le mouvement romantique ?

Originaire de Suisse, le peintre Johann Heinrich Füssli s'installe en 1780 en Angleterre et s'intègre rapidement à la société londonienne. Il se fait remarquer en 1782 avec Le Cauchemar, à l'exposition de la Royal Academy, puis, en 1784, avec Lady Macbeth marchant dans son sommeil image principale. Exposé parmi un ensemble de paysages et de portraits, sujets favoris de la peinture anglaise de l'époque, ce tableau inspiré de la littérature étonne. Peu enclin à explorer le réel, Füssli met en scène le thème du sommeil et de la perte de conscience.

Macbeth de Shakespeare : une histoire de pouvoir, de mort et de folie

La scène est inspirée par Macbeth, une pièce de William Shakespeare créée en 1606. Elle met en scène Macbeth, un capitaine écossais qui, poussé par son épouse à la suite des prédictions de trois sorcières, assassine son roi pour prendre le pouvoir. C'est le début d'une longue série de crimes qui ne laissent pas de répit à la conscience de Macbeth et de sa femme. Celle-ci, plus virulente que son mari dans son ambition de conquérir le pouvoir, finit par être tourmentée par les crimes auxquels elle a participé. Elle est victime d'hallucinations et de somnambulisme, épisodes durant lesquels elle se remémore ses actes à voix haute. Dans le passage qui est ici représenté, Lady Macbeth, terrifiée, en chemise de nuit, un flambeau à la main, surgit sur un fond sombre. Victime d'une crise de somnambulisme, elle ne voit rien de la réalité qui l'entoure. Elle n'aperçoit ni sa suivante, ni son médecin prêt à noter sur une feuille de papier les paroles qui lui échapperaient dans son sommeil. Elle est hantée par une tache de sang invisible sur sa main, qu'elle tente d'éloigner et de dissimuler en repliant les doigts.

Shakespeare, une gloire nationale

L'Angleterre des années 1780 est le creuset d'un retour aux sources nationales, qui passe notamment par le succès des romans gothiques comme Le Château d'Otrante d'Horace Walpole. Le théâtre de Shakespeare, l'un des plus joués à Londres à cette époque, est l'un des supports de cette quête d'identité nationale. Si, auparavant, les passages trop choquants étaient supprimés, la fin du siècle voit le rétablissement des textes d'origine dans toute leur violence et leur outrance. Ainsi, c'est tout un monde d'émotions brutales, de passions sensuelles, de surnaturel et de folie qui est alors proposé aux spectateurs et aux artistes comme Füssli.

La beauté terrifiante

Depuis la Renaissance, la beauté est assimilée à l'idée d'équilibre et d'harmonie, incarnée par les modèles antiques. Mais cette définition est progressivement remise en question au cours du xviiie siècle. Des courants de pensées accordent davantage d'importance à l'expression des émotions et de la sensibilité, privilégiant l'expression des tourments intérieurs. Quand, à la même époque, David peint Le Serment des Horaces image 1 sur le modèle antique qui magnifie la figure du héros combattant, Füssli met en scène le couple infernal des Macbeth. Leurs multiples assassinats résultent uniquement de leur ambition personnelle. Incapables d'assumer leur propre violence, la folie et la mort constituent leur seule issue.

Vers le romantisme

Füssli est doté d'une solide formation intellectuelle qu'il doit, entre autres, à ses lectures, ses voyages et à Johan Jakob Bodmer, à l'origine de l'une des tendances du romantisme allemand, le Sturm und Drang. Pour lui, la sensibilité, plus que la raison, est le moteur de la création artistique. Füssli est également sensible aux théories du philosophe anglais Edmund Burke, qui soutient l'idée d'une beauté mouvante voire terrifiante, opposée à l'impassibilité des modèles antiques. C'est dans cet univers culturel que s'élabore un courant de pensée annonçant le romantisme, mouvement qui met en lumière la part jusque-là cachée de l'homme : il n'est plus simplement un héros, mais aussi un être en proie à ses peurs, à ses instincts, aussi violents soient-ils.

La postérité de l'œuvre

Le tableau du musée du Louvre est la version la plus magistrale livrée par Füssli d'un thème qui l'obsède depuis les années romaines. Sa composition très travaillée, montrant la terreur de Lady Mabeth tant dans ses gestes que dans les contrastes violents d'ombre et de lumière, fait ressortir le caractère quasiment hallucinatoire de la scène. En effet, le teint blême de la reine lui donne une allure de morte-vivante.

Cette fascination pour le théâtre de Shakespeare, prétexte à l'expression des côtés les plus noirs de l'humanité, sera partagée par de nombreux artistes romantiques au xixe siècle. Également fasciné par le fantastique de la pièce de Shakespeare, Chassériau décrit une scène de sorcellerie image 2. Quant à Delacroix, il n'hésite pas à s'identifier à Hamlet image 3 et à projeter ses propres tourments dans ceux du jeune prince danois. L'exploration des zones d'ombre de l'âme humaine sera désormais l'un des grands sujets des artistes romantiques, dont plusieurs seront anglophiles.

Isabelle Bonithon

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/lady-macbeth-somnambule

Publié le 24/10/2017

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site du musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010066733

Le compte rendu de la conférence de Guilluame Faroult sur William Shakespeare et la peinture au XVIIIe siècle

http://www.musee-delacroix.fr/IMG/pdf/Compte-rendu_de_la_conference_de_Guillaume_Faroult-3.pdf

Une étude sur les sujets issus du théâtre de Shakespeare chez Delacroix sur le site L’Histoire par l’image

https://www.histoire-image.org/etudes/hamlet-shakespeare-traite-delacroix

Glossaire

Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.

Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.