Le Fifre Manet Édouard
Le Fifre
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En quoi Manet bouleverse-t-il les codes de la peinture ? Manet, un homme à scandales ?
Tout au long du XIXe siècle, la vie artistique se poursuit à Paris au rythme des salons, un événement qui permet aux artistes d'exposer leurs œuvres, de se faire connaître, éventuellement d'obtenir une récompense officielle. Pour y être admis, il faut toutefois soumettre ses œuvres à un jury constitué des membres de l'Académie de peinture et sculpture qui sanctionnent facilement d'un refus tout écart à la doctrine académique. Les artistes les plus modernes ont beaucoup de mal à s'y faire accepter. Le Fifre [ image principale ], réalisé par Édouard Manet en 1866, est un bon exemple de ces œuvres novatrices « refusées » au salon.
Un humble garçon comme un grand d'Espagne
Le tableau figure un jeune garçon debout, légèrement déhanché, jouant du fifre et vêtu de l'uniforme des enfants de troupe de la garde impériale de Napoléon III. Le pantalon rouge à bandes noires, la veste noire à boutons dorés, le baudrier blanc et le calot sont caractéristiques des voltigeurs. Parmi les voltigeurs, les fifres et les tambours, au son de leur instrument, entraînaient les soldats au combat. Ils représentent un sujet populaire, répandu par les images d'Épinal [ image 1 ]. Considérant ce thème commun, le jury reproche à Manet d'avoir adopté un grand format, qui donne à sa toile l'ampleur d'une peinture d'histoire, d'avoir fait le portrait d'un enfant inconnu comme s'il s'agissait d'un personnage célèbre.
On perçoit dans cette œuvre l'admiration que Manet vouait à la peinture ancienne, notamment au maître incontesté espagnol du XVIIe siècle, Diego Velasquez. Le tableau apparaît clairement inspiré de ses grands portraits en pied, celui de Pablo de Valladolid par exemple, qui comme le fifre, se détache sur un fond neutre.
Une nouvelle manière de travailler la couleur
Plus encore que le sujet, la manière dont Manet travaille les couleurs est totalement nouvelle par sa simplicité. Dans l'uniforme, les couleurs se heurtent sans nuances : noirs, rouges, blancs, jaunes, se juxtaposent et surgissent du fond gris clair à la fois neutre et lumineux. De plus, l'artiste n'applique pas la matière picturale en couche uniforme, mais joue sur les épaisseurs et les textures : les couleurs sombres du costume, le noir notamment, sont traitées en aplats, tandis que les zones claires (le baudrier, les guêtres) présentent souvent des empâtements qui accrochent la lumière. Seules les chairs du visage et des mains apparaissent très délicatement modelées [ détail b ]. L'effet se révèle saisissant, mais, pour les académiciens de 1866, cette technique est une provocation : ils jugent que les formes manquent de relief et que l'aspect est inachevé.
Une signature comme une inscription sur le sol
D'autre part, Manet simplifie aussi à l'extrême sa composition en éliminant toute perspective et en ne faisant que suggérer l'espace et la profondeur, notamment par l'ombre portée entre les jambes du jeune voltigeur. Il joue avec notre regard et notre perception en dessinant, à droite du garçon, sa signature comme s'il s'agissait d'une inscription sur le sol. Curieusement, il existe une seconde signature, visible tout en bas du tableau à droite.
Émile Zola pour défenseur
Les critiques fusent : Le Fifre est jugé trop plat, trop rudimentaire il est comparé à une vulgaire carte à jouer, un « valet de carreau placardé sur une porte ». L'œuvre trouve pourtant en la personne d'Émile Zola un fervent défenseur, car il admire le talent de Manet, « fait de justesse et de simplicité ». Journaliste à L'Événement, il écrit à propos du Fifre : « Je ne crois pas qu'il soit possible d'obtenir un effet plus puissant avec des moyens moins compliqués. » Zola est en outre le premier à relever une source d'inspiration inattendue que sont les estampes japonaises [ image 2 ] : « Il serait beaucoup plus intéressant de comparer cette peinture simplifiée avec les gravures japonaises qui lui ressemblent par leur élégance étrange et leurs taches magnifiques. » Dans le portrait que Manet réalisera de Zola deux ans plus tard [ image 3 ], on aperçoit d'ailleurs une estampe de ce type à l'arrière-plan, épinglée au mur, aux côtés d'une reproduction en noir et blanc de L'Olympia [ image 4 ]. Sujet de vie moderne, simplification des formes, touche apparente, influence japonaise, sont autant de pistes nouvelles que continueront d'explorer les impressionnistes, dont Manet fut très proche.
Avec Le Déjeuner sur l'herbe, L'Olympia, Le Fifre, Manet provoque scandale ou hilarité. Ses toiles choquent elles claquent comme une gifle et semblent insulter le bon goût et la morale de l'époque. Mais précisément, Manet ouvre une voie inédite. Son œuvre respire la liberté.
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Christine Kastner-Tardy
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-fifre
Publié le 18/10/2011
Ressources
Critiques de Zola sur Manet
Sur la peinture au XIXe siècle
Un dossier sur Manet au musée d’Orsay
http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/dossier-manet/chronologie.html
Glossaire
Salon : Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.
Touche : La touche désigne la matière picturale appliquée d’un seul coup de pinceau sur le support. Le terme peut également désigner plus largement la manière dont le peintre travaille.
Modelé : Manière de rendre le relief des formes, particulièrement celles du corps humain.
Baudrier : Bande de cuir ou d'étoffe portée en écharpe et soutenant une arme, un tambour, l'étui d'un fifre.
Voltigeur : Type de fantassin.
Guêtre : Élément du costume, en tissu ou en cuir, qui enveloppe le bas de la jambe et le dessus du pied.
Empâtement : Relief obtenu par l’application d’une épaisse couche de peinture.
Estampe : Images obtenues sur un support papier par impression d’une planche de bois gravée (xylographie) ou d’une plaque de métal, voire d’une pierre dessinée (lithographie). La plaque de métal peut être travaillée selon différents procédés, mécanique (burin) ou chimique (eau-forte), qui définissent plusieurs types de gravure.