L’hôtel des abbés de Cluny

L’hôtel des abbés de Cluny

Vue de l’hôtel des abbés Cluny au temps d’Alexandre du Sommerard

Auteur

Dimensions

Provenance

Technique

Architecture

Matériaux

Datation

Fin du XVe siècle

Lieu de conservation

France, Paris, musée de Cluny, musée national du Moyen Âge

Pourquoi un hôtel particulier parisien porte-t-il le nom d’une abbaye bourguignonne ? En quoi l’hôtel de Cluny constitue-t-il un exemple exceptionnel de l’architecture privée de la fin du Moyen Âge ?

Au début du XIIIe siècle, l'université de Paris est créée dans ce qui va devenir le quartier latin, sur la rive gauche de la Seine. L'enseignement est alors prodigué en latin par les membres du clergé. À l'instar d'autres ordres religieux, les bénédictins de Cluny, en Bourgogne, fondent en 1269 un collège à l'emplacement de l'actuelle place de la Sorbonne. La résidence parisienne des abbés est située près des ruines antiques, alors appelées le palais des Thermes. À la fin du XVe siècle, l'abbé Jacques d'Amboise, qui appartient à une famille de fastueux mécènes, fait construire un nouvel hôtel particulier.

Le plus ancien hôtel particulier de Paris situé entre cour et jardin

Le plan adopté pour cet hôtel particulier apparaît au Moyen Âge, à Paris, avant de se répandre dans toute la France et de connaître son âge d'or aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il présente l'avantage d'éloigner la façade de la rue et de la mettre en valeur au fond d'une cour [ image principale ]. À l'arrière, le jardin peut constituer un lieu de promenade et d'agrément apprécié en milieu urbain.

À l'hôtel de Cluny, le corps de logis principal, rectangulaire, est flanqué de deux ailes en retour. L'aile gauche comporte une élégante galerie ouverte sur la cour par quatre arcades en arc brisé surmontées d'une accolade [ détail b ], tandis que l'aile droite, plus simple, abrite les cuisines, d'où la présence du puits. Des bandeaux moulurés soulignent avec force la séparation des étages. Les fenêtres à meneaux sont typiquement médiévales, avec leur croisée en pierre. Une longue balustrade au décor ajouré court à la base du toit, dans lequel s'ouvrent de hautes lucarnes, surmontées de gables et de pinacles, qui portent les armoiries de la famille d'Amboise. Cette balustrade, comme la galerie, est caractéristique du style gothique flamboyant.

L'escalier d'honneur : le symbole d'une demeure aristocratique

Au centre de la façade, un grand escalier à vis est abrité dans une tour à cinq pans construite en forte saillie (« hors d'œuvre ») et qui porte aussi les armoiries et la devise familiales. Il desservait les salles principales, les autres pièces étant situées en enfilade de part et d'autre. Ce type d'escalier, propre à l'architecture médiévale française, peut être somptueusement décoré. Ainsi, la célèbre Grande Vis du Louvre, malheureusement disparue, était ornée des statues de la famille royale l'escalier de l'ancien hôtel de Bourgogne, à Paris, encore visible dans la tour Jean-sans-Peur, se transforme en arbre dans sa partie supérieure pour former des voûtes avec ses branches. L'escalier à vis connaît son apogée avec l'escalier François-Ier du château de Blois et celui du château de Chambord, avant d'être remplacé par l'escalier droit au milieu du XVIe siècle.

L'hôtel comporte d'autres escaliers secondaires, dont l'un est situé dans la tourelle visible sur la gauche de l'aile des cuisines.

À l'arrière de l'hôtel, une aile perpendiculaire se compose d'une loggia ouverte au rez-de-chaussée et d'une chapelle à l'étage [ détail c ]. Une tourelle en encorbellement sert d'abside. Fait exceptionnel, l'accès principal au jardin (refait en 2000 mais d'inspiration médiévale) se faisait par la loggia et la chapelle.

La chapelle : un chef-d'œuvre du style gothique flamboyant

La chapelle est remarquable par ses voûtes et la richesse de son décor : le pilier central soutient quatre voûtes à croisée d'ogives qui retombent sur des culs-de-lampe ornés de feuilles de chou frisées, un motif décoratif typique du style gothique flamboyant [ détail d ]. Les voûtes principales se divisent en voûtes secondaires qui donnent l'impression d'un ciel étoilé [ détail e ]. Des motifs ondulés en forme de flammes décorent l'espace situé entre les voûtes, dont les ornements sculptés ont disparu. Le long des murs, sous les dais architecturés, se dressaient des statues représentant les membres de la puissante famille d'Amboise elles ont été détruites à la Révolution française.

Le décor de l'abside était entièrement consacré à la Passion du Christ. Une Mise au tombeau sculptée, en grande partie disparue, y prenait place, complétée, suivant une formule originale associant les deux techniques, de peintures murales représentant des Saintes Femmes éplorées se détachant sur des architectures peintes en trompe-l'œil [ détail f ] ces œuvres sont peut-être du peintre et sculpteur italien Guido Mazzoni, installé en France à la fin du XVe siècle. À la voûte, Dieu le Père entouré d'anges domine un Christ en croix [ détail g ].

Des vitraux de la chapelle, le musée de Cluny ne conserve qu'un seul panneau complet, celui du Portement de croix [ détail h ]. Il est remarquable par sa composition et par l'éclat de ses couleurs, qui contrastent avec la subtilité du rendu en grisaille des visages.

Une collection particulière à l'origine de la création du musée de Cluny

Dès la fin du XVIe siècle, les abbés de Cluny délaissent leur somptueux pied-à-terre parisien. À la Révolution, l'hôtel et les thermes attenants sont nationalisés comme biens du clergé. En 1832, Alexandre du Sommerard [ image 1 ], un collectionneur passionné et curieux, loue une partie de l'hôtel pour y installer les œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance qu'il a rassemblées. Il met en scène les objets pour évoquer des personnalités historiques, reconstituant ainsi une chambre de François Ier[ image 2 ] ! À sa mort, en 1842, l'État achète ses collections et l'hôtel qui les abrite pour ouvrir en 1843 le musée de Cluny, qui comporte aussi les thermes antiques. Le fils d'Alexandre du Sommerard, Edmond, en est le conservateur pendant de nombreuses années et enrichit considérablement les collections. Depuis 1945, les œuvres de la Renaissance sont présentées au château d'Écouen.

Françoise Besson

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/lhotel-des-abbes-de-cluny

Publié le 20/05/2015

Ressources

Site officiel du château de Blois

http://www.chateaudeblois.fr

Site officiel du château de Chambord

http://chambord.org/

Site officiel du musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge

http://www.musee-moyenage.fr/

Site officiel du Musée national de la Renaissance – château d’Écouen

http://www.musee-renaissance.fr/

Sur la tour Jean-sans-Peur, seul vestige de l’hôtel de Bourgogne et rare exemple d’architecture civile du Moyen Âge à Paris avec l’hôtel de Cluny

http://fr.wikipedia.org/wiki/Tour_Jean-sans-Peur

Sur le palais Jacques-Cœur, à Bourges, autre magnifique exemple d’hôtel particulier du XVe siècle

http://www.ville-bourges.fr/site/palais-jacques-coeur

Glossaire

Abside : Terme qui, dans une église, désigne la partie de forme arrondie située derrière le chœur et, par extension, toute chapelle secondaire en hémicycle.

Arc brisé : En architecture, arc dont le profil présente à son sommet un angle plus ou moins aigu.

Armoiries : Ensemble composé de signes, de couleurs, de devises ou d’ornements qui constitue l’emblème d’un groupe, d’une famille, d’une ville ou d’un État.

Gothique flamboyant : Dernière phase du style gothique, de la fin du XIVe siècle au début du XVIe siècle. Elle se caractérise par des motifs décoratifs de plus en plus complexes, dont le plus fréquent, en forme de flamme, lui a donné son nom.

Art gothique : Style qui se développe à partir du milieu du XIIe siècle jusqu’au début du XVIe siècle dans l’Occident chrétien.

Thermes : Bains publics.

Grisaille : Peinture monochrome qui joue sur les nuances de noir et de gris afin de représenter les volumes. Dans l’art du vitrail, la grisaille désigne plus particulièrement le mélange utilisé pour réaliser le contour des figures et de certains détails.

Ogive : L’ogive est un type d’arc brisé. Dans l’art gothique, les ogives sont disposées en diagonale et se croisent pour renforcer une voûte. On parle alors de croisée d’ogives.

Passion : Dernière partie de la vie du Christ. Le Nouveau Testament rapporte les souffrances endurées par Jésus depuis son arrestation jusqu’à sa mise au tombeau.

Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.   

Cul-de-lampe : Pierre saillante servant à soutenir une statue, la retombée d’un arc ou d’une voûte. On dit aussi culot.

Encorbellement : Fait, pour une construction, d’être en saillie sur le mur et soutenue par des corbeaux, consoles ou tout autre support.

Escalier à vis : Escalier tournant en spirale autour d’un axe central appelé noyau qui soutient les marches.

Gable : Pignon décoratif très pointu, parfois ajouré et décoré de fleurons.

Meneau : Montant et traverse en pierre divisant la surface d’une fenêtre.

Pinacle : Couronnement vertical, souvent en forme de pyramide ou de cône, d’un contrefort ou d’un autre élément architectural.