Nature morte à l’échiquier Baugin Lubin

Nature morte à l’échiquier

Auteur

Dimensions

H. : 55 cm ; L. : 73 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur bois

Datation

Vers 1620

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment de simples objets composent-ils un sujet moral ?

Lubin Baugin fait d’abord carrière à Paris comme peintre de natures mortes. C’est à cette époque qu’il peint Nature morte à l’échiquier image principale un tableau qui s’impose comme un jeu visuel, avec des objets disposés simplement sur une table.

La beauté des objets

Les objets, peints avec beaucoup de réalisme, attirent notre regard : une partition, une mandore, une bourse de cuir vert, un jeu de cartes image b qui laisse apparaître un trèfle, puis un cœur et, dessus, un valet de trèfle image c. À droite, un échiquier supporte un vase contenant trois œillets image d. Un miroir métallique octogonal image d est accroché au mur. À l’arrière-plan, on aperçoit un verre de vin et un pain image e. Au milieu de tous ces objets, une forme oblongue et grisée crée la surprise : c’est une perle en forme de poireimage f.

La construction du tableau est simple et met les objets en valeur. L’image est structurée par les pans de murs verticaux, le bord de la table horizontale et les obliques de l’échiquier qui entraînent notre regard vers le fond du tableau. Dans l’espace ainsi créé, le peintre dispose les objets qui se succèdent en profondeur, se cachant l’un l’autre. Les lignes directrices sont complétées par des courbes : pain image e, vase image d, bourse image b. La palette se limite au gris, beige et noir, animés de nuances chaudes, jaune, ocre et rouge (mandore, fleurs, vin), et froides (bourse). La lumière, venant de la gauche, se dirige vers le premier plan. L’artiste joue avec la transparence du verre et du vase.

Une image codée

La mandore image b est un instrument de musique lié à la séduction. Près de la perle, elle évoque le plaisir amoureux et la courtisane. Une carte de trèfle appelle l’argent, un cœur, le sentiment. Le valet de cœur, homme amoureux, paiera pour obtenir les faveurs de la courtisane. La bourse confirme cette idée. Les cartes, la bourse et l’échiquier évoquent le jeu. À l’arrière-plan, le verre de vin et le pain image e proposent une lecture sensorielle : la vue avec le verre transparent, le goût avec le vin, le toucher avec la croûte du pain, complétés par l’odorat avec les œillets et l’ouïe avec la mandore. Ce tableau montre les cinq sens qui nous permettent de découvrir le monde et de le savourer. De toute évidence, l’artiste veut décrire les plaisirs terrestres : la gourmandise est évoquée par le pain et le vin, le parfum par les œillets, les plaisirs voluptueux par la perle, le valet de trèfle et la mandore. Notre regard est accroché par des matières diverses et luxueuses, par exemple le vase lisse et raffiné, la charnière ouvragée de l’échiquier et la perle précieuse. Le peintre nous offre une lecture des plaisirs des sens.

Une interprétation morale et religieuse

Le XVIIe siècle étant très religieux, le pain et le vin visibles dans le tableau symbolisent aussi l’Eucharistie. La transparence du vase rappelle la virginité de Marie, l’eau qu’il contient sa pureté, les trois fleurs la Sainte Trinité et les œillets l’incarnation du Christ image d. Le miroir ne reflète rien : il représente la destruction et la mort. Celui-ci évoque image d; l’idée que la vie est un songe et nous conduit à une autre interprétation, celle de la vanité. Le vin va tourner, le pain rassir, les œillets faner. La musique disparaît au moment où elle est créée. Que restera-t-il des amours quand les chairs seront flétries par le vieillissement des corps ? Ce tableau de jeunesse de Baugin traduit l’idée que tous ces bonheurs sont sans avenir. Ainsi, ce sujet agréable devient un sermon aux libertins et l’allégorie des cinq sens se transcende en allégorie des deux amours : terrestre, voué à la finitude, évoqué par la musique et les jeux, et spirituel, le vrai et éternel, traduit par les œillets, le pain et le vin.

Cette belle composition se présente donc comme une métaphore de l’esprit humain avec ses contradictions. L’oisiveté (cartes, échecs), le divertissement (musique), le luxe (verrerie), la sensualité (perle), l’argent (bourse) et la vanité (miroir) font réfléchir à la notion de memento mori (« Souviens-toi que tu es mortel »). Elle rappelle que la vie terrestre n’est qu’un passage et qu’il faut préparer la vie éternelle qui vient après.

Carrière d’un provincial à Paris

Lubin Baugin naît à Pithiviers en 1612, dans une famille aisée. Il se forme auprès des peintres de Fontainebleau. Il arrive à Paris en 1628, mais ne peut devenir peintre parisien, parce qu’il est provincial. Il s’installe dans l’enclos de Saint-Germain et y rencontre les Le Nain et des peintres nordiques. Maître de la corporation de Saint-Germain en 1629, il ne peut travailler que le genre de la nature morte (1630-1635). Quatre nous sont parvenues image principale image 1 image 2 image 3,dont ce tableau. Son voyage en Italie en 1632 lui révèle Corrège, Parmesan et Raphaël. Il devient maître peintre à Paris, peintre ordinaire du roi en 1643, et s’installe au pont Notre-Dame. Il peut alors travailler le genre de la peinture d’histoire image 4 image 5 Son style est classique et sobre. Avec le succès, il peut réaliser de grands tableaux mythologiques, des retables, des décors sacrés pour Notre-Dame de Paris. Reçu à l’Académie royale en 1651, il en est exclu en 1654… pour absentéisme.

En 1934, l’exposition Peintres de la réalité en France au XVIIe siècle, à Paris, présente Nature morte à l’échiquier image principale et Nature morte à la chandelle image 3. Amateurs et historiens de l’art redécouvrent alors Baugin.

Nature morte à l'échiquier - Lubin Baugin, une vidéo du musée du Louvre

Marie-Bélisandre Vaulet-Lagnier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/nature-morte-lechiquier

Publié le 10/05/2023

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010063168

Pourquoi dit-on "nature morte" ? sur le site web de France Culture

https://www.radiofrance.fr/franceculture/pourquoi-dit-on-nature-morte-9249207

L'article sur Lubin Baugin, Dictionnaire de la peinture, Larousse

https://www.larousse.fr/encyclopedie/peinture/Lubin_Baugin/151032

Glossaire

Nature morte : Représentation d’objets, de végétaux, de nourriture ou d’animaux sans vie.

Eucharistie : Sacrement du christianisme par lequel, lors des offices religieux, sont commémorés le dernier repas du Christ avec les apôtres et son sacrifice sur la croix.

Vanité : Type d’œuvre favorisant la méditation sur la mort et le caractère éphémère des plaisirs sensuels. Parmi les objets symboliques le plus fréquemment représentés figurent le crâne, le sablier, la flamme … 

Trinité : Dans la théologie chrétienne, incarnation de Dieu en trois personnes indivisibles et uniques par nature : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Mandore : Instrument à cordes et sans archet, sorte de luth. On la confond parfois avec la viole de gambe qui présente une caisse plate et demande un archet. Certaines variétés s’appellent «mandorle » ou « mandore » par ce que leur forme rappelle celle d’une amande (mandorla en italien).

Peinture d’histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.