Pendentifs à pendeloques
Pendentif à pendeloques
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En quoi ces bijoux montrent-ils l’influence prépondérante du Proche-Orient sur la Grèce au VIIe siècle av. J.-C ?
Ces deux pendentifs image principale prouvent avec éclat le raffinement et l'originalité de l'orfèvrerie à- Rhodes au VIIe siècle av. J.-C. Ils témoignent de la prospérité de l'île grecque, qui bénéficie d'une avantageuse position géographique au sud-est de la mer Égée à une époque où le commerce maritime s'intensifie avec le Proche-Orient. Les Rhodiens s'approprient alors des motifs décoratifs et des techniques orientales pour créer une orfèvrerie unique dans le monde grec.
Auguste Salzmann, artiste et pionnier de l'archéologie au XIXe siècle
Ces bijoux ont été retrouvés en 1859 à Camiros, dans la même tombe. Le plafond de celle-ci s'était effondré, détruisant le mobilier qu'elle contenait. Semblable à celui d'une tombe voisine image 1, il était surtout constitué de vases importés de différentes cités grecques et syriennes.
Le Français Auguste Salzmann et le vice-consul de Grande-Bretagne à Rhodes Alfred Biliotti conduisent ensemble la fouille de ce site archéologique qu'ils viennent de découvrir. Salzmann est une personnalité intéressante. Artiste complet, il s'illustre dans la peinture, le dessin, la photographie, l'architecture et la poésie. Ami du peintre orientaliste Eugène Fromentin, avec qui il voyage en Algérie, il se passionne en Egypte pour les découvertes archéologiques - d'Auguste Mariette. Il associe la photographie à son travail d'archéologue et porte beaucoup d'attention au contexte et à la restauration des objets retrouvés. Il fouille à Camiros avec Biliotti jusqu'en 1868, et leurs découvertes sont partagées entre le musée du Louvre et le British Museum. Malheureusement, Salzmann meurt en 1872 avant d'avoir publié ses recherches, et ses documents de fouilles ont été perdus.
Des bijoux d'une grande originalité
Dans l'orfèvrerie rhodienne, ces bijoux appartiennent à la série des plaquettes estampées dont ils constituent une version particulièrement sophistiquée.
Le premier est composé de plusieurs plaques agencées avec une grande complexité. La plus grande d'entre elles est ornée d'une femme nue, debout, de face, bordée d'un motif décoratif de cordes. Une tête de panthère la sépare de deux plaques plus petites présentant des têtes féminines de face et surmontées d'une grande rosette.
Le second bijou présente un décor animalier en ronde bosse : un lion attaque un aigle. La plaque est également décorée de rosettes, de têtes de griffons et de bossettes. Des pendeloques constituées de chaînettes tressées avec des rosettes, des têtes féminines, des fleurs de chardons et des grenades encadrent le bijou.
Les plaquettes estampées sont très rares dans l'orfèvrerie grecque . Quelle était donc la fonction de ces bijoux ? : pendants de tempe fixés à un diadème ? boucles d'oreilles ? pendentifs ? décors de vêtement ? Leur état d'origine est impossible à connaître, car tous deux ont été remaniés dans l'Antiquité : un grand crochet, qui porte des traces d'usure, a été fixé au revers du bijou en ronde bosse pour le transformer en pendentif détail b. Ces remaniements prouvent que ces bijoux ont bien été portés avant d'être déposés dans la tombe, ce dont les archéologues doutaient en raison de leur finesse et de leur fragilité.
Une inspiration et des techniques venues du Proche-Orient
L'origine des plaquettes estampées est à situer à Chypre, une île qui entretient d'étroites relations commerciales avec Rhodes et qui lui transmet - des thèmes et des techniques orientales.
L'estampage consiste à frapper le revers d'une feuille métallique à l'aide de poinçons, sans doute en bronze pour être assez résistants, afin d'obtenir un motif en relief sur l'avers. Cette technique permet de réaliser des décors en série en utilisant le même poinçon : tête féminine ici, centaure image 2 ou maîtresse des animaux image 3 ailleurs. Le lion et les têtes de griffons ont aussi été réalisés au poinçon, en deux parties réunies ensuite par soudure.
D'autres techniques d'origine orientale sont utilisées ici, comme le filigrane pour les bossettes de la plaque en ronde bosse ou encore la granulation : de minuscules grains d'or rehaussent les têtes féminines, les animaux et les rosettes, ou recouvrent complètement la chevelure de la femme nue et son collier détail c. Les archéologues ont d'ailleurs retrouvé à Rhodes des loupes en cristal de roche, indispensables aux orfèvres !
Enfin, la forte proportion d'argent dans l'alliage de ces bijoux résulte d'une volonté délibérée d'obtenir un or pâle, un goût partagé par les habitants de la Grèce de l'Est, de Chypre et de la Phénicie au VIIe siècle av. J.-C.
L'iconographie de ces objets est également influencée par celle du Proche-Orient, surtout de la Syrie : c'est le cas aussi bien de la femme nue debout, inspirée d'Astarté, la déesse de la fécondité, que des animaux et des rosettes. Les têtes féminines, encadrées d'une épaisse chevelure -, rappellent quant à elles la Dame d'Auxerre image 4, une œuvre crétoise contemporaine qui relève aussi d'un style orientalisant.
La production d'un atelier de Camiros
Peu diffusés en dehors de l'île, la plupart des bijoux rhodiens ont été trouvés à Camiros, sur la côte ouest de Rhodes, l'une des trois cités-États qui se partagent le territoire de l'île avant son unification politique en 408 av. J.-C. Celle-ci s'était peut-être spécialisée dans l'orfèvrerie : une inscription verticale, visible sur une plaque aux centaures en argent conservée au musée du Louvre image 2, indique « KAMI », le début du mot Camiros en grec. S'agit-il d'une marque de fabrique, un « made in Camiros » avant l'heure, qui ne pouvait être qu'un gage de qualité ?
Au-delà de leurs différences, les deux bijoux présentent une même conception d'ensemble, des procédés de granulation semblables et les mêmes pendeloques en forme de grenades, car ils ont été réalisés dans le même atelier, peut-être par des orfèvres différents, mais virtuoses. Les pendeloques plus simples étaient en revanche produites en série par des artisans moins qualifiés et utilisées au fil des besoins. Il existait donc une hiérarchie au sein de cet atelier qui produisait, réparait et transformait les bijoux.
Mots-clés
Françoise Besson
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/pendentifs-pendeloques
Publié le 06/07/2018
Ressources
Les dernières études techniques sur la céramique et l’orfèvrerie rhodiennes
http://c2rmf.fr/sites/c2rmf.fr/files/cp_rhodes_12_nov_2014.pdf
Un article sur Auguste Salzmann sur le site de la Bibliothèque nationale de France
Un commentaire sur un bijou rhodien conservé au British Museum
Glossaire
Filigrane : Technique d’orfèvrerie qui consiste à concevoir un décor à partir de fils de métal entrelacés et soudés sur un support.
Granulation : Minuscules sphères en or fixées à chaud à la surface d’un bijou pour dessiner un motif.
Grèce de l'Est : Nom donné dans l'antiquité à la côte de la Turquie actuelle bordée par la mer Egée et aux îles qui lui font face.
Ronde-bosse : Sculpture en trois dimensions, travaillée sur toutes ses faces. Toute statue est une ronde-bosse.
Estampage : Façonnage, par déformation plastique, d’un morceau de métal (lopin) à l’aide d’outillage (matrice) permettant de lui donner une forme et des dimensions très proches de celles de la pièce finie. Tout procédé qui consiste à imprimer en creux ou en relief des lettres, des ornements, des figures sur un corps résistant, ou à découper certains objets, à percer des trous dans les métaux.
Iconographie : Ensemble des images correspondant à un même sujet. On parle de programme iconographique lorsqu’un décor en plusieurs parties regroupe de manière cohérente différents sujets autour d’un même thème.
Orfèvrerie : Art de travailler les métaux précieux.
Poinçon : Outil pointu servant à travailler la pierre ou le métal. Le mot désigne aussi la marque, faite au poinçon, qui renseigne sur le degré de pureté d’un métal ou identifie un orfèvre.