Prise de Constantinople par les croisés (12 avril 1204) Delacroix Eugène

Prise de Constantinople par les croisés (12 avril 1204)

Dimensions

H. : 411 cm ; L. : 497 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1840

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Un tableau romantique et orientaliste ? Une page d’histoire ?

Au XIXe siècle, la peinture d'histoire occupe une place centrale dans la carrière d'un artiste ambitieux comme Eugène Delacroix. Il crée de grandes œuvres tumultueuses inspirées d'événements historiques tragiques qu'il puise dans l'histoire aussi bien ancienne que récente. Épris d'Orient comme nombre d'artistes au XIXe siècle, il offre, avec la Prise de Constantinople par les croisés [ image principale ] une composition mouvementée, sensuelle, lyrique et colorée.

Pour le musée de l'Histoire de France

En 1837, Louis-Philippe avait inauguré le musée de l'Histoire de France installé dans le château de Versailles, l'ancienne résidence des souverains. C'est pour ce nouveau musée qu'en avril 1838, l'administration des Beaux-Arts passe commande à Eugène Delacroix la Prise de Constantinople par les croisés, en vue de compléter le parcours par une salle des croisades qui ouvrira au public en 1843. Transférée au musée du Louvre en 1885, l'œuvre de Delacroix a été remplacée à Versailles par une copie signée Charles de Serres. C'était la deuxième toile que Delacroix réalisait pour le musée de l'Histoire de France, la première étant La Bataille de Taillebourg [ image 1 ], placée dans la galerie des Batailles.

Un épisode célèbre de la quatrième croisade

L'épisode que Delacroix est chargé de représenter a eu lieu durant la quatrième croisade, levée au début du XIIIe siècle par le pape Innocent III pour reprendre les Lieux saints. Détournée par les Vénitiens, l'expédition aboutit à la prise de Constantinople et à la création de l'Empire latin d'Orient en 1204. Le livret du Salon de 1841, où le tableau fut présenté, décrit la scène en ces termes : « Baudouin, comte de Flandre, commandait les Français qui avaient donné l'assaut du côté de la terre, et le vieux doge Dandolo, à la tête des Vénitiens et sur les vaisseaux, avait attaqué le port. Les principaux chefs parcourent les divers quartiers de la ville, et les familles éplorées viennent sur leur passage invoquer leur clémence. »

Le sens de la mise en scène

Devant un arrière-plan de ville incendiée qui s'étend jusqu'à l'horizon, un groupe de cavaliers piétine un amas d'objets précieux. Au centre de la composition, Baudoin de Flandre, monté sur un cheval à la tête baissée, regarde un vieillard richement vêtu qui l'implore, l'empereur déchu Isaac Comnène. Au-dessus de l'épaule droite de Baudoin apparaît le doge Enrico Dandolo, reconnaissable à son couvre-chef au revers de fourrure blanche mouchetée de noir [ détail b ]. Au premier plan, des personnages encadrent le groupe central : à gauche Isaac Comnène qui s'appuie sur l'épaule d'une jeune femme agenouillée à droite, une jeune femme dénudée jusqu'à la taille, prostrée sur un cadavre dont la tête gît sur ses genoux [ détail c ]. Au second plan, à gauche, sous un portique à colonnes qui évoque le palais des empereurs byzantins, un croisé repousse un personnage âgé, probablement le patriarche de Constantinople [ détail d ].

Un ensemble structuré de lignes et de couleurs

La commande impose à Eugène Delacroix un format presque carré. Le peintre choisit de placer l'horizon assez haut et de situer la scène en haut d'une colline qui offre un vaste panorama sur la ville et la Corne d'or. Peinte dans un blanc éteint, Constantinople se découpe sur une mer turquoise. Les acteurs principaux du drame se détachent de manière monumentale sur le paysage qui se déploie à l'arrière-plan. Le peintre resserre sur eux la composition grâce au triangle central que forment les personnages du premier plan et la tête de Baudouin de Flandre. Les différents plans sont reliés par les lances et les oriflammes, ainsi que par l'artère qui sinue dans la ville sur la droite. Delacroix structure aussi sa composition par le coloris. Une harmonie de couleurs terreuses unifie l'ensemble. Mais les tons fauves des chevaux et du sol, les lueurs rouges du manteau du vieillard ou de l'oriflamme piétinée, ceinturent le groupe central et renforcent le sentiment de drame.

Une atmosphère d'orage

La fumée des incendies et les nuages assombrissent la cité et plongent le visage de Baudouin dans la pénombre. Près de quinze ans après la présentation de l'œuvre au Salon de 1841, Charles Baudelaire évoque l'« harmonie orageuse et lugubre » du tableau. La Prise de Constantinople tient plus en effet d'une scène théâtrale, structurée par l'ombre et les couleurs, que du plaisant paysage orientaliste. Le ciel bas, aussi peu méditerranéen que possible, pèse sur une ville mise à sac et livrée au massacre, où des soldats brutaux se mêlent aux civils implorants. La figure féminine de droite [ détail c ] évoque à elle seule la douleur et l'innocence persécutée. Attentif à ce drame individuel plus qu'au triomphe des vainqueurs, Delacroix place résolument le spectateur du côté des victimes.

Dans le mouvement romantique

Dans ce tableau, Delacroix met en œuvre tous les moyens plastiques dont il dispose pour rendre la scène plus dramatique. Il exploite notamment le pouvoir expressif de l'ombre et de la couleur. Il évite le pittoresque et l'anecdotique si souvent présents dans les peintures des galeries historiques de Versailles. En ce sens, la Prise de Constantinople s'inscrit dans le romantisme dont Delacroix est, bien malgré lui, le chef de file. L'artiste entraîne la peinture sur une voie nouvelle bien loin du néoclassicisme. Il traite le sujet avec une liberté nouvelle, perceptible aussi dans la couleur et dans la touche. Il renoue avec l'art de Rubens aux amples compositions et aux riches coloris. À la suite de Géricault qu'il admire tant, il nourrit ses peintures d'histoire d'un réalisme tragique et intense.

Glossaire

Peinture d’histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.

Romantisme : Le mot est introduit dans la langue française par Rousseau à la fin du XVIIIe siècle. Il désigne par la suite un élan culturel qui traverse la littérature européenne au début du XIXe siècle, puis tous les arts. Rompant avec les règles classiques, la génération romantique explore toutes les émotions données par de nouveaux sujets, en privilégiant souvent la couleur et le mouvement.

Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.

Salon : Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.