Sainte Marthe
Sainte Marthe
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En quoi cette œuvre est-elle représentative de la sculpture allemande de la fin du Moyen Âge ?
La Souabe, région du Sud de l'Allemagne, voit se développer une abondante et remarquable production artistique autour de 1500. De nombreux ateliers sont actifs dans des cités prospères comme Ulm, Augsbourg ou Biberach. Ils créent surtout des œuvres religieuses, parmi lesquelles dominent les retables sculptés. Mais la Réforme protestante, hostile aux images sacrées met un coup d'arrêt à leur activité vers 1530.
Une sculpture en bois polychrome
Au Moyen Âge, les sculpteurs travaillent des matériaux très variés. Le bois, abondant et peu coûteux, est particulièrement utilisé dans le Nord de l'Europe. Cette petite statue image a est taillée dans du tilleul, un bois tendre particulièrement apprécié par les sculpteurs allemands car il permet de creuser en profondeur et avec finesse les drapés image c. L'inconvénient du bois est sa fragilité, car il est très sensible aux variations de température et d'humidité de l'air ambiant. Il est également sujet aux attaques d'insectes, ce qui peut expliquer ici la disparition du bout des doigts de la main droite.
Le travail des sculpteurs médiévaux est mis en valeur par la polychromie. Sa disparition, complète ou partielle, transforme la perception que nous avons aujourd'hui de leurs œuvres. Ici, quelques traces des couleurs d'origine subsistent : du blanc est encore visible sur le visage de la sainte image b, son voile image b et le groupe de personnages à ses pieds ses traits sont rehaussés avec délicatesse par du brun pour les yeux et les sourcils, du rose pour les joues, du rouge pour les lèvres image b les plis du manteau ont conservé des traces de bleu et d'or image c des feuilles d'argent appliquées sur le seau accentuaient encore l'aspect précieux et coloré de la statue.
Sainte Marthe au manteau protecteur : une iconographie rare
Sainte Marthe est identifiable à son attribut traditionnel, le seau d'eau bénite. Suivant une légende provençale, reprise et diffusée par La Légende dorée de Jacques de Voragine, Marthe de Béthanie est arrivée aux Saintes-Maries-de-la-Mer avec son frère Lazare et sa sœur Marie, peu après la mort du Christ. Elle y a vaincu un dragon, la Tarasque, en l'aspergeant d'eau bénite. Elle est le plus souvent représentée avec ce monstre image 1, qui a donné son nom à Tarascon, la ville où la sainte est enterrée et dont elle est la patronne. Mais ici, au lieu de la Tarasque attendue, c'est un groupe de pénitents qui est figuré aux pieds de la sainte, blotti sous son manteau dont elle écarte un pan de la main droite. Ils sont vêtus d'une longue robe blanche et ont la tête couverte d'une cagoule agenouillés, en prière, ils lèvent le regard vers elle et paraissent implorer sa protection. Ils sont représentés à _plus petite échelle _ _ que la sainte, un moyen habituel dans l'art médiéval pour exprimer leur moindre importance et leur humilité.
Ce motif du manteau protecteur est très populaire à la fin du Moyen Âge dans toute l'Europe, avant de disparaître à la Renaissance. D'origine laïque, il symbolise la protection accordée à quelqu'un ou le fait d'intercéder en sa faveur. Il est repris dans l'iconographie chrétienne à partir du XIIIe siècle et associé le plus souvent à la Vierge, appelée alors Vierge de miséricorde image 2, mais aussi à Dieu le Père, le Christ ou des saints. Il est prisé par les ordres religieux, comme les cisterciens ou les dominicains, qui marquent ainsi leur dévotion toute particulière envers la Vierge Marie. Mais il est aussi largement adopté par les confréries de pénitents, des associations pieuses de laïques qui se placent elles aussi sous la protection de la Vierge ou de saints. C'est sans doute une de ces confréries qui a commandé cette œuvre et _demandé cette iconographie, exceptionnelle pour sainte Marthe. Malheureusement, la provenance de cette statue et donc le contexte de sa création ne sont pas connus.
Une figure appartenant à la caisse d'un retable
Le revers de la sculpture a été largement évidé et porte de nombreuses traces d'outils image d, signe qu'il n'était pas visible. Sainte Marthe était probablement adossée au fond d'un retable de taille moyenne, dans la chapelle privée de la confrérie. En Europe du Nord, les retables destinés aux autels associaient souvent une partie centrale – ou caisse – ornée de sculptures - à des volets peints mobiles image 3. Ceux-ci n'étaient ouverts que pour les fêtes religieuses, dévoilant alors la richesse du décor sculpté. Les retables se multiplient à la fin du Moyen Âge en raison du développement de la dévotion privée et du culte rendu aux saints, ainsi que du rôle croissant des images dans la société. Leur décor et leur taille s'adaptent à l'autel sur lequel ils prennent place et aux exigences de leurs commanditaires. Malheureusement, beaucoup ont été démembrés depuis et leur décor dispersé.
Une œuvre caractéristique du style gothique tardif en Souabe
La sainte est élégamment vêtue d'une longue robe ceinturée sous la poitrine image a. Sa tête inclinée assouplit la composition. Son épais voile à mentonnière met en valeur par contraste la finesse de ses traits image b. L'expression de son visage est pleine de douceur et d'une grâce un peu mélancolique, et un léger sourire flotte sur ses lèvres image b. Le manteau est travaillé de façon très décorative : le pan relevé par la main gauche de la sainte forme de longs plis image c qui ondulent avec souplesse avant de se casser sur le sol. On retrouve le même style raffiné et délicat dans d'autres sculptures souabes au début du XVIe siècle, même s'il est difficile d'attribuer cette œuvre à un maître précis. Si Sainte Marthe s'inscrit encore dans le style gothique tardif, d'autres œuvres de cette région, comme la Sainte Marie-Madeleine de Gregor Erhart image 4, annoncent déjà l'art de la Renaissance.
Ressources
La présentation de l’exposition « Sculptures souabes de la fin du Moyen Âge » qui s’est tenue en 2015 au musée de Cluny
Le site internet du musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge
Glossaire
Retable : Œuvre peinte ou sculptée, placée sur l’autel d’une église.
Commanditaire : Personne qui commande et finance une œuvre, une entreprise.
Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.
Art gothique : Style qui se développe à partir du milieu du XIIe siècle jusqu’au début du XVIe siècle dans l’Occident chrétien.
Iconographie : Ensemble des images correspondant à un même sujet. On parle de programme iconographique lorsqu’un décor en plusieurs parties regroupe de manière cohérente différents sujets autour d’un même thème.
Ordre cistercien : Le mot « cistercien » vient du nom de l’ordre et de l’abbaye de Cîteaux, fondés par Robert de Molesme à la fin du XIe siècle. L’ordre est réformé au XIIe siècle par Bernard de Clairvaux, qui en devient le maître spirituel. Il désirait revenir aux principes de simplicité et de pauvreté dictés par la règle de saint Benoît, en opposition aux riches monastères bénédictins, comme Cluny, qui s’en étaient éloignés.
Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.
Statue : Sculpture en trois dimensions réalisée dans différents types de matériaux (pierre, bois, métal, terre).
Légende dorée : Le plus célèbre recueil de la vie des saints au Moyen Age. Il fut écrit en latin dans les années 1260 par Jacques de Voragine, un moine dominicain italien qui fut aussi archevêque de Gênes. Les récits qu’il contient, emplis de merveilleux, avaient pour but d’exalter la foi chrétienne et ont inspiré de nombreux artistes.
Polychromie : Procédé qui consiste à appliquer différentes couleurs sur une œuvre d’art ou un monument, ou à utiliser des matériaux colorés pour sa réalisation.