Sarcophage « de la Trinité »

Sarcophage « de la Trinité »

Auteur

Dimensions

Provenance

Arles

Technique

Haut-relief

Matériaux

Marbre blanc

Datation

Première moitié du IVe siècle

Lieu de conservation

France, Arles, musée départemental Arles antique

En quoi ce sarcophage montre-t-il la transformation de la société romaine et la diffusion de plus en plus large du christianisme ?

Arles, la « petite Rome des Gaules » selon le poète Ausone.

Fondée par Jules César en 46 av. J.-C., la ville doit sa richesse à son rôle de port maritime et fluvial. L'actuel quartier de Trinquetaille, situé sur la rive droite du Rhône, comprenait une zone portuaire et des entrepôts, des habitations et deux nécropoles. Le christianisme s'implante très tôt à Arles, dès le IIIe siècle. Saint Genest, décapité à Trinquetaille lors des grandes persécutions de la fin du IIIe siècle, est enterré dans la nécropole des Alyscamps, qui deviendra la plus importante de la ville au Moyen Âge [ image 1 ] . Le musée départemental de l'Arles antique possède donc une des plus belles collections au monde de sarcophages, en particulier des débuts du christianisme.

Une découverte exceptionnelle

Le sarcophage dit de la Trinité [ image principale ] a été découvert à Trinquetaille en 1974, à l'occasion d‘une fouille de sauvetage, dans un fossé de la route conduisant d'Arles aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Il se trouvait, avec deux autres sarcophages, à plus d'un mètre de profondeur, sous un dallage de calcaire, dans les ruines d'un édifice – sans doute un monument funéraire. Cette découverte montre que même des sarcophages très décorés comme celui-ci pouvaient ne pas être exposés en plein air, à la vue de tous, mais trouver place sous terre, dans un hypogée inaccessible. Le sarcophage, inviolé, contenait les squelettes d'un homme âgé d'environ soixante ans et d'une femme d'une cinquantaine d'années.

Un sarcophage richement orné, importé de Rome

De forme rectangulaire, le sarcophage est constitué d'une cuve ornée de reliefs disposés sur deux registres et d'un couvercle également sculpté à l'exception de deux éléments circulaires, peut-être destinés à l'épitaphe mais demeurés vides. Au centre de la face principale, un médaillon en coquille contient le portrait d'un couple vu en buste l'épouse est tournée vers son mari et lui tient le bras [ détail b ] . Ce type de médaillon, qui apparaît au IIIe siècle, isole et met en valeur les portraits des défunts. Il s'agit d'un couple appartenant à la haute société. L'homme, au visage rond, aux cheveux courts, porte une toge dont un large pan lui barre la poitrine ce détail vestimentaire est courant depuis le IIIe siècle. Parée de bijoux (collier de perles, bracelet), la femme est coiffée d'une couronne de cheveux tressés – sans doute postiches.

Les côtés sont décorés de motifs en S évoquant des strigiles l'arrière n'est pas sculpté. Cette disposition du décor est typique des sarcophages fabriqués à Rome, qui étaient largement exportés. Certaines parties étaient néanmoins terminées sur place, notamment les portraits, qui devaient être ressemblants.

En effet, les coutumes funéraires du monde romain ont connu un changement important à partir du IIe siècle, avec le remplacement de la crémation par l'inhumation. Les raisons de cette évolution sont encore difficiles à déterminer précisément. Se développe alors une abondante production de sarcophages en marbre au riche décor sculpté, destinés à une clientèle aisée et fabriqués dans les ateliers de Rome, d'Athènes ou d'Asie Mineure. Les sarcophages de Rome présentaient la particularité d'être sculptés sur trois côtés, mais la face principale était clairement privilégiée ils étaient exportés, surtout par bateau étant donné leur poids, vers la partie occidentale de l'Empire, ce qui explique leur présence à Bordeaux [ image 2 ] ou à Arles. Une production arlésienne apparaît aussi au IVe siècle. Le style du sarcophage de la Trinité est typique de l'Antiquité tardive : la composition est dense, les personnages ont des têtes rondes et des cheveux bouclés, les plis de leurs vêtements sont profondément creusés.

Un décor chrétien

En 313, l'édit de Milan accorde la liberté religieuse aux habitants de l'Empire romain. Les chrétiens n'ont plus à craindre les persécutions, et on voit apparaître sur leurs sarcophages des scènes tirées de la Bible et des Évangiles auparavant le décor était purement symbolique, et sa signification chrétienne accessible aux seuls initiés : le Christ pouvait être représenté par le personnage du Bon Pasteur [ image 3 ] ou par le symbole du poisson. L'art paléochrétien met en parallèle l'Ancien et le Nouveau Testament : le décor sculpté du sarcophage de la Trinité est un résumé d'histoire sainte, d'Adam et Ève à l'évangélisation du monde par les apôtres. Contrairement à ce que l'on pourrait attendre, il ne se lit pas de façon linéaire, de gauche à droite, et les diverses scènes ne suivent pas la chronologie du récit biblique. Parmi les épisodes de l'Ancien Testament représentés sur le couvercle, Adam et Ève occupent ainsi une position centrale entre le sacrifice d'Isaac et la remise des Tables de la Loi à Moïse.

Un parallèle entre l'Ancien et le Nouveau Testament

Le décor de la cuve figure des scènes de la vie de Jésus. L'Adoration des Mages se trouve en bas à gauche [ détail c ] . La Vierge trône sur un grand siège à dossier, avec Jésus sur ses genoux saint Joseph est debout derrière elle. Les Mages ont tous trois l'apparence d'Orientaux, avec un pantalon perse, une tunique longue ceinturée à la taille et un bonnet phrygien. Leurs dromadaires sont visibles à l'arrière-plan. Ils apportent leurs offrandes (l'or, l'encens et la myrrhe) à Jésus, et le premier d'entre eux désigne l'étoile qui les a conduits jusqu'à lui. Cette scène s'inspire de reliefs romains montrant des Orientaux qui présentent leurs tributs à l'empereur, une image que l'on retrouvera plus tard sur des ivoires byzantins, tel l'ivoire Barberini [ image 4 ] . Comme souvent sur les sarcophages paléochrétiens, elle est mise en parallèle avec le refus des Hébreux d'adorer la statue de Nabuchodonosor à Babylone : le refus d'adorer un faux dieu préfigure ainsi, pour les chrétiens, la reconnaissance du Dieu véritable par les Rois mages.

Les miracles du Christ et de ses apôtres

De nombreuses scènes sont consacrées aux miracles du Christ. Dans le registre supérieur, à droite, il rend la vue à un aveugle de naissance, représenté avec la taille d'un enfant, et il accorde à une femme cananéenne, agenouillée à ses pieds, la guérison de sa fille [ détail d ] . Puis il annonce à saint Pierre que celui-ci le trahira avant que le coq ne chante (l'animal est entre eux) cette scène annonce la Passion. Tous deux sont représentés suivant leur iconographie habituelle dans l'art paléochrétien : le Christ est un jeune homme imberbe aux cheveux bouclés, saint Pierre est barbu. Ils sont vêtus d'une tunique et drapés dans un manteau.

D'autres miracles figurent au centre du registre inférieur et font allusion au pain et au vin de l'eucharistie : il s'agit du miracle des noces de Cana, où Jésus transforme de l'eau en vin (on voit les cruches posées à terre), et de la multiplication des pains, placés dans des paniers [ détail e ] .

Puis deux scènes, tirées des Actes des Apôtres, mettent en valeur le rôle de saint Pierre comme évangélisateur : il fait surgir une source miraculeuse à laquelle s'abreuve un centurion romain qu'il vient de convertir, et il enseigne, assis sous un arbre [ détail f ].

Une scène énigmatique

Une dernière scène est difficile à identifier dans la partie gauche du registre supérieur. Deux petits personnages nus se tiennent debout devant un homme barbu assis sur un trône, entouré d'autres hommes. S'agit-il d'Adam et Ève ou des âmes des deux défunts présentés à Dieu ? Ce dieu forme-t-il avec les deux personnages qui l'encadrent une trinité chrétienne ? Rien ne permet de le dire avec certitude, mais cette dernière hypothèse a valu à ce sarcophage d'être nommé « de la Trinité ».

Françoise Besson

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/sarcophage-de-la-trinite

Publié le 09/08/2013

Ressources

Site officiel du musée départemental de l’Arles antique

http://www.arles-antique.cg13.fr/mdaa_cg13/root/index.htm

Site officiel du musée du Louvre

http://www.louvre.fr/

Glossaire

Épitaphe : Inscription funéraire.

Hypogée : Construction, le plus souvent funéraire, dont toutes les parties, chapelle et caveau dans le cas d’une tombe, ont été creusées dans le sol ou une falaise.

Strigile : Motif décoratif en forme de « S », qui doit son nom à un objet de la vie courante. Le strigile est en effet un ustensile de métal servant à la toilette dans les sociétés étrusque et romaine. Il permettait de racler la peau afin d’enlever les restes d’huile ou d’impuretés.

Eucharistie : Sacrement du christianisme par lequel, lors des offices religieux, sont commémorés le dernier repas du Christ avec les apôtres et son sacrifice sur la croix.

Iconographie : Ensemble des images correspondant à un même sujet. On parle de programme iconographique lorsqu’un décor en plusieurs parties regroupe de manière cohérente différents sujets autour d’un même thème.

Fouille de sauvetage : Fouille réalisée dans l’urgence quand des vestiges archéologiques sont mis au jour à l’occasion de travaux de construction ou de voirie.

Registre : Dans une œuvre peinte ou sculptée, lorsqu’un décor est réparti sur plusieurs bandes superposées, le registre désigne l’ensemble des éléments situés au même niveau.

Art paléochrétien : Art des débuts du christianisme.

Ancien et Nouveau Testament : Pour les chrétiens, les deux recueils constituant la Bible. Le Nouveau Testament, qui comporte notamment les quatre Évangiles, rapporte la vie et l’enseignement du Christ et de ses disciples.

Relief : Type de sculpture en deux dimensions, dont le décor se détache en saillie sur un fond.