Tête anthropomorphe - Uhum welao

Tête anthropomorphe

Auteur

Dimensions

H. : 21 cm ; L. : 15, 5 cm ; Pr. : 13,5 cm

Provenance

Nigéria - Culture Edo

Technique

Sculpture, Fonte à la cire perdue

Matériaux

Alliage cuivreux, Corail

Datation

Fin du XVe – début du XVIe siècle

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Roi ou ennemi ? Comment des objets donnent-ils corps à l’histoire d’un royaume ?

Cette sculpture image principale, conservée au pavillon des Sessions du musée du Louvre, appartient à ensemble de bronzes provenant du Bénin. Parmi plusieurs milliers de pièces, figurent de nombreuses têtes sculptées et plaques décoratives historiées. Elles ont été réalisées principalement entre les XVe et XIXe siècles au sein de l’ancien royaume de Bénin image 9, localisé au sud du Nigéria actuel, avec pour objectif d’affirmer et d’illustrer le prestige du souverain du peuple Edo, l’oba. Elles sont caractéristiques du grand raffinement des productions royales de cette région.

L’art du métal

Documenté dès le Xe siècle au Nigéria, l’art du métal, et notamment la réalisation d’objets en bronze, se développe tout particulièrement au XVe siècle, sous le règne du grand roi Ewuare. L’artisan Igueghae entre au service de ce roi. Il maîtrise la technique du bronze, qu’il a héritée de son père, maître bronzier originaire du royaume voisin d’Ifé. Cet art de prestige joue un rôle essentiel dans l’affirmation du statut du souverain. L’oba seul a le pouvoir de commander les têtes de bronze et les plaques historiées destinées à perpétuer la mémoire des souverains défunts. Le terme bronze est utilisé de manière générique pour désigner les productions des maîtres bronziers au service du roi réunis au sein d’une guilde (Igun Eronmwan). Les études ont démontré que si certaines pièces sont effectivement constituées de bronze, la majorité des objets sont faits de laiton. Ces alliages assument une fonction symbolique forte. Leur solidité en fait de puissants gages de permanence et de continuité. Les objets en bronze et en laiton, comme ceux en ivoire qui leur sont associés, ont pour fonction de préserver et de protéger. La brillance du métal leur confère puissance et beauté. Il est probable que l’on recouvrait certaines pièces de latérite. La teinte rouge ainsi obtenue contribuait alors à éloigner les forces du mal et à renforcer la puissance de l’objet.

Têtes commémoratives et têtes trophées

La tête possède, dans la culture Edo, une place essentielle. Elle incarne la destinée de l’individu. Lorsqu’il s’agit du souverain, elle revêt une valeur symbolique encore plus forte. À sa mort, son successeur fait réaliser une tête de bronze destinée à honorer sa mémoire. Il la dépose au cours d’une cérémonie sur un autel spécifique dans le palais, cœur du pouvoir politique et spirituel du royaume. Cet acte confirme le pouvoir du nouveau souverain, intermédiaire privilégié entre ses ancêtres, le monde des esprits et les vivants. Il renforce l’assise spirituelle du nouveau roi. Les têtes commémoratives ont évolué au fil des siècles. On considère souvent que les plus naturalistes et les plus sobres, comme notre œuvre image principale, sont parmi les œuvres les plus anciennes. Au fil du temps, il semble que les traits se stylisent plus fortement. À partir des XVIIe et XVIIIe siècles, les ornements de perles et de corail, notamment les colliers et la couronne, se multiplient, dissimulant une partie du visage image 1 image 2. C’est également au XVIIIe siècle que de grandes défenses d’éléphants sculptées sont posées sur le sommet de la tête. Les scènes gravées sur ces ivoires rapportent probablement certains événements du règne écoulé image 3. Elles rappellent que ces pièces ont non seulement une valeur spirituelle, mais aussi une fonction mémorielle. Elles sont destinées au souvenir des différents règnes et permettent de conserver l’histoire du royaume. Beaucoup s’accordent à penser que cette fonction était assurée auparavant par les fameuses plaques décoratives historiées, qui sont parvenues jusqu’à nous en grand nombre et qui ornaient le palais aux XVIe et XVIIe siècles image 4.

Roi ou ennemi ?

La tête ici présentée image principale se singularise par sa qualité d’exécution. Les yeux en amande, la pupille incrustée, le nez épaté comme les lèvres bien dessinées sont caractéristiques des types physiques que l’on retrouve sur certaines plaques. Elle comporte toutefois des particularités qui font douter qu’il s’agisse d’une sculpture commémorative d’un oba défunt. Le statut de l’individu représenté fait débat. L’absence de couronne, le type de coiffure à cinq rangées de fines tresses image b et le nombre de scarifications image c (deux larges bandes, à l’origine incrustées de lames de fer comme dans les pupilles, accompagnées de quatre chéloïdes au-dessus des sourcils), ne correspondent pas aux marques corporelles des hommes du royaume de Bénin et plaident en faveur de la représentation d’un étranger. Il se pourrait donc que cette représentation ne soit pas celle d’un souverain Edo, mais d’un ennemi du royaume. Elle serait alors une tête trophée. Destinée à rappeler les victoires des obas, elle explicite ce qu’il en coûte de s’opposer aux rois conquérants des XVe et XVIe siècles. C’est très vraisemblablement à cette période, véritable âge d’or du royaume, que se rattache cette tête de bronze qui figure parmi les exemples les plus anciens et les plus raffinés.

La question de la restitution des œuvres

Comme pour nombre d’objets en provenance d’Afrique, la question d’un retour des bronzes est posée par les autorités. Le sujet est ici d’autant plus complexe que leur arrivée en Europe est liée à l’expédition punitive décidée durant la période coloniale par les autorités britanniques. En février 1897, suite à la mort dans une embuscade des membres d’une délégation conduite par le général du protectorat de la côte, les forces militaires britanniques attaquent la capitale du royaume, Benin City. Elles découvrent dans le palais des milliers d’objets en ivoire et en bronze image 6. Plus de 2 400 pièces embarquent pour l’Europe, alors que le palais brûle. De nombreuses pièces rapportées sont dispersées, certaines, vendues aux enchères, servent à payer en partie les frais de l’expédition. Aujourd’hui, la grande majorité des bronzes de Bénin est conservée en Europe et aux États-Unis. Après le départ forcé en exil du roi Ovonramwen en 1897 image 7 ses héritiers sont remontés sur le trône et ont renoué avec les anciennes traditions image 8. Depuis plusieurs décennies déjà, les obas demandent le retour des œuvres de leurs ancêtres. De nombreuses discussions ont été engagées. Parmi les perspectives, se dessine celle d’une présentation des œuvres restituées ou prêtées de manière temporaire dans le nouveau musée de Benin City, l’Edo Museum of West African Art, en cours de construction.

Les bronzes du Bénin, une vidéo de la BBC Two

Anne Bouvier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/tete-anthropomorphe-uhum-welao

Publié le 20/03/2023

Ressources

Présentation des bronzes du Bénin dans les collections du British Museum

https://www.britishmuseum.org/about-us/british-museum-story/objects-news/benin-bronzes

Dossier de presse de l’exposition Bénin. Cinq siècles d’art royal organisée du 2 octobre 2007 au 6 janvier 2008 au musée du Quai Branly

http://www.quaibranly.fr/uploads/tx_gayafeespacepresse/MQB-DP-Benin-5-siecles-d-art-royal-FR.pdf

Ifé-Bénin : deuxroyaumes, une seule culture, Le Courrier de l'Unesco, page 5

https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000074683_fre.locale=fr

Glossaire

Guilde : Association d’individus exerçant une même profession, unis par un ensemble de pratiques et de règles.

Laiton : Alliage composé pour l’essentiel de cuivre et de zinc.

Latérite : Roche rouge.

Chéloïde : Cicatrices en relief