Le Bain Stevens Alfred
Le Bain
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Comment ce tableau reflète-t-il les préoccupations pour l’hygiène au XIXe siècle, tout en s’inscrivant dans une tradition picturale ?
« Un Flamand qui est plus parisien que tous les Parisiens », pouvait-on lire dans Gil Blas en 1893 à propos d'Alfred Stevens, né à Bruxelles, mais installé à Paris dès 1849. Quand il peint Le Bain image principale en 1867, sa carrière est à son apogée. La toile est montrée avec dix-huit autres tableaux à l'Exposition universelle, qui se tient à Paris. L'artiste obtient la médaille d'or et le grade d'officier de la Légion d'honneur.
Un sujet moderne ou une actualisation d'un sujet ancien ?
Le thème de la baigneuse ici exploré par Stevens est fréquent dans l'art du XIXe siècle. Dans les peintures de Jean-Dominique-Auguste Ingres, la baigneuse évolue dans un univers orientaliste image 1. Chez Théodore Chassériau, ce sont les thermes antiques de Pompéi qui servent de cadre à l'intimité féminine image 2.
Avec Gustave Courbet image 3, Édouard Manet image 4, Frédéric Bazille et Gustave Caillebotte, le sujet prend une tournure plus moderne : baignades dans des rivières, sur les bords de la Seine ou sur les côtes normandes. Stevens appartient à cette génération d'artistes. D'abord connu dans les années 1850 pour ses peintures de scènes de la réalité sociale image 5, il se tourne par la suite vers des représentations de Parisiennes élégantes image 6.
Dans l'intimité de l'une des rares salles de bain du XIXe siècle
Avec ce tableau, Stevens nous invite dans l'une des rares salles de bain du XIXe siècle.
Le spectateur devine que la femme prend un bain chaud, dans lequel elle peut se prélasser un certain temps comme le suggèrent le livre posé près d'elle et la montre. La baignoire en cuivre étamé dotée d'un robinet en col de cygne atteste d'un confort moderne : bénéficier de l'eau courante était inimaginable avant le milieu du XIXe siècle.
Cette salle de bain est-elle celle d'un hôtel particulier de grand luxe ou d'un établissement de bains publics ? Le modèle est vêtu d'une chemise, et ne se baigne donc pas nu, ce qui pourrait bien correspondre au règlement d'un bain public tel que Les Bains de Diane au 5 rue Volney, à Paris conséquence d'une politique hygiéniste, ces établissements se sont multipliés dans le Paris du Second Empire. À cette époque, les baignoires sont réservées à une élite : elles peuvent être en zinc, en cuivre étamé, mais aussi en argent ou en marbre, au sein des luxueux hôtels particuliers comme celui où s'installe la célèbre Païva, au 25 avenue des Champs-Élysées, en 1866. Dans la sphère privée, on utilise cuvette, broc, bidet, éponge pour des ablutions partielles. Le tub, une bassine en zinc, se diffuse tardivement à la fin du siècle il est représenté dans les nombreuses scènes de femmes à leur toilette peintes par Edgar Degas image 7 et Henri de Toulouse-Lautrec image 8.
Une scène réaliste ou une allégorie ?
La composition en plan serré place le spectateur au plus près du modèle : une femme jeune, dont la précision des traits évoque un portrait. Le bracelet doré, la bague à l'annulaire gauche, la coiffure en chignon soignée enrichie d'un peigne diadème traduisent un milieu social aisé. L'expression du visage est pensive, rêveuse la jeune femme a abandonné sa lecture et tient négligemment une branche de rosier blanc.
À travers cette scène de genre, Stevens ne revisiterait-il pas le thème mythologique de l'union de Léda et de Zeus métamorphosé en cygne ? À moins qu'il n'ait souhaité peindre une Aphrodite moderne, prête à sortir de l'eau sur une conque trivialement transformée en baignoire image 9 ? En effet, la rose que tient négligemment la jeune femme est bien souvent associée à la beauté, dont elle traduit le caractère éphémère. La montre, l'eau qui s'écoule du robinet illustrent elles aussi cette idée du temps qui passe.
L'image de la beauté entretenue par le bain, conformément au conseil prodigué par Lola Montes dans son ouvrage L'Art de la beauté (1858), se teinte ici de mélancolie. Stevens nous donnerait-il à voir une peinture allégorique sous l'apparence d'une scène réaliste ?
« On n'a pas assez loué chez Stevens l'harmonie distinguée et bizarre des tons » (Charles Baudelaire, 1864)
Le gris marbré du mur, dans sa relative neutralité, participe à la mise en valeur de ce buste de femme dans son écrin de métal sur lequel joue la lumière.
La clarté de la peau trouve un écho dans la pâleur des roses ainsi que dans la blancheur des pages du livre et des linges au premier plan. En revanche, la porcelaine blanche du porte-savon contraste avec le noir de la montre et la profondeur de l'eau.
Les éléments métalliques que sont le robinet, le bracelet et la bague font écho aux mèches dorées de la chevelure. Le diadème cuivré, le rouge à lèvres et la surface rougie de la baignoire en cuivre apportent des tonalités plus chaudes.
Enfin, le vert de la tige de rosier rappelle les traces d'oxydation du cuivre.
Le bain, une source d'inspiration inépuisable
Stevens pose un regard sur l'intimité féminine sans voyeurisme ni trivialité. Il peint ses contemporaines en femmes élégantes, modernes, énigmatiques, souvent solitaires, sans doute en chemin vers leur émancipation.
Après lui, d'autres peintres exploreront le thème de la toilette, avec curiosité comme Edgar Degas image 10, ou empathie comme Henri de Toulouse-Lautrec. Quant à Gustave Caillebotte, il peindra l'homme au bain se séchant dans une intimité similaire . Le sujet deviendra même un objet de laboratoire de la couleur dans l'œuvre de Pierre Bonnard.
Ressources
La fiche de l'oeuvre sur le musée d'Orsay
Glossaire
Exposition universelle : Présentation publique durant laquelle des produits de l’art et de l’industrie du monde entier sont exposés. La première a eu lieu à Londres en 1851.
Thermes : Bains publics.
Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.