C'est au cours de l'année 1775 que Yolande-Gabrielle-Martine de Polastron, épouse du comte Jules de Polignac, rencontre Marie-Antoinette à Versailles. Le reine se prend d'une vive amitié pour elle et la choisit comme nouvelle confidente et favorite, rôles tenus jusque-là par la princesse de Lamballe. Cette position vaut d'extraordinaires gratifications à Mme de Polignac et à ses proches. En 1782, année de la réalisation de son portrait par Élisabeth Vigée-Lebrun, elle obtient le titre de duchesse et la charge de gouvernante des enfants royaux. Les témoignages à son sujet soulignent le charme et la douceur qui émanaient d'elle, sa nature enjouée, mais aussi le manque d'investissement dont elle faisait preuve dans sa charge : « Mme de Polignac n'avait point envié la place qu'elle occupait […] ce qu'elle ambitionnait avant tout, c'était sa liberté, au point que la vie de cour ne lui convenait nullement ; indolente, paresseuse, le repos aurait fait ses délices, et les devoirs de sa place lui paraissaient le plus lourd fardeau. » (Vigée-Lebrun, Souvenirs, 1835-1837) Autant de traits que l'artiste a su traduire dans son portrait de la duchesse de Polignac
[ image principale ].
Une femme peinte par une autre femme à la veille de la Révolution
La présentation de la jeune femme de face, se détachant sur un fond de ciel animé, accoudée à une base de colonne, fait écho à
l'autoportrait peint par Vigée-Lebrun en cette même année 1782. Elle s'y présente dans la même position, vêtue de façon identique, sur le même fond, à la seule différence qu'elle tient à la main sa palette et ses pinceaux. Dans ses Souvenirs, Vigée-Lebrun rapporte que c'est suite à la découverte du
portrait de Suzanne Fourment par Rubens, au cours d'un voyage en Flandres, qu'elle a peint cet autoportrait, s'identifiant à la fois au modèle et à l'auteur. L'ombre du chapeau sur le visage, l'air rêveur du modèle, la gamme chromatique resserrée mettant en valeur la blancheur de la carnation, sont autant d'éléments empruntés à l'artiste flamand. Mais si Vigée-Lebrun s'est représentée en artiste, madame de Polignac ne montre aucun attribut de sa charge ou de son rang. Les similitudes entre ces deux portraits résident donc dans la jeunesse des modèles, dans la pose et, surtout, dans la nouveauté de l'image féminine qui est donnée.
Un nouveau type de portraits ?
En ce début de décennie 1780, plusieurs jeunes femmes artistes ambitionnent de se faire reconnaître comme telles. La multiplication des autoportraits et des portraits de femmes n'est pas un hasard. Elles imposent une nouvelle image de la femme où priment la simplicité et la sensibilité. Jusqu'alors les peintres leur prêtaient souvent une nature soit séductrice comme Boucher et Fragonard, soit vertueuse comme David. Les femmes peintes par Vigée-Lebrun affichent une certaine indépendance. Le portrait de Mme de Polignac dégage une impression de proximité et d'aisance, traduite dans un métier irréprochable que Vigée Le Brun possède très tôt et qu'elle a amélioré en étudiant les maîtres anciens dans les ventes organisées par son mari marchand de tableaux et en visitant les collections privées. La transparence des étoffes, la limpidité des chairs, la distribution de la lumière, sont caractéristiques de sa grande maîtrise.
L'écho de la mode
La duchesse porte une robe-chemise, suivant l'exemple de Marie-Antoinette qui les avait adoptées dès 1778. Ces robes très coûteuses, en mousseline, étaient légères, confortables et surtout exotiques. Dites aussi « à la créole », elles étaient censées provenir des îles. La jeune femme porte d'ailleurs aux oreilles ces anneaux à la mode nouvelle qu'on appelait « créoles »
[ image b ]. Ce type de tenue dénote chez le modèle une mise à la dernière mode, même si Mme Campan, femme de chambre de la reine, rapporte que la duchesse avait peu de goût pour la parure et paraissait souvent en négligé. L'artiste affirme ici sa volonté de rompre avec les costumes formels de la cour. Le chapeau garni de fleurs champêtres et d'une plume « folette », les cheveux coiffés en « confidents abattus » et la ceinture nouée dans le dos « à la petite fille » servent pareillement l'idéal de simplicité que Vigée-Lebrun voulait exprimer.
Un portrait qui concourut à la faveur de son auteur
C'est en découvrant le portrait de Mme de Polignac que le peintre Joseph Vernet
[ image 1 ], qui avait encouragé Vigée-Lebrun à ses débuts, voulut la proposer comme membre à l'Académie. Ce fut chose faite l'année suivante, en 1783, non sans difficulté puisque face à aux réticences de Pierre, directeur de l'institution, farouchement opposé à la présence de femmes, il fallut l'intervention de Louis XVI sur demande de Marie-Antoinette. Et Élisabeth Vigée-Lebrun fut reçue à l'Académie avec la mention « par ordre », le même jour que sa rivale Adélaïde Labille-Guiard
[ image 2 ].