Eva prima Pandora Cousin Le Père Jean

Eva prima Pandora

Folio 87 - Graveur : Olivier Aubin

Dimensions

H. : 97,5 cm ; L. : 150 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur bois, Chêne (bois)

Datation

Après 1549

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment la religion chrétienne et la mythologie se combinent-elles dans ce tableau ?

Jean Cousin est un des grands artistes français du XVIe siècle, dans le rayonnement de l’école de Fontainebleau. Eva Prima Pandora (Ève, première Pandore) image principale est son œuvre majeure.

Le premier nu de la Renaissance française ?

Eva Prima Pandora est nue, étendue dans une grotte sombre, ouverte par deux arcades sur un paysage. Elle pose la main sur une jarre tandis qu’un serpent glisse sur son poignet détail b. L’autre bras est posé sur un crâne détail c. Deux vues différentes apparaissent à l’arrière-plan. À gauche détail d un paysage organisé et urbanisé avec une perspective atmosphérique qui présente un village et des monuments, ainsi qu’un château fortifié sur un promontoire. À droite détail e, la nature est plus sauvage, plus indomptée. La brume sur la ville et le motif de la grotte évoquent le sfumato de Léonard de Vinci.

Au premier plan, une figure nue est allongée : au XVIe siècle, le sujet est habituel en Italie, mais il est très novateur en France. Au Moyen Âge, le corps est généralement vêtu (exception faite du Christ en croix). À l’époque de la Renaissance, les artistes se réfèrent aux représentations des sculptures de l’Antiquité image 1, qui révèlent la beauté du corps. L’anatomie devient un réel sujet d’étude. Jean Cousin s’inspire des recherches du peintre allemand Albrecht Dürer et à André Vésale, un médecin et anatomiste bruxellois qui publie un traité d’anatomie en 1543. Il s’inspire par ailleurs de Vitruve, un célèbre architecte romain, de même qu’à des peintres vénitiens comme Titien et Giorgione. Il a également connaissance du travail au château de Fontainebleau des artistes Rosso, Primatice et Cellini image 2

Suivant les canons de l’école de Fontainebleau image 3, les jambes sont étirées et le cou allongé. Dans cette recherche esthétique qui s’éloigne d’une interprétation naturaliste, aucune musculature n’est visible et la peau est lisse comme le marbre. Le corps est ici de face, position typiquement italienne ; le visage présente un profil grec. Comme Léonard de Vinci, Cousin travaille sur les proportions anatomiques et le modelé. Il veut représenter la femme de façon idéale, parfaite. Les détails, comme le traitement des cheveux et le diadème, se retrouvent chez Titien et Clouet et témoignent du grand raffinement de l’école maniériste.

Des interprétations multiples

La peinture de Jean Cousin image principale illustre divers thèmes : ceux du mythe grec de Pandore, d’Ève de la Bible, de Cléopâtre, reine d’Égypte, mais aussi de Marie Madeleine, l’amie de Jésus.

Le mythe grec de Pandore est relaté par Hésiode. Selon celui-ci, Hermès crée dans le sein de Pandore « mensonges, mots trompeurs, cœur artificieux ». Par curiosité, elle ouvre le vase d’Épiméthée, un titan, frère de Prométhée, qui contenait tous les maux (vieillesse, souffrance et mort) et les propage sur la terre. Seul elpis, l’espoir, reste au fond. Son acte, auquel renvoie ici le vase placé sous sa main, rappelle l’histoire d’Ève qui commet le péché originel. On retrouve dans le tableau l’inscription « Eva Prima Pandora » détail d qui associe les deux histoires.

Dans la Bible, Dieu a prévenu : « Tu pourras manger de tout arbre du jardin, mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu devras mourir. » (Genèse II, XVI.) Le fruit défendu est matérialisé par une pomme. Le serpent s’adresse à Ève dans un langage subtil qui la trompe. Sur son conseil, elle désobéit. Dieu chasse alors Adam et Ève hors du paradis. La peinture de Jean Cousin représente le serpent de la tentation détail b et la branche de pommier détail c, symbole du péché originel.

Cléopâtre, reine d’Égypte, a séduit l’empereur romain Jules César puis le consul Marc Antoine. On en fait une femme fatale, au charme pernicieux. Elle est un symbole de séduction très en vogue au début du XVIe siècle. A la chute de son royaume, elle choisit d’échapper au déshonneur en mourant par le venin d’un serpent image 4. Cet acte pourrait être la preuve de son attachement aux traditions égyptiennes, car la morsure de l’uræus, cobra associé au dieu Amon-Rê, confère immortalité et divinité à sa victime. Le tableau représente une femme au profil grec, or Cléopâtre est issue d’une dynastie grecque. À l’arrière-plan, la ville antique évoquerait l’Égypte hellénisée. Le serpent rappellerait le suicide de Cléopâtre.

Ce tableau a été abondamment repris, gravé, interprété, notamment dans un bas-relief représentant sainte Marie Madeleine dans l'église Saint-Maurice de Sens . Cette prostituée rencontre Jésus, se convertit et entre en pénitence dans la grotte de la Sainte-Baume, en Provence. Elle y vit seule, nue, son corps caché par ses longs cheveux, méditant sur la vanité des choses. La figure peinte par Jean Cousin pourrait en effet évoquer la nudité de Marie Madeleine, la grotte où elle s’est retirée ainsi que sa méditation, à travers le crâne, symbole de vanité.

Un artiste complet

Eva Prima Pandora est la seule peinture certaine de Jean Cousin le Père. C’est un artiste polyvalent de renommée internationale. Il est peintre, graveur, verrier, sculpteur. Il a collaboré avec des orfèvres image 5 et dessiné des armures image 6. Il a également œuvré avec Jean Goujon et Charles Dorigny aux décors de l’Entrée d’Henri II à Paris image 7. Il est aussi savant, il a notamment illustré un traité scientifique image 8 et écrit un livre de perspective image 9.

C’est une personnalité de premier plan qui est citée par Giorgio Vasari, le biographe des peintres et sculpteurs depuis Cimabue jusqu’à la fin de la Renaissance, dans ses Vies, en 1550.

Eva Prima Pandora est donc une œuvre inspirée de la mythologie, de l’Ancien testament, de l’Antiquité et de l’histoire chrétienne. À la Renaissance, cette coexistence illustre le jeu subtil des héritages bibliques et gréco-romains.

Marie-Bélisandre Vaulet-Lagnier

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/eva-prima-pandora

Publié le 07/03/2024

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site web du Musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010063633

"Le livre de perspective" de Jean Cousin sur le site de Gallica, BNF

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86261573/f87.planchecontact

Une biographie de Vitruve sur le site web du ministère de l'Education nationale

https://odysseum.eduscol.education.fr/vitruve-architecte-co-responsable

Glossaire

Maniérisme : Courant artistique né en Italie au XVIe siècle que l’on considère comme la dernière phase de la Renaissance. Il tire son nom du mot italien maniera utilisé pour désigner le style personnel d’un artiste. Pour les peintres qui se rattachent à ce courant, l’effet de style prime sur l’équilibre et l’harmonie. Ils se distinguent par une élégance du dessin, des compositions complexes privilégiant tensions et déséquilibres, une distance par rapport à l’imitation servile de la nature.

École de Fontainebleau : Style élaboré au château de Fontainebleau à partir de 1530 par les artistes italiens (Rosso Fiorentino, le Primatice) travaillant pour le roi François Ier. Ce style de cour raffiné, à la fois érudit et sensuel, est un des courants du maniérisme et se manifeste dans tous les domaines artistiques. Il a influencé les artistes français et a été largement diffusé par la gravure.

Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.   

Humanisme : Mouvement de la pensée qui se développe au cours de la Renaissance et qui met au cœur de ses valeurs la personne humaine, sa dignité et son épanouissement, accompagné d’un retour aux sources gréco-latines

Sfumato : Mot italien qui désigne, en peinture, l’effet obtenu par un traitement subtil et modulé des ombres de telle sorte que les contours des figures disparaissent et se fondent dans l’atmosphère environnante.