La Vierge aux rochers Léonard de Vinci

La Vierge aux rochers

Dimensions

H. : 199,5 cm ; L. : 122 cm

Provenance

Technique

Peinture, Bois transposé sur toile

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1483-1494

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment cette peinture, réalisée avant La Joconde, annonce-t-elle la maturité de Léonard de Vinci ?

En 1482, Léonard de Vinci, âgé de trente ans, quitte Florence pour Milan image 1 où il offre ses services au duc Ludovico Sforza (surnommé Ludovic le More). Sa première commande ne lui vient pas de ce mécène, mais de la confrérie de l’Immaculée Conception. Il s’agit d’un retable en bois pour une chapelle de San Francesco Grande, l’église des franciscains de Milan. Léonard est en collaboration avec deux artistes locaux, les frères De Predis. Ils doivent peindre les volets du triptyque, et Léonard la partie centrale image principale. Le panneau, véritable chef-d’œuvre en raison de la délicatesse des émotions représentées et la sensibilité nouvelle des liens entre les personnages et la nature environnante, aurait été cédé par Léonard au duc de Milan et serait ensuite passé dans les collections du roi de France.

Une composition parfaitement équilibrée

En quittant Florence, Léonard a laissé inachevé un grand retable, L’Adoration des mages image 1, dont la complexité crée un sentiment de confusion. Le tableau du Louvre, parfaitement achevé, offre en revanche une image équilibrée. Les quatre figures sont insérées dans un paysage rocheux et forment ensemble une pyramide, type de composition qui deviendra le modèle classique image 2.

Marie, agenouillée au centre, présente le petit saint Jean image b à l’Enfant Jésus, qui le bénit image c. À droite, un personnage ailé image d se tourne vers nous avec un léger sourire et nous désigne du doigt saint Jean Baptiste. Son attitude a été modifiée par Léonard par rapport à son projet initial. En effet, dans le tableau restauré en 2019 et conservé à Londres image 3 l’Enfant regarde saint Jean Baptiste et le geste n’existe pas. Dans l’œuvre du Louvre, le peintre a supprimé les auréoles et la croix de Jean. Léonard franchit un pas en supprimant les symboles religieux et les auréoles. Pour lui, la peinture est une « science divine », car elle peut rendre la vérité de toute chose et suggère la vie : les fleurs sont dessinées d’après un modèle botanique (ancolies, au premier plan), les rochers stratifiés sont décrits avec réalisme, le mouvement des mains donne le sentiment d’une discussion. L’ambiance lumineuse unit de manière naturelle les figures humaines et les détache des éléments sombres du paysage. Léonard évoque le lien étroit qui unit l’homme et la nature en donnant une grande importance au paysage, alors que les peintres italiens de son époque privilégient l’architecture image 4. La sensation d’étendue de l’espace et la qualité de l’air perceptibles sur la toile sont obtenus grâce à la perspective atmosphérique, une technique utilisée par les peintres flamands. Elle consiste à donner l’illusion du lointain par l’utilisation de dégradés de tons ou de couleurs, et par l’effacement des contours avec la distance. C’est avec une exécution patiente que Léonard superpose de nombreuses couches fines et transparentes à l’huile (glacis) pour donner un effet brumeux aux rochers et au ciel. Cette manière de jouer du clair-obscur, qui prend le nom de sfumato (en italien, « estompé »), est une particularité du style de Léonard. Il permet de modeler les visages avec des contours estompés pour créer une grande douceur.

Une signification mystérieuse

Les personnages transmettent par leurs gestes et leurs regards un message silencieux, à la fois mystérieux et sacré. L’ambigüité que recèle la plupart des œuvres de Léonard a été perçue dès l’origine comme une composante de sa personnalité. On lui commande le thème de l’Immaculée Conception, qui ne correspond pas alors à une iconographie précise. L’idée que Marie a été conçue sans péché est défendue par les franciscains depuis la fin du Moyen Âge, mais ne deviendra un dogme de l’Église catholique qu’en 1854. Léonard choisit d’associer ce concept au thème légendaire de la rencontre dans le désert de Marie, Jésus et saint Jean Baptiste, après la fuite en Égypte et le massacre des Innocents (épisode relaté dans l’évangile apocryphe de Jacques).

La Vierge aux rochers offre plusieurs possibilités d’interprétation et son iconographie est inattendue. La figure de droite, la seule qui nous regarde, est-elle féminine ou masculine ? Il pourrait s’agir de l’ange Uriel qui, d’après la légende, protège saint Jean dans le désert. Son geste instruit le fidèle ; il fait le lien entre le monde réel et l’univers du tableau. Jean-Baptiste est le saint protecteur de Florence, et vénéré par l’ordre franciscain. Il est ici agenouillé en prière face à l’autre enfant. Par son geste et son regard, l’ange nous invite à suivre son exemple d’adoration du Christ. L’enfant nu au premier plan se redresse et bénit saint Jean avec autorité. Il s’agit de Jésus, que Marie protège de sa main gauche, posée au-dessus de sa tête. Le gouffre au premier plan symboliserait son destin tragique. Marie entre les deux enfants est le symbole de l’Église catholique protégeant l’humanité. Sa conception pure et sans tache est suggérée par sa jeunesse et par la grotte voûtée qui la surplombe telle un écrin. La proximité de son fils évoque le mystère chrétien de l’Incarnation.

Le paysage montagneux n’est pas à proprement parler un désert. C’est peut-être une image de la nature primordiale où l’eau, par son action d’érosion, exprime le mouvement perpétuel du temps. C’est aussi le symbole des vicissitudes que connaît la Sainte Famille exilée dans la solitude, lors de la fuite en Égypte. La version de Londres est plus traditionnelle : les figures sont plus grandes dans un paysage plus clair, l’accent est mis sur Jésus plutôt que sur saint Jean-Baptiste, les auréoles et les attributs sont présents.

Le tableau du Louvre est incontestablement une œuvre novatrice dans sa forme et dans son contenu symbolique. On peut le considérer comme une étape essentielle dans la recherche continuelle de perfection que poursuit Léonard entre 1500 et sa mort en 1519, avec d’autres chefs-d’œuvre comme La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne image 5.

Colette Féraudet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-vierge-aux-rochers

Publié le 27/03/2023

Ressources

Notice de l'oeuvre sur le site web du musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010062373

"Milan au temps de Ludovic le More" sur le site web d'Aparences

https://www.aparences.net/art-et-mecenat/les-ducs-de-milan/milan-au-temps-de-ludovic-le-more/

La notice de la "Vierge aux rochers" de la National gallery sur le site du musée

https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/leonardo-da-vinci-the-virgin-of-the-rocks

Léonard de Vinci sur le Portail de l'histoire des Arts du Ministère de la Culture (HDA)

https://bit.ly/3lSwfFc

Glossaire

Retable : Œuvre peinte ou sculptée, placée sur l’autel d’une église.

Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.   

Sfumato : Mot italien qui désigne, en peinture, l’effet obtenu par un traitement subtil et modulé des ombres de telle sorte que les contours des figures disparaissent et se fondent dans l’atmosphère environnante.

Perspective atmosphérique : La perspective atmosphérique consiste à créer l’illusion de la profondeur par l’utilisation de dégradés de tons ou de couleurs qui s’estompent avec la distance. Elle joue sur les effets de contraste entre les plans du tableau. Ce type de mise en perspective apparaît au début du XVe siècle chez les maîtres flamands, dans le Nord de l’Europe, grâce à la mise au point de la peinture à l’huile.

Attribut : Objet, animal ou figure systématiquement associé à un personnage (dieu, saint, héros, figure allégorique…). Il est tenu, porté ou juxtaposé. L’attribut fait souvent allusion de manière emblématique à un épisode marquant de sa vie ou de sa légende, ou bien à son essence ou à sa fonction. L’attribut permet de le reconnaître.

Évangile apocryphe : On qualifie généralement d’apocryphe (du grec apokryphos, « caché ») un écrit dont l’authenticité n’est pas établie. L’Église catholique qualifie d’apocryphes les textes qu’elle n’a pas retenus dans son canon.