Balzac Rodin Auguste

En cette fin de XIX^e siècle, le Balzac image principale de Rodin fait l’objet d’une affaire à rebondissements qui va secouer les milieux artistiques, politiques et mondains pendant des années.

Un hommage à l’auteur de la Comédie humaine

Honoré de Balzac image 1 image 2 est un écrivain prolifique : il est l’auteur de contes, de nouvelles, de pièces de théâtre, et de quatre-vingt-dix romans qu’il réunit dans la Comédie humaine. Criblé de dettes, poursuivi par ses créanciers, il travaille comme un forcené, dort quatre heures par nuit, se lève le matin à 2 heures, mâche du café pour se tenir éveillé. Cinq mois avant sa mort, il épouse la richissime comtesse Hanska. Lorsqu’il meurt, en 1850, elle refuse tout monument. Elle-même décède en 1882, et la Société des gens de lettres souhaite alors honorer l’écrivain. Celle-ci choisit le sculpteur Chapu pour réaliser son effigie image 3, mais il meurt en 1891. Son projet inachevé est repris par Marquet de Vasselot, sculpteur attitré de Balzac et très apprécié par la Société des gens de lettres.

Cependant, Émile Zola, son président, n’aime pas le projet de Chapu. Celui-ci a représenté Balzac assis, en robe de moine, tenant une plume, une allégorie du théâtre à ses pieds. Zola propose de faire appel à Rodin pour reprendre la commande. La statue prévue en extérieur, place du Palais-Royal, doit mesurer trois mètres de haut et doit être livrée en 1893.

Sur les traces de Balzac

Lorsque Rodin entreprend ce projet, Balzac est mort depuis quarante et un ans. Le sculpteur, qui travaille toujours d’après le modèle vivant, se lance dans une véritable enquête pour approcher la personnalité et la physionomie de l’écrivain. Il relit son œuvre, sa correspondance et étudie ses portraits, notamment celui de David d’Angers image 4, la photographie de Nadar image 5 qu’appréciait particulièrement Balzac, et les caricatures du journal satirique Le Charivari. Il rencontre son neveu, monsieur de Surville, et retrouve son tailleur, qui lui décrit sa silhouette et sa corpulence. Il trouve des précisions sous la plume de Théophile Gautier : « Il était petit, il était énorme, mais il avait les yeux pailletés d’or… Dès qu’il parlait, on oubliait la disgrâce physique pour n’écouter que le conteur. »

Il se rend en Touraine chaque été de 1889 à 1892, « dans la patrie de Balzac à Tours ». Il cherche un modèle né dans la région et découvre Estager, un voiturier costaud. Rodin lui trouve les traits de Balzac. En réalité, il sait que le père de Balzac est du Tarn et sa mère de Paris.

La Touraine est un prétexte pour retrouver la sculptrice Camille Claudel, sa maîtresse, au château de l’Islette.

Une vision du génie littéraire

Il fait une trentaine d’ études de nu à partir des séances de pose avec son modèle Estager, et parvient à trouver la stature et un visage expressif qui lui conviennent. Le sculpteur réalise alors deux plâtres : le premier, en 1892 ou 1893, est une figure solidement ancrée dans le sol, jambes écartées et bras croisés image 6. Le second, en 1897, montre l’écrivain enveloppé dans une robe de chambre, inspirée de celle des moines, qu’il revêtait pour écrire image 7.

La maquette définitive pour le monument de Balzac, qu’il expose en 1898 au Salon de la Société nationale des beaux-arts image 8, symbolise la puissance créatrice de l’écrivain plus qu’elle ne le représente. La chevelure en bataille suggère le génie, les yeux profondément creusés et surmontés d’arcs sourciliers en visière portent le regard au lointain, comme inspiré détail b. Le vêtement devenu atemporel souligne l’élan oblique de la sculpture et donne une sensation d’élévation. La main enveloppée dans le tissu rappelle le geste des orateurs des statues antiques. La lumière glisse sur ce monument d’une force monolithique. On a d’ailleurs parlé à son propos d’un « menhir à masque humain ». En retirant les accessoires et attributs habituels de l’allégorie (fauteuil, plume, livre), Rodin inaugure une nouvelle ère pour l’histoire de la sculpture moderne.

Le scandale

En 1893, date de la livraison, le Balzac image principale reste inachevé. Rodin y travaille à Meudon en 1894 et il veut rompre le contrat. Son ami et praticien Bourdelle reprend ses maquettes et le remet au travail. Le plâtre, présenté plusieurs années après, en 1898, au Salon image 8, provoque surprise et incompréhension. Le monument est trop novateur, la Société refuse l’œuvre et la Ville de Paris renonce à lui attribuer un emplacement. La presse, les cabales, les caricatures en font une affaire politique.

Zola, qui soutient le Balzac image principale de Rodin, a aussi, dans le même temps, pris parti pour Alfred Dreyfus. Un amalgame en résulte, dans une France déjà divisée en deux fronts irréconciliables : « La statue de Balzac est pour l’art ce qu’est le procès Zola pour la patrie. Ces deux débâcles, Dieu merci, n’atteindront pas notre belle France. » (Marquet de Vasselot). Rodin est très affecté par le rejet de sa sculpture, dans laquelle il a mis sa pensée artistique la plus aboutie. Il organise une exposition privée au pavillon de l’Alma en 1900, en marge de l’Exposition universelle. Il y rassemble cent soixante-huit sculptures, une cinquantaine de dessins et autant de photographies. Le Balzac y est présenté image 9.

Plusieurs fontes de bronze sont réalisées après la mort de Rodin, dès 1936. L’une d’elles est mise en place boulevard Raspail le 1er juillet 1939, cinquante ans après la commande. On peut enfin admirer cette sculpture conçue pour être dehors, animée par la lumière du jour et l’ombre mouvante des arbres.