Divertissements sous les cerisiers en fleurs Moronobu Hishikawa

Divertissements sous les cerisiers en fleurs

Dimensions

H. 110 cm ; L. 388 cm

Provenance

Technique

Matériaux

Encres de couleur et feuilles d’or sur papier

Datation

1680-1690 - Époque Edo

Lieu de conservation

France, Paris, musée Guimet, musée national des Arts asiatiques (MNAAG)

Quelle est la symbolique du cerisier en fleurs au Japon ?

Depuis des siècles, la floraison des cerisiers et les manifestations festives qui l’accompagnent sont une véritable institution au Japon image 2. À ce titre, c’est un thème poétique et pictural particulièrement apprécié, qui se déploie ici sur les huit volets de ce paravent qui date de la fin du XVIIe siècle image principale. Ces panneaux peints assemblés appartiennent à une catégorie d’images appelée « monde flottant ».

L’ukiyo-e ou « monde flottant »

Ce paravent se situe pleinement dans le genre pictural japonais appelé ukiyo-e. À l’origine, le terme japonais ukiyo, composé de deux caractères chinois signifiant respectivement « affliction » et « monde », désignait, avec une connotation bouddhique, le monde des phénomènes insatisfaisants et douloureux. Puis au XVIIe siècle, avec l’entrée du Japon dans une ère de paix et de prospérité, après une longue phase de guerres, le mot se charge d’un autre sens. Désormais écrit à l’aide de deux autres caractères, mais conservant la même prononciation, il évoque le monde « flottant » ou « éphémère » des plaisirs de l’époque. Le terme ukiyo-e, utilisé pour la première fois en 1681, fait donc référence aux images (e), peintures comme estampes, qui prennent pour thème la vie de plaisirs contemporaine : le monde des courtisanes, l’univers du théâtre kabuki, les divertissements de la bourgeoisie enrichie des grandes villes du Japon.

Lisible de droite à gauche, comme le sont les peintures sur rouleau horizontal, la composition du paravent se déroule sur huit panneaux en continu, tout en étant pourtant constituée d’une succession de scènes autonomes. La visite de samouraï dans une maison de thé image b, une promenade au temple, un concert de koto image c sont ainsi reliés image d par les nuages traités à la feuille d’or et par des éléments de paysage, pins et cerisiers image e, qui constituent un fil conducteur ininterrompu.

Évanescente nature

Terre de feu et de séismes, soumise plus que bien d’autres pays aux caprices destructeurs de la nature, le Japon entretient avec cette dernière une relation paradoxale. Profondément aimée, elle a aussi été, et continue de l’être, dramatiquement surexploitée et détruite. Depuis l’Antiquité, le caractère éminemment éphémère des choses a été très présent dans la mentalité japonaise, et le bouddhisme n’a fait que renforcer ce trait. Les Japonais sont donc particulièrement sensibles à tout ce qui peut évoquer cette impermanence dans la poésie et les arts plastiques.

Les cerisiers japonais qui, le jour même de la floraison, peuvent perdre leur superbe parure sous l’effet d’un souffle de vent, sont ainsi devenus une sorte de métaphore de la condition humaine, images d’un monde tout à la fois magnifique et passager.

Byôbu : le paravent dans l’intérieur japonais

Pièce essentielle des intérieurs japonais, le paravent devient aussi, à partir du XVIe siècle, l’un des supports favoris de la peinture japonaise. Le terme byôbu désigne spécifiquement les paravents pliants, à plusieurs volets. Associant les deux mots « vent » et « protection », il explicite la fonction de l’objet : compartimenter l’espace et garantir intimité et protection. Les paravents japonais sont presque toujours conçus par paires. Chacun peut comporter de deux à dix éléments ou feuilles, mais le format le plus répandu en compte six. Chacun est constitué d’une structure de bois comportant un cadre dans lequel des croisillons sont insérés à l’aide de chevilles de bambou. Plusieurs couches de papier sont ensuite collées sur cette armature pour constituer un support à la fois solide et plat sur lequel sont appliquées les peintures et leur montage. Mises au point vers le XIVe siècle, les charnières en papier remplacent les charnières métalliques et permettent de développer plus aisément une composition continue sur un même paravent.

Le peintre du paravent

Né vers 1618, Hishikawa Moronobu (1618 [?]-1694), son auteur, figure parmi les illustrateurs les plus féconds de l’ukiyo-e. Fils d’un artisan du textile spécialiste des étoffes brochées, il fut sans doute initié très jeune à ce métier ainsi qu’au dessin. Son œuvre, par la diversité des styles et des techniques image 1 auxquels il s’essaie, témoigne d’une culture très étendue et d’une bonne connaissance des écoles traditionnelles Kanô et Tosa. Il s’installe à Edo (actuelle Tôkyô) au milieu du XVIIe siècle et profite de l’essor économique et culturel que connaît la capitale des shoguns Tokugawa, en pleine reconstruction après l’incendie qui l’avait en partie détruite en 1657.

Ses deux premières œuvres conservées datent de 1672. Son style s’affirme pleinement à partir de 1674, et l’un de ses chefs-d’œuvre est le Guide de l’amour au Yoshiwara, daté de 1678. S’exprimant essentiellement dans le domaine de l’e-hon, ou « livre d’images », un format typiquement japonais dans lequel le texte est réduit à l’extrême, Moronobu collabore à la réalisation de près de cent cinquante ouvrages. Il produit en revanche peu d’estampes isolées et se consacre de plus en plus à la peinture dans les dernières années de sa vie. Il est le créateur de la fameuse « ligne chantante », qui délimite les plans et traduit l’émotion tout à la fois. Il forma de nombreux disciples et semble avoir été le premier artiste de l’ukiyo-e à créer un véritable atelier. Moronobu est à l’origine des grandes écoles qui se développèrent à Edo et son influence s’exerça jusqu’à Kyôtô, la capitale impériale.

La maîtrise de la composition de ce paravent, l’attention portée aux vêtements et à leur agencement ainsi qu’au rendu des motifs textiles évoquent le style de ce peintre. En l’absence de signature, le paravent a été attribué à son atelier.

Les paravents au Japon, une vidéo en anglais du Minneapolis Institute of Art

Véronique Crombé

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/divertissements-sous-les-cerisiers-en-fleurs

Publié le 02/05/2023

Ressources

Sélection d’estampes d’Hishikawa Moronobu sur le site consacré à l’ukiyo-e

https://ukiyo-e.org/artist/hishikawa-moronobu

"Images de cent femmes du monde flottant" d’Hisikawa Moronobu sur le site Les Essentiels, la BNF

http://expositions.bnf.fr/japonaises/grand/029.htm

Glossaire

Ukiyo-e (« image du monde flottant ») : Apparu vers 1860, le terme désigne le courant de peinture réaliste né dans les quartiers de plaisirs d’Edo. Il dérive d’une tradition bouddhique pour laquelle « ukiyo » (« monde flottant ») évoque le côté fugitif, éphémère des plaisirs terrestres. Cette école, méprisée par l’aristocratie, finit par s’imposer parmi les seigneurs (daimyo).

Shôgun : Entre 1185 et 1868, le shôgun est le véritable maître du Japon, l’empereur n’ayant aucun pouvoir réel. Issu de l’aristocratie guerrière, il s’est imposé par les armes. Trois lignées de shôgun se succèdent au cours de cette longue période féodale : les Minamoto, les Ashikaga et les Tokugawa. Le dernier shôgun abdique et remet sa démission à l’empereur en 1867.

Écoles Tosa et Kanô : Deux des grandes écoles traditionnelles de peinture japonaise. L’école Tosa fait figure de tradition de cour, tandis que l’école Kanô, née dans les monastères avant de se dégager complètement du contexte religieux, est issue d’une certaine influence chinoise

Xylographie : Gravure sur bois.