Evening Tissot James
Evening
Auteur
Dimensions
Provenance
Technique
Matériaux
Datation
Lieu de conservation
Portrait, scène de genre ou critique de la société ?
Jacques Joseph Tissot naît à Nantes en 1836. Ses parents, qui exercent le négoce de tissus, lui insufflent le goût pour les belles matières et la mode. En 1856, le jeune homme se rend Paris pour se former à l'École des Beaux-Arts. Dès 1859, il expose au Salon et commence une carrière de peintre tournée vers la représentation de la haute société du Second Empire. Il se fait alors prénommer James.
C'est après la Commune, en 1871, que Tissot s'installe en Angleterre pour une dizaine d'années. Il y rencontre Kathleen Newton (1854-1882), sa compagne et sa muse, qui lui sert régulièrement de modèle. C'est elle qu'il représente dans ce tableau, intitulé Evening (Le Bal) image principale. Très vite, James Tissot est reconnu comme le peintre des « mondains ».
Une image tout en mouvement
La toile présente une jeune femme, accompagnée d'un homme visiblement plus âgé qu'elle, faisant son entrée au bal. Le modèle est en mouvement ; la scène semble prise sur le vif.
En figurant une femme vêtue d'une robe d'un jaune éblouissant, Tissot se place dans le sillage de grands portraitistes tels que Jean-Auguste-Dominique Ingres, qu'il admire et dont il copie même le Portrait de madame de Senonnes image 1 image 2.
Attentif à la mode, le peintre analyse et dissèque presque tous les effets de cette magnifique « robe à tournure », qui envahit l'espace de la toile. Son incroyable traîne est composée de rubans et de dentelles qui se superposent image b. Dans un jeu de courbes et contre-courbes, Tissot entraîne le regard du spectateur de l'angle inférieur gauche à l'arrondi de l'éventail et la ligne des épaules.
Un format étroit qui met en valeur la toilette
Le peintre adopte un format très étroit, qui n'est pas sans rappeler celui des estampes japonaises, qu'il apprécie comme bon nombre de ses contemporains image 3. Un imprimé japonais au motif de poissons est d'ailleurs visible dans la partie basse du tableau image c .
Le cadrage resserré concentre l'attention sur la jeune femme, et plus encore sur sa tenue de bal, que le peintre décrit avec beaucoup de détails.
À la différence de Bonnard image 4, qui, dans un esprit très japonisant, simplifie les lignes et semble placer tous ses éléments sur un même plan, Tissot laisse entrevoir la profondeur du champ pictural ; d'autres convives sont, en effet, représentés à l'arrière-plan. C'est là, au milieu de cette société huppée, que se jouent et se déjouent les codes qui régiront désormais la vie mondaine de cette jeune femme.
Quelques années plus tard, Tissot reprendra ce thème dans une toile intitulée L'Ambitieuse
Une image de mode ou une critique sociale ?
La robe semble être le véritable protagoniste du tableau. Cette image de jeune femme élégante devance l'illustration de mode, remplacée plus tard par la photographie image 5.
Le modèle, dont la jeunesse contraste avec l'âge mûr des messieurs qui l'entourent, pose. Mais son visage lisse et régulier n'exprime rien, sinon une forme de détachement. La jeune femme présente si peu de caractères distinctifs que le spectateur comprend assez vite que l'enjeu de Tissot n'est pas de peindre un portrait, mais plutôt un archétype. Oui, mais lequel ? Une dame de la haute société ? une demi-mondaine ? une cocotte, cherchant la réussite en moyennant ses charmes et sa jeunesse ? Les intentions du peintre n'apparaissent pas clairement. Celui-ci joue sur l'ambiguïté, en exprimant à la fois fascination et ironie mordante à l'égard de cette société.
Un style bien personnel
À la différence des peintres novateurs qui lui sont contemporains, Tissot traite des sujets modernes avec une approche particulière, celle du mélange des genres picturaux. Evening oscille ainsi entre scène de genre réaliste, gravure de mode et peinture d'histoire.
Grâce à un dessin très précis, au jeu des regards et des postures, Tissot traque les codes de la société victorienne. Dans la grande accumulation de détails qui remplissent la composition, le peintre livre autant une image de mode qu'une interrogation sur les conventions mondaines. À la différence des impressionnistes qui se jouent de l'éphémère et des sensations fugitives, Tissot incise le tissu social. Lorsque Renoir peint avec amour sa sensuelle compagne dans une somptueuse robe noire, Tissot, lui, montre son modèle dans une mise en scène ambiguë qui en soulève les paradoxes.
Un univers proustien avant l'heure
Des années plus tard, l'œuvre de Tissot trouvera un écho dans la littérature, sous la plume de Marcel Proust. Dans son roman intitulé À la recherche du temps perdu, publié entre 1913 et 1927, l'auteur se base sur ses souvenirs pour dépeindre l'aristocratie et la grande bourgeoisie de son temps. Tissot comme Proust traquent et dévoilent ce qui se cache derrière les apparences.
Après la mort de Kathleen Newton en 1882, James Tissot rentre en France. À partir de 1888, ses convictions religieuses l'incitent à s'éloigner de ses thèmes de prédilection pour se consacrer aux sujets bibliques.
Mots-clés
Véronique Duprat-Roumier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/evening
Publié le 08/04/2021
Ressources
Le commentaire de l’œuvre sur le site du musée d’Orsay
Une présentation de l’œuvre sur le site de la Bibliothèque nationale de France dédié à l’exposition Proust, l’écriture et les arts (Bibliothèque nationale de France, 1999-2000)
Glossaire
Salon : Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.
Estampe : Images obtenues sur un support papier par impression d’une planche de bois gravée (xylographie) ou d’une plaque de métal, voire d’une pierre dessinée (lithographie). La plaque de métal peut être travaillée selon différents procédés, mécanique (burin) ou chimique (eau-forte), qui définissent plusieurs types de gravure.
Scène de genre : Sujet de peinture qui présente la vie quotidienne en famille et en société.
Réalisme : Courant artistique du XIXe siècle qui privilégie une représentation non idéalisée de sujets inspirés du monde réel. Le peintre Gustave Courbet en est la figure de proue, et son tableau Un enterrement à Ornans, exposé en 1855, le premier manifeste.
Peinture d’histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.
Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.
Second Empire : Régime politique impérial français né du coup d’état du 2 décembre 1852 qui met fin à la Seconde république. Napoléon III, neveu de Napoléon Ier, devient l’empereur des Français. Le second empire prend fin le 4 septembre 1870, lors de la débâcle de Sedan pendant la guerre de 1870 contre la Prusse. C’est un régime autoritaire dans lequel l’empereur exerce un pouvoir absolu.