Gardien de reliquaire
Gardien de reliquaire
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Comment un objet de culte africain devient une pièce de collection ?
Cette figure féminine sculptée image principale, à l’élégante coiffure, est présentée debout, de face, les pieds solidement campés au sol, les bras joints sur un buste aux étonnantes proportions. Elle provient du Gabon image 9. La statuette appartient à un groupe de sculptures assimilées à des effigies d’ancêtres, qui sont souvent qualifiées de gardiens de reliquaire. En langue locale, elles sont également appelées byeri, eyima byeri ou biyema byeri.
Du culte aux collections européennes
Ces statues sont mentionnées à partir du XIXe siècle dans les récits de voyage des divers explorateurs de la vaste région située entre le Cameroun, la Guinée équatoriale et le Gabon, où ces objets étaient utilisés image 10. Elles n’étaient déjà plus en usage dès les années 1960, lorsque Louis Perrois, l’un des grands spécialistes de ces œuvres, partit enquêter sur le terrain. Seul demeurait le souvenir de leur importance dans la mémoire des peuples pahouins, auxquels elles appartiennent. Retrouvées en nombre important et envoyées dès la fin du XIXe siècle en Europe, elles ont rapidement connu un grand succès auprès des amateurs occidentaux d’objets exotiques. Celle-ci fit notamment partie des collections personnelles de Paul Guillaume, qui fut au début du XXe siècle un des principaux promoteurs et marchands à Paris de ces pièces.
Des gardiens de reliques
Comme souvent dans la statuaire africaine, ces effigies anthropomorphes présentent des personnages statiques, non des figures en mouvement. Dans un nombre plus limité de pièces, les représentations sont réduites à la tête, sculptée en haut d’un cylindre image 1. Cette statuette en bois image principale se caractérise, comme la plupart des byeri, par une forte stylisation. Ses volumes permettent de distinguer les diverses parties du corps en insistant tout particulièrement sur certaines zones, notamment le crâne, la poitrine, les fesses… Les statues de byeri ont souvent été collectionnées par les Occidentaux comme des objets autonomes, alors qu’elles font partie d’un ensemble : le reliquaire. Chez les Fang, il s’agit d’une boîte réalisée en écorce cousue image 2 surmontée d’un couvercle sur lequel sont posées ou fixées les statuettes. Le plus précieux se trouve à l’intérieur. Y sont en effet conservés les ossements des ancêtres, notamment le crâne, considéré comme le réceptacle de la force vitale des individus, les os longs (fémurs) et parfois des dents ou d’autres fragments. Il existe une correspondance entre l’importance de ces parties du corps et la morphologie si singulière des statuettes. Les attributs sexuels, symboles de la fécondité, la tête, les bras et les jambes sont souvent particulièrement mis en valeur. Les proportions varient, par ailleurs, en fonction de l’origine de l’objet.
Diversité stylistique
Il existe en effet une grande variété de styles. Si chaque pièce est singulière, les études menées par Louis Perrois ont permis de différencier de nombreuses variantes géographiques. On distingue notamment les versions dites longiformes de celles dites bréviformes. Pour les premières, on note une élongation plus ou moins manifeste du corps. C’est le cas de la statue ayant appartenu à Paul Guillaume. L’allongement peut être encore plus prononcé image 3. Les versions bréviformes, comme le montre une sculpture conservée au musée du Quai Branly – Jacques-Chirac image 4, donnent au contraire l’impression d’un personnage ramassé et compact. Les variantes régionales se retrouvent également dans la grande diversité du traitement de la chevelure. Tresses, coiffure en casque, à deux ou trois coques… La complexité et la diversité fait écho à l’importance des usages capillaires en Afrique image 5. De même, la présence de dessins sur de nombreuses statues – sur celle-ci, des incisions géométriques au niveau de l’abdomen – est le reflet de pratiques de décor corporel répandues, comme le tatouage ou les scarifications. Les byeri se distinguent également par la présence d’éléments décoratifs. Certaines figurines présentent des incrustations et, parfois, des parures image 6. Il peut s’agir de fragments métalliques, de perles, de graines, de plumes, d’os ou encore de fragments de miroir.
Des sculptures pour assurer le lien avec les ancêtres
Les byeri sont liés au culte des ancêtres, très important chez les Fang. Bien plus qu’au dieu ayant créé le monde, c’est aux ancêtres que l’on s’adresse. Ils sont sollicités régulièrement pour favoriser la chance, la fortune, la fécondité. On fait également usage des reliques lors de cérémonies d’initiation. Les statues sont manipulées pour solliciter les aïeux. L’usage rituel inclut l’application sur l’objet de matières variées : sang, huiles, enduits. Certaines des substances employées pour confectionner ces pâtes, comme la poudre du bois de padouk, sont également utilisées pour réaliser les peintures corporelles. C’est le chef de famille qui a la garde du reliquaire. Il le conserve dans la maison, près de son lit. Ces pratiques cultuelles ont périclité dans la première moitié du XXe siècle.
Le goût d’un marchand
Lorsque Paul Guillaume se lance, au milieu des années 1910, dans le commerce d’objets d’art, il fait le pari alors osé de défendre les jeunes artistes émergents, mais aussi les arts extra-européens. Selon la légende, ce sont des pièces africaines trouvées dans des cargaisons de caoutchouc alors qu’il est tout jeune employé dans un garage, qui auraient été à l’origine de sa vocation. En ce début du XXe siècle, très peu de marchands s’y intéressent alors. Si des objets exotiques d’Afrique et d’ailleurs se trouvent en France, c’est le plus souvent dans des brocantes ou des magasins de curiosités. Paul Guillaume, lui, organise des expositions et des événements, tel le fameux Bal nègre, pour assurer la promotion de ce que l’on qualifie alors précisément d’art nègre. Comme pour les artistes qu’il défend, il leur donne une nouvelle visibilité par le biais de publications. Il écrit notamment un ouvrage intitulé La Sculpture nègre primitive, paru en 1929. Il y analyse certaines spécificités de l’art africain et souligne notamment son originalité en matière de conception et de proportions bien différentes de l’art grec et de l’art occidental. Il écrit ainsi que l’art africain modifie « complètement et librement la forme naturelle des corps pour la convertir en une forme arbitraire amplifiant et accentuant ici, diminuant là, arrondissant, aplatissant ou allongeant à volonté ». Ces observations valent tout particulièrement pour les fameuses figurines Fang, dont Paul Guillaume possédait de très beaux spécimens.
Cette liberté de traitement se retrouve également dans nombre d’œuvres d’artistes en quête de renouveau, tels Modigliani image 7, Derain, Picasso ou Matisse, que Paul Guillaume présente dans sa galerie et dont il collectionne les œuvres à titre personnel. Les correspondances entre l’art d’Afrique et les expérimentations de l’art moderne sont d’ailleurs particulièrement explicites dans sa collection. Les photographies de ses intérieurs montrent que le marchand plaçait côte à côte statues africaines et œuvres contemporaines image 8.
Le peu de goût de Domenica Walter, veuve du marchand et héritière de ses collections, pour les arts extra-européens explique que certains des fleurons de la collection africaine de Paul Guillaume soient entrés, dès les années 1940, dans les collections nationales.
Le Pavillon des Sessions : les arts non-occidentaux au musée du Louvre, une vidéo du musée du Quay Branly.
À découvrir à 08.46 : la reconnaissance de l'art nègre au XXe siècle siècle
Anne Bouvier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/gardien-de-reliquaire
Publié le 22/02/2023
Ressources
La notice de l’œuvre sur le site du musée du Quai Branly – Jacques-Chirac
Un "Gardien de reliquaire" de la collection Lacharrière, contexte historique et analyse sur le site web du musée du Quay Branly
https://collection-lacharriere.quaibranly.fr/fr/gardien-de-reliquaire-eyema-byeri
La notice de l’œuvre sur le site web du musée de l’Orangerie
https://www.musee-orangerie.fr/fr/oeuvres/statuette-de-gardien-de-reliquaire-eyima-byeri-265109
La notice d’un gardien de reliquaire sur le site web des Musées de Marseille
Présentation du Pavillon des Sessions sur le site web du musée du Louvre
https://www.louvre.fr/decouvrir/le-palais/aux-quatre-coins-du-monde
Glossaire
Pahouin (Fang) : Le terme "pahouin" provient d’une déformation par les interprètes des Occidentaux d’un terme local. Il désigne des populations issues de diverses vagues migratoires principalement venues du nord-ouest entre les XIIIe et XIXe siècles et installées au Gabon, en Guinée équatoriale et au Cameroun, entre les rives de la rivière Sanaga, au nord, et celle de l’Ogooué, au sud. Ces populations partagent de nombreuses caractéristiques culturelles. Elles sont souvent rassemblées par les Européens sous l’appellation "Fang". Ce nom désigne à l’origine une fraction de ces peuples. Il s’est ensuite imposé pour désigner toutes les populations de cette aire culturelle. "Pahouin" a également parfois été utilisé au début du siècle, par Paul Guillaume notamment, pour désigner les sculptures de gardiens de reliquaire.
Padouk : Essence d’arbre d’Afrique, au bois de couleur rouge, autrefois appelée bois de santal.