La Bataille d’Alexandre

La Bataille d’Alexandre

Auteur

Dimensions

H. 5,82 m ; L. 3,83 m

Provenance

Pompéi, maison du Faune

Technique

Mosaïque

Matériaux

Datation

IIe siècle av. J.-C.

Lieu de conservation

Italie, Naples, musée archéologique national (MANN)

Mosaïque ou peinture de pierre ?

En 79 après J.-C., l'éruption du Vésuve a fait disparaître sous les cendres et la boue la ville de Pompéi et les villes des alentours pour plusieurs siècles. À partir du IIe siècle avant J.-C., la noblesse romaine, attirée par la douceur climatique de la baie de Naples, avait choisi ce site comme lieu de villégiature estival, loin de l'agitation étouffante de Rome. Là, dans des villas de grand luxe, elle pouvait profiter de la tranquillité et de ses loisirs (otium). Les empereurs feront de même.

Comme les riches palais grecs de la période hellénistique, la maison romaine n'est pas tournée vers la ville : les pièces ouvrent sur l'atrium et sur un jardin intérieur généralement entouré d'un péristyle. Les murs sont peints à fresque d'architectures imaginaires [ image 1 ], de paysages, de natures mortes ou de scènes mythologiques, et les sols des salles de réception s'ornent de mosaïques particulièrement soignées. Découverte en 1830 dans l'une des plus riches maisons de Pompéi, la mosaïque de la bataille d'Alexandre [ image principale ], aujourd'hui conservée au Musée archéologique de Naples, en offre un exemple somptueux.

Une mosaïque de la maison du Faune

La maison dite du Faune est une demeure urbaine (domus) parmi les plus vastes et les plus luxueuses de Pompéi. D'une surface de près de 3 000 m2, elle occupe tout un îlot d'habitation (insula). Cette maison ancienne a reçu son riche décor de fresques murales et de mosaïques à l'occasion de restructurations et d'agrandissements entrepris à la fin du IIe siècle avant J.-C.

La Bataille d'Alexandre ornait à l'origine un exèdre, une pièce de séjour et de réception ouvrant sur le jardin, centre de gravité architectural et décoratif de la demeure. Elle compte environ 1,5 million de tesselles de 3 mm² chacune, d'une gamme colorée restreinte. Ces tesselles sont disposées en lignes non pas droites, mais ondulantes. Cette technique de mosaïque, baptisée opus vermiculatum (du latin vermis, « ver »), a été inventée au IIe siècle avant J.-C.

Au cœur de la bataille

La mosaïque met en scène un affrontement entre Alexandre le Grand, roi de Macédoine, et Darius III, roi des Perses. Les spécialistes ne s'accordent pas tous sur la bataille représentée. Il s'agit vraisemblablement de celle qui eut lieu à Gaugamèles en 331 et vit la chute de Darius. Le moment choisi est le plus théâtral : la charge décisive d'Alexandre provoque le désarroi et le chaos parmi les troupes ennemies. Surgissant de la gauche sur son cheval Bucéphale, le Macédonien [ détail b ] enfonce les lignes perses [ détail c ] qui occupent les trois quarts de la composition. Alors qu'il est sur le point d'atteindre Darius, Alexandre est brusquement arrêté dans son élan par le sacrifice spontané d'un soldat perse qui se jette sur sa lance.

Une composition dynamique

Au milieu de la composition, l'arrière-train d'un cheval [ détail d ] vu dans un audacieux raccourci donne l'illusion de la profondeur et conduit le regard vers le char de Darius. À ses pieds, un soldat renversé par le char retient un lourd bouclier dont le métal reflète son visage [ détail e ]. Darius, le carquois vide, ne peut faire qu'un geste d'angoisse et d'impuissance [ détail f ] pour le soldat auquel il doit la vie. Prenant l'initiative de la fuite, son cocher fouette déjà ses chevaux, et l'envol du manteau du roi traduit ce brusque revirement. Les lances de l'armée perse évoquent la désagrégation des troupes, le passage de l'assaut à la débandade dans un mouvement quasi cinématographique.

La fascination des Romains pour la culture grecque

Les textes antiques célèbrent en des termes très élogieux le talent des peintres grecs, vantant leur maîtrise de la tétrachromie et du rendu illusionniste de la réalité, la mimésis. Ici, le reflet du visage d'un soldat sur un bouclier [ détail e ] , parfois considéré comme un autoportrait du peintre, témoigne de cette habileté. Les Romains sont fascinés par la culture grecque, et sa connaissance indique l'appartenance à une certaine classe sociale, celle d'une élite au goût raffiné. À Pompéi, elle est omniprésente : répliques en marbre ou en bronze de statues célèbres, fresques ou mosaïques copiant des tableaux des « anciens maîtres » grecs.

Certaines œuvres ont été importées de Grèce, d'autres ont été créées par des artistes grecs attirés dans la région par l'opportunité de commandes importantes. La plupart ont cependant été réalisées par des artistes locaux familiarisés avec les modèles grecs. Le doute subsiste encore quant à l'origine et à la datation précise de La Bataille d'Alexandre. Il apparaît néanmoins évident que l'atelier de mosaïstes qui l'a réalisée a transposé une peinture grecque célèbre, aujourd'hui disparue. Nombre de spécialistes attribuent la peinture originale à Philoxénos d'Érétrie en se fondant sur un texte de Pline, d'autres à Apelle, le peintre d'Alexandre le Grand, ou à Hélène d'Alexandrie, qui travaillait pour Ptolémée Ier.

La maison d'un grand amateur

Le raffinement du décor de la maison du Faune éclaire sur le goût du propriétaire, sans conteste un grand amateur d'art extrêmement cultivé. La maison doit son nom moderne à la statuette d'un satyre, compagnon de Dionysos, alors baptisée Faune dansant [ image 2 ], qui y a été retrouvée. Est-ce une allusion à un ancêtre mythique de la famille, comme le laisse penser l'assonance entre le mot latin satyrus et le nom du propriétaire Satrius ? Cette hypothèse semble confortée par l'abondance des thèmes dionysiaques dans le décor de cette demeure : satyre, ménade, panthère, masques de théâtre [ image 3 ]. La Bataille d'Alexandre s'inscrit également dans ce programme homogène. En effet, depuis l'Antiquité Alexandre est comparé à Dionysos. Sa conquête de l'Empire perse entre en résonance avec l'acte civilisateur de Dionysos, qui aurait diffusé la culture de la vigne jusqu'à l'Indus.

La mosaïque n'a pas encore livré tous ses secrets, alors laissons les derniers mots à Goethe qui disait à son propos en 1832 : « Présent et futur ne réussiront jamais à faire un juste commentaire de cette merveille de l'art, et nous devrons toujours revenir, après avoir étudié et expliqué, à la notion de merveille pure et simple. »

Sandrine Bernardeau

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/la-bataille-dalexandre

Publié le 13/06/2013

Ressources

http://www.mediterranees.net/art_antique/oeuvres/alexandre/index.html

http://alexandermosaik.de/en/reconstruction_of_the_mosaic.html

La fiche de l’œuvre au musée de Naples (en italien)

https://www.museoarcheologiconapoli.it/it/sale-e-sezioni-espositive/mosaici/

La maison du Faune – vues actuelles (2006) avec copie de la mosaïque à l’endroit originel (en anglais)

http://www.pompeiiinpictures.com/pompeiiinpictures/R6/6%2012%2002%20p1.htm

Plan de la maison du Faune et localisation des mosaïques

http://bib18.ulb.ac.be/cdm4/item_viewer.php?CISOROOT=/shu013&CISOPTR=439&CISOBOX=1&REC=2

Plusieurs textes et documents concernant la maison du Faune et la mosaïque de La Bataille d’Alexandre

http://www.mediterranees.net/art_antique/oeuvres/alexandre/index.html

Site d’une grande richesse consacré à la peinture antique

http://arts.ens-lyon.fr/peintureancienne/index.htm

Glossaire

Mosaïque : Art qui consiste à réaliser de grands panneaux décoratifs, à l’aide d’une multitude de petits cubes (tesselles) de divers matériaux (pierre, céramique, verre) et de diverses couleurs, disposés sur un enduit. C’est un décor privilégié sur les sols et les murs des grands édifices publics et des riches demeures.

Tesselles : Petits cubes en pierre, céramique ou verre, d’environ un centimètre de côté et de couleurs variées, insérés dans un mortier pour former des panneaux décoratifs. On l’a déjà, mais cette définition me semble plus complète.

Villa : Terme utilisé dans l’Antiquité romaine pour désigner un domaine rural (villa rustica) ou une riche demeure proche de la ville (villa suburbaine).

Fresque : Technique de peinture murale qui consiste à appliquer des couleurs délayées à l’eau sur un enduit frais. Le mot est d’origine italienne, il vient de fresco qui signifie frais. Toute œuvre peinte d’après ce procédé est aussi désignée sous le nom de fresque.

Tétrachromie : Technique de la Grèce antique qui consiste à élaborer une œuvre d’art en combinant quatre couleurs : le blanc, le jaune, le rouge, le noir.

Période hellénistique : Dernière période chronologique de la civilisation grecque antique. Elle s’étend de la mort d’Alexandre le Grand en 323 av. J.-C. à la défaite des royaumes hellénistiques vaincus par les Romains à la bataille d’Actium en 31 av. J.-C. Par le choix des thèmes, l’art hellénistique privilégie la représentation de la souffrance humaine et affirme la toute-puissance des dieux. Il offre les premières représentations de l’âge, du petit enfant au vieillard. Il s’intéresse à la représentation du corps en mouvement et à l’expression des sentiments.

Satyre : Dans la mythologie grecque, créature hybride du monde champêtre, souvent associée aux dieux Dionysos (Bacchus) et Pan. Les satyres sont très proches de ce que les Romains appellent des faunes.

Dionysos : Dieu de la mythologie grecque, associé à la vigne et au vin, ainsi qu’au théâtre. Il est vénéré sous le nom de Bacchus par les Romains.

Dionysiaque : Adjectif qualifiant toute chose en rapport avec le dieu Dionysos (Bacchus chez les Romains).

Ménade : Prêtresse du dieu Dionysos (le Bacchus des Romains).