L’Amour menaçant Falconet Étienne-Maurice (d'après) Manufacture de Sèvres
L’Amour menaçant
Dimensions
Provenance
Technique
Matériaux
Datation
Lieu de conservation
En quoi ce biscuit de Sèvres est-il évocateur de l’esprit du XVIIIe siècle ?
Conservée au Musée national de céramique (Cité de la céramique, Sèvres), cette statuette [ image principale ] en biscuit est une reproduction d'une des œuvres les plus célèbres du XVIIIe siècle, L'Amour menaçant, du sculpteur français Étienne-Maurice Falconet. Elle témoigne à la fois du goût des amateurs pour des images de séduction légère et du succès des productions de la manufacture de Sèvres.
« Qui que tu sois, voici ton maître il l'est, le fut ou le doit être. »
C'est la définition poétique que donne Voltaire du dieu de l'amour, représenté ici comme un jeune enfant ailé. Nu, assis sur un nuage, la tête légèrement baissée, il met un doigt sur la bouche pour imposer le silence et de l'autre main saisit une flèche dans son carquois. Un sourire mutin éclaire son visage et convie le spectateur à la complicité [ détail b ].
D'emblée, L'Amour menaçant introduit dans un monde de galanterie et de sensualité : celui des amours des dieux, l'un des sujets favoris des peintres contemporains, comme François Boucher. C'est aussi le monde du théâtre, de la musique et des fêtes, dans lequel toute une société se consacre au plaisir du jeu amoureux.
Tel Harpocrate, un doigt sur la bouche, le dieu enfant demande le silence devant des mystères réservés aux seuls initiés. Mais ces mystères de l'amour, auxquels tous aspirent, peuvent être une menace, car Cupidon guette sur qui décocher ses traits. Outre l'expression du visage, la composition exprime l'ambigüité du geste : le léger effet d'instabilité de la position des jambes, le torse qui pivote doucement.
Mais le dieu de l'amour est aussi un enfant innocent, un bambin plein de vie. Le traitement des chairs et de la chevelure montre un vrai intérêt porté au corps enfantin.
Ce charme élégant, empreint de naturel, situe pleinement la sculpture dans le courant rocaille de l'art du règne de Louis XV.
De l'esprit à la main, le biscuit de Sèvres
Cette statuette n'est pas l'œuvre originale de Falconet. Fabriquée à la manufacture de Sèvres, elle est le résultat d'un long processus d'élaboration. On peut suivre les différentes étapes de sa création depuis l'idée de l'artiste jusqu'à la diffusion en de nombreux exemplaires.
C'est au Salon de 1755 que Falconet remporte son premier vrai succès en exposant une statue en plâtre intitulée L'Amour menaçant. Séduite, la marquise de Pompadour lui en commande un exemplaire en marbre [ image 1 ] pour les jardins de l'hôtel d'Évreux – actuel palais de l'Élysée –, sa résidence parisienne.
Falconet devient alors le protégé de la marquise, qui lui confie en 1757 la direction de l'atelier de sculpture à la manufacture royale de porcelaine, à Sèvres.
Une nouvelle qualité de céramique vient d'être mise au point : le biscuit. Jusqu'alors, les statuettes fabriquées dans cette porcelaine tendre étaient peintes et vernies [ image 2 ]. On a l'idée de les laisser blanches, ce qui offre de nombreux attraits : rivaliser avec le marbre, laisser les détails visibles, accrocher la lumière par l'aspect délicatement satiné de la surface, mais aussi évoquer l'aspect des statuettes en sucre alors très appréciées dans les décors de table.
Falconet est chargé de donner des modèles à la manufacture l'un des premiers qu'il propose est celui de L'Amour menaçant. Il réalise donc une réduction en terre de son marbre célèbre. Par la technique du moulage, les ateliers de Sèvres en fabriquent plusieurs exemplaires. La réalisation d'une statuette en biscuit est donc le fruit de la collaboration entre l'artiste, qui livre le modèle, et les ouvriers de la manufacture, qui en assurent la fabrication. Falconet supervise les différentes étapes de l'ouvrage, ce dont témoigne la lettre « F » gravée à l'intérieur de la statuette [ détail c ].
Fort du succès que rencontrent les premiers biscuits de L'Amour menaçant, Falconet crée en 1761 un pendant à sa statuette, une représentation féminine intitulée Psyché. Le groupe de L'Amour et Psyché [ image 3 ] sera lui aussi largement diffusé. Les biscuits de Sèvres deviendront rapidement des objets décoratifs de choix dans les appartements des collectionneurs.
Falconet, un artiste indépendant
Falconet est un intellectuel. Il nous a laissé de nombreuses réflexions sur son art. Grand admirateur de Pierre Puget, il prône la liberté de l'artiste qui ne doit pas, selon lui, se plier aux « bizarreries de la mode ». Il est l'ami de Denis Diderot qui lui confie en 1759 la rédaction de l'article sur la sculpture dans l'Encyclopédie.
Partagé entre la légèreté de son siècle et la profondeur des idées et des valeurs morales des Lumières, il est un homme de son temps, ce qui explique que ses créations peuvent sembler contradictoires. L'une de ses œuvres les plus reproduites est la Baigneuse [ image 4 ], pour laquelle il invente un type de beauté féminine au corps mince et gracile, au visage ingénu [ image 5 ].
Mais pour Falconet, l'œuvre de sa vie est d'une toute autre envergure. Il s'agit de la statue équestre du tsar Pierre le Grand, aujourd'hui à Saint-Pétersbourg, commandée par l'impératrice Catherine II de Russie. Il y consacre douze années de sa carrière. Le monument en bronze révèle la profonde originalité de l'artiste : le cheval du tsar réformateur se cabre, au sommet d'une montagne de granit. Cette composition unique semble illustrer la définition ambitieuse que Falconet donne de son art : « […] perpétuer la mémoire des hommes illustres, et […] donner des modèles de vertus ».
Ressources
Histoire de la manufacture de Sèvres et de ses collections sur le site de la Cité de la céramique
L’article de Falconet sur la sculpture dans l’<em>Encyclopédie</em>
http://www.nella-buscot.com/Encyclopedie_sculpture_beaux_arts.php
La statue équestre du tsar Pierre le Grand à Saint-Pétersbourg
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Statue_de_Pierre_le_Grand.jpg
Présentation de l’exposition « Falconet à Sèvres » (Cité de la céramique, 7 novembre 2001 – 4 février 2002)
Glossaire
Salon : Au XVIIIe siècle les expositions des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture se tenaient dans le Salon carré du Louvre. Le terme « Salon » désigne par la suite toutes les expositions régulières organisées par l’Académie.
Rocaille : Mouvement artistique du XVIIIe siècle qui s’épanouit en France, à partir de la Régence, dans les ornements architecturaux et les arts décoratifs en privilégiant les jeux de courbes. En peinture, les artistes illustrent des sujets légers et séduisants, galants ou exotiques, dans un traitement où l'aspect décoratif voire anecdotique l’emporte.
Moulage : Sous ce terme, on entend deux choses : – la technique du moulage permet, en prenant l’empreinte d’une création originale, de la reproduire en plusieurs exemplaires (ex. : « Faire le moulage d’une statue. ») ; – on utilise également ce terme pour désigner l’objet ainsi obtenu (ex. : « Cette statue est le moulage en plâtre d’une statue antique. »).
Biscuit : Sous ce terme, on entend deux choses : – il s’agit d’une part d’un procédé de cuisson particulier à la porcelaine. La surface est laissée blanche et non émaillée (ex. : « Ce vase est en biscuit. ») ; – d’autre part, on utilise le terme de biscuit pour désigner un objet, le plus souvent une statuette, fabriqué selon ce procédé (ex. : « Un biscuit de Sèvres. »).
Porcelaine : La porcelaine est une céramique qui se caractérise par la blancheur et la finesse de sa pâte. On distingue la porcelaine dure de la porcelaine tendre. La pâte de la porcelaine dure, la « vraie porcelaine », est composée de matières minérales naturelles : le kaolin, le quartz et le feldspath. C’est le kaolin, une argile primaire de couleur blanche, qui confère à la porcelaine sa blancheur et sa translucidité. Elle résiste aux variations de température. La porcelaine tendre est une porcelaine dont la pâte ne comporte pas de kaolin. Elle est composée essentiellement de marne calcaire blanche et de silice. De couleur blanc crémeux, elle est moins résistante aux chocs thermiques et peut se rayer à l’acier.
Flèche : Élément supérieur d’un toit ou d’un clocher, dont la forme pointue rappelle un fer de flèche.
Pendant : on dit d'une œuvre qu'elle est un pendant quand elle a été réalisée pour répondre à une autre œuvre dans sa forme et dans son sujet.