Le Berceau Morisot Berthe

Le Berceau

Berthe Morisot au chapeau noir

Dimensions

H. : 56 cm ; L. : 46 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1872

Lieu de conservation

France, Paris, musée d’Orsay

Comment Berthe Morisot parvient-elle à s’affirmer en tant que femme peintre à travers Le Berceau, peinture audacieusement présentée à la première exposition du groupe des Indépendants en 1874 ?

Une observation singulière d'un monde féminin

Encouragées par leur famille, les sœurs Berthe et Edma Morisot commencent ensemble l'apprentissage de la peinture. Les séances de copie au musée du Louvre sont l'occasion de rencontres, notamment avec le peintre Édouard Manet. Alors qu'Edma se marie et quitte Paris pour Lorient, abandonnant toute activité artistique, Berthe continue à peindre et choisit de présenter ses œuvres à l'occasion de la première exposition commune d'artistes indépendants, qui a lieu en 1874 dans les anciens ateliers du photographe Nadar. Cette exposition amorce les débuts d'une peinture dite impressionniste, mot inventé par le journaliste Louis Leroy qui ironise sur Impression, soleil levant de Claude Monet image 1. Parmi les neuf toiles présentées par Berthe Morisot se trouve Le Berceau image principale qui a pour modèles Edma, devenue madame Pontillon, et sa fille Blanche, née le 23 décembre 1871. Berthe profite de la présence de sa sœur et de sa nièce chez leurs parents à Passy pour observer ce moment d'intimité.

Un regard qui touche

Il existe un lien invisible entre la mère et l'enfant : le regard qui touche avec attention la petite fille, endormie dans le cocon protecteur du berceau. Blanche est protégée par la présence maternelle, mais également par le voilage du berceau, délicatement relevé par la main droite d'Edma détail b. Cette composition simple et silencieuse est cependant savamment structurée. Des diagonales sont présentes : rideaux, voiles, regard de la mère vers l'enfant, bras repliés des deux protagonistes. Des valeurs contrastées se répondent : Edma, qui porte une veste à rayures bleu gris et un ruban noir autour du cou, se détache sur un fond blanc bleuté, tandis qu'à droite, le berceau et la gaze transparente surgissent grâce à l'utilisation de tons clairs sur un fond brun. Berthe parvient à traduire un temps suspendu, un moment de concentration et de douceur. La tête d'Edma reposant sur sa main gauche renforce son air pensif empreint d'une certaine gravité.

Une représentation mère/enfant entre tradition et modernité

Si les modèles sont identifiables, peut-on pour autant qualifier cette toile de portrait ? La relation de la mère et de l'enfant s'inscrit dans une longue tradition de l'art occidental, où les représentations de la Vierge à l'Enfant abondent. Le peintre de la Renaissance italienne Raphaël est très représentatif de ces madones douces et attentives image 2. Berthe Morisot est aussi sensible à l'art du XVIIIe siècle français, notamment celui de Jean-Siméon Chardin dont Le Bénédicité image 3 traite une scène intime entre une mère et ses enfants comme dans Le Berceau, le regard de la femme nous guide vers l'enfant, qui doit ici prononcer la prière avant le repas.

Comme Élisabeth Vigée-Lebrun au siècle précédent image 4, Berthe peint plus particulièrement un monde féminin et s'impose comme une artiste à une époque où le chemin est semé d'embûches et de préjugés par exemple, l'École des beaux-arts n'accueillera les femmes qu'à partir de 1897. En outre, Berthe Morisot décide courageusement de ne pas satisfaire un public de salon officiel et préfère se rapprocher des artistes les plus avant-gardistes tels Manet, Renoir et Degas. Comme eux, elle est sensible aux scènes de la vie moderne et, avec une touche spontanée et rapide, traduit les effets changeants de la lumière. Elle est remarquée par le critique Albert Wolff, qui écrit dans Le Figaro du 3 avril 1876 : « […] Il y a aussi une femme dans le groupe, comme dans toutes les bandes fameuses d'ailleurs, elle s'appelle Berthe Morisot et est curieuse à observer. Chez elle, la grâce féminine se maintient au milieu des débordements d'un esprit en délire. »

En décembre 1874, quatre ans après son mariage avec Eugène Manet, frère du peintre Édouard, naîtra Julie. Elle deviendra à son tour l'un des modèles privilégiés de Berthe, très attentive à peindre les différentes étapes de l'enfance de sa fille.

Grâce et gravité d'une « magicienne » selon le poète Mallarmé

Si Mary Cassatt, impressionniste américaine, privilégie le thème de la maternité dans de nombreuses peintures et pastels image 5, si Auguste Renoir peint sa femme Aline allaitant leur fils Pierre avec des couleurs douces et des courbes sensuelles image 6, Berthe Morisot adopte, elle, une approche différente. En effet, elle ne cherche pas dans Le Berceau à montrer une fusion des corps et une sensualité des chairs. Une pudeur et une distance sont instaurées entre la mère et sa fille : le regard attentif, peut-être anxieux, suggère une réflexion sur l'avenir de cette enfant à l'orée de son existence. Derrière la grâce et la délicatesse, Berthe parvient à exprimer une gravité et une solitude que seul son beau-frère Édouard Manet a laissé affleurer dans les portraits qu'il peignait d'elle ainsi, dans Berthe Morisot au bouquet de violettes image 7, réalisé la même année que Le Berceau, la singulière beauté de Berthe, que l'on appelait d'ailleurs « la belle peintre », s'épanouit dans une harmonie de blanc et de noir.

Après l'exposition de 1874, Le Berceau image principale restera dans la famille des modèles avant d'être acquis par le musée du Louvre en 1930. Cette acquisition marque la reconnaissance d'une artiste dont le certificat de décès portait la mention « sans profession » !

Berthe Morisot, l’indépendante, une vidéo de France Culture, Culture Prime

Christine Kastner-Tardy

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-berceau

Publié le 17/03/2015

Ressources

Présentation de l’importante collection d’œuvres de Berthe Morisot conservée au musée Marmottan

https://www.marmottan.fr/collections/berthe-morisot/

"L'Amour maternel au XIXe siècle" sur le site web de L’Histoire par l’image

https://histoire-image.org/etudes/amour-maternel-xixe-siecle

Glossaire

Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.

Impressionnisme : Courant artistique regroupant l’ensemble des artistes indépendants qui ont exposé collectivement entre 1874 et 1886. Le terme a été lancé par un critique pour tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). Les impressionnistes privilégient les sujets tirés de la vie moderne et la peinture de plein air.

Pastel : Bâtonnet composé de poudres colorées, de gomme arabique servant de liant et d’une terre destinée à donner de la consistance à la préparation. Désigne par extension une technique et son résultat. Le pastel est devenu à la mode au XVIIIe siècle