Le Concert champêtre Titien

Le Concert champêtre

Auteur

Dimensions

H. : 105 cm L. : 137 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1500-1525

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment interpréter ce tableau de la Renaissance vénitienne ?

Le Concert champêtre image principale est un tableau fascinant mais énigmatique. Il soulève de nombreuses questions. On l’a longtemps attribué au peintre Giorgione, mort jeune de la peste en 1510. Ce dernier avait introduit dans l’art vénitien les thèmes profanes, en un temps où les sujets religieux dominaient. Il semblerait pourtant que cette toile ait été peinte par Titien, artiste vénitien majeur du XVIe siècle.

Amour, musique, nature

Le titre actuel du tableau, Le Concert champêtre, a été donné au XIXe siècle. Auparavant, la toile portait le titre de Pastorale. Elle présente quatre figures dans un paysage campagnard. La nature verdoyante s’ouvre à gauche sur un horizon dégagé. On aperçoit au loin une étendue maritime. Au centre, s’élèvent quelques constructions image b. À droite, un bosquet ombreux surplombe un sentier sur lequel avancent un berger et son troupeau image c. La lumière chaude est celle d’une fin d’après-midi. L’atmosphère sereine, idyllique, semble favorable à la musique et au badinage amoureux. Mais l’identité et le comportement des personnages est un mystère. Au premier plan, apparaissent deux femmes dévêtues. L’une, debout, à gauche, verse l’eau d’une carafe dans une vasque de marbre image d. L’autre, assise, de dos, tient une flûte dans sa main image e. Au second plan, sont assis deux hommes que leurs vêtements opposent. Celui de gauche est un jeune aristocrate élégant. Il joue du luth et se tourne vers son voisin qui semble l’écouter image f. Ce dernier, pieds nus, est habillé simplement. Il s’agit sans doute d’un paysan ou d’un berger, et sa présence semble avoir interrompu le concert. Le fait que les deux hommes soient indifférents à la présence des femmes, comme s’ils ne les voyaient pas, laisse penser que le tableau associe le monde réel et celui de la mythologie gréco-romaine. Les femmes nues seraient des divinités. Mais que représentent-elles ? Plusieurs interprétations ont été proposées.

Un paysage arcadien

L’importance donnée au paysage est un indice. Les Vénitiens, vivant dans un contexte urbain très dense, ont la nostalgie de la nature. Les humanistes de la Renaissance redécouvrent la littérature antique, et en particulier le thème de l’Arcadie. Cette région mythique du Péloponnèse est une sorte de paradis où règne l’âge d’or. Des nymphes et des bergers y vivent en toute insouciance, éternellement jeunes et amoureux. Cette légende inspire le poète latin Virgile, dans Les Bucoliques. Elle est aussi à l’origine du poème L’Arcadie, publié par Jacopo Sannazaro en 1502. Le jeune gentilhomme du tableau viendrait chercher dans ce paysage pastoral l’accord idéal entre l’homme et la nature.

La musique, symbole d’harmonie

Cette hypothèse est renforcée par l’idée, remontant à l’Antiquité, que la musique est le symbole de l’harmonie régnant dans l’univers. Sur cette toile, deux types d’instruments sont utilisés : celui à cordes, le luth, est considéré comme particulièrement noble. On l’associe à la lyre d’Apollon ou à celle d’Orphée dans la mythologie. C’est le symbole de la poésie, de l’élévation spirituelle. La flûte, en revanche, est associée au monde rustique des satyres et des bergers. L’association des deux instruments évoquerait l’harmonie des contraires, unissant les pratiques musicales savantes et populaires.

Les femmes nues, déesses ou muses ?

Les deux figures féminines du premier plan portent des draperies qui ont glissé, dévoilant leurs corps. Elles appartiennent au monde de l’Antiquité et jouent certainement un rôle symbolique. Il peut s’agir de nymphes, divinités de la nature, ou de Vénus, déesse de l’amour et de la beauté.

Le philosophe grec Platon, dont les idées sont reprises à la Renaissance, distinguait deux Vénus associées à deux formes d’amour : sensuel et spirituel. La femme jouant de la flûte serait la Vénus terrestre ; celle versant l’eau, symbole de pureté, serait la Vénus céleste.

Une autre théorie voit en elles des allégories de la poésie : Calliope et Polymnie, les muses de la poésie épique et de la poésie pastorale. Le Concert champêtre image principale présente une vision idéalisée de la nature dans laquelle l’homme trouve harmonieusement sa place. Au début du XVIe siècle, Venise entre dans la Renaissance et adopte les valeurs humanistes véhiculées par l’université de Padoue où l’on étudiait la théologie, le droit civil, mais aussi la médecine, la philosophie, la rhétorique et l’astronomie. Les tableaux de Giorgione associent poétiquement la figure humaine et le paysage, dans un contexte généralement mystérieux. L’exemple le plus célèbre est La Tempête image 1. Ce type de peinture savante était prisé par une élite d’amateurs éclairés. Le Concert Champêtre appartient à cette catégorie, mais la plupart des spécialistes actuels l’attribuent à un autre peintre, Titien, qui deviendra l’artiste le plus célèbre de Venise. Au début de sa carrière, celui-ci collabore avec Giorgione et développera la dimension sensuelle et dramatique de son maître. Les deux peintres ont contribué à orienter la peinture vénitienne vers la couleur et les effets d’éclairage. La matière picturale est posée avec des coups de pinceau visibles. Le modelé devient doux et les figures reçoivent une lumière dorée. La célébration de la vie champêtre associée à l’amour et à la musique se retrouve au XVIIIe siècle, dans les fêtes galantes de Watteau. Au XIXe siècle, Manet en donne une version moderne plus crue avec Le Déjeuner sur l’herbe, qui fait scandale au Salon des refusés de 1863.

Colette Féraudet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-concert-champetre

Publié le 30/01/2023

Glossaire

Renaissance : Mouvement artistique né au XVe siècle en Italie et qui se diffuse dans le reste de l’Europe au XVIe siècle. Il repose sur la redécouverte, l’étude et la réinterprétation des textes, monuments et objets antiques. À la différence de la pensée médiévale qui donne à Dieu une place centrale, c'est l'homme qui est au cœur de la pensée de la Renaissance.   

Humanisme : Mouvement de la pensée qui se développe au cours de la Renaissance et qui met au cœur de ses valeurs la personne humaine, sa dignité et son épanouissement, accompagné d’un retour aux sources gréco-latines

Allégorie : Représentation figurée d’une idée abstraite.

Fête galante : Genre pictural, né au XVIIIe siècle, qui met en scène des couples d’amoureux dans un cadre champêtre.

Muses : Dans la mythologie gréco-romaine, les Muses sont des divinités, au nombre de neuf, qui protègent les arts.

Platon : Philosophe grec auteur de nombreux textes dont Le Banquet, Timée qui vécut vers la fin du Ve siècle et le début du IVe siècle av. J.‑C.

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