Le Départ du "Bucentaure" vers le Lido de Venise, le jour de l'Ascension Guardi Francesco

Le Départ du "Bucentaure" vers le Lido de Venise, le jour de l'Ascension

Dimensions

H. : 66 cm ; L. : 101 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1770-1780

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment fêtes et cérémonies affirment-elles le pouvoir à Venise ?

Départ du Bucentaure vers le Lido de Venise image principale, peint par Francesco Guardi, montre une cérémonie officielle qui se déroule à Venise sur une galère fastueuse, le Bucentaure, le jour de l’Ascension. À son bord, Alvise IV Mocenigo, élu doge de la République de Venise en 1763, s’apprête à assister à une célébration étonnante. Au XVIIIe siècle, Venise est marquée par un déploiement inouï d’événements publics et privés qui rythment la vie de la cité. Celui du mariage de Venise avec la mer est ancestral.

La lumière et l’eau à Venise

À Venise, deux sites se prêtent particulièrement aux festivités en plein air en raison de leur situation géographique et leur importance symbolique : la place Saint-Marc et le Grand Canal, bordé de somptueuses demeures. Au premier plan du tableau de Guardi image principale, la courbe du Grand Canal permet d’ouvrir la composition. De part et d’autre du Bucentaure, des embarcations de toutes sortes envahissent la lagune : les gondoles noires avec leurs cabines, les péottes dorées des ambassadeurs et les voiliers. La foule, au premier plan également, assiste au départ du cortège. Le jeu des mains montre que les spectateurs commentent l’événement. Certains portent le tabarro, grand manteau noir réservé aux nobles. Le ciel occupe une grande partie de la composition. Il se reflète dans l’eau. Guardi joue avec la lumière sur les façades, les coupoles des édifices religieux et les fers de proue des gondoles qui ponctuent la lagune. Il en varie l’intensité pour évoquer l’atmosphère de la ville, entre ciel, terre et mer. Sa touche est rapide et saccadée. La majesté du paysage aux lointains brumeux s’oppose au fourmillement des formes rehaussées par quelques touches de couleur rouge.

L’art de la veduta

Au XVIIIe siècle, Venise devient le sujet de prédilection de peintres appelés védutistes. La veduta, qui signifie « vue » en italien, est la peinture de paysages urbains. Ce genre est né en Hollande au siècle précédent. L’exemple le plus connu est la Vue de Delft de Vermeer image 1. C’est le détail architectural qui prime. Ces artistes utilisent la camera oscura (chambre obscure), ancêtre de notre appareil photo, pour faire des relevés. Le reflet du monument est projeté sur une plaque de verre horizontale grâce à un jeu de lentilles et de miroirs image 2. L’artiste pose une feuille dessus pour décalquer les lignes, puis retravaille ses croquis en atelier et élargit ses vues pour donner l’impression à celui qui regarde le tableau qu’il se trouve immergé dans la scène. Le point de vue ici représenté est la Riva degli Schiavoni image 17, située non loin de la place Saint-Marc, visible à droite et reconnaissable à son campanile et à ses deux colonnes, dont l’une est surmontée du lion de saint Marc image b. À gauche, se trouve l’île de San Giorgio Maggiore, dominée par sa basilique image c avec, en enfilade, l’île de la Giudecca et, au loin, l’église du Rédempteur image d. Au centre, l’entrée du Grand Canal et la basilique Santa Maria della Salute image d, caractérisée par ses volutes en spirales soutenant le dôme. Le premier védutiste vénitien est Luca Carlevarijs image 3 suivi par une pléiade de grands peintres : Canaletto, Bernardo Bellotto image 4, Francesco Guardi… Les véritables raisons de cet essor sont économiques. La demande croissante est liée au Grand Tour, voyage d’études mais aussi de plaisir à travers l’Europe et surtout l’Italie, par lequel les jeunes aristocrates européens, essentiellement les Britanniques, se devaient de parachever leur formation humaniste. La Cité de Doges était l’une des principales étapes de ce voyage et chacun de ces touristes de la bourgeoisie et de la noblesse souhaitait emporter des souvenirs de la ville. Les védutistes allaient répondre idéalement à leur souhait.

Le pouvoir en spectacle

Les souvenirs sont aussi ceux des événements de la vie publique auxquels ces aristocrates voyageurs avaient l’honneur de participer : cérémonies d’investiture, réceptions d’ambassadeurs, grandes fêtes religieuses, comme ici le jour de l’Ascension. Depuis le XIIe siècle, à l’occasion de la fête de l’Ascension, le doge célèbre la cérémonie du mariage avec la mer. À bord du Bucentaure, il traverse le bassin de Saint-Marc et se rend jusqu’au Lido, où la lagune de Venise communique avec la mer image 17. Cette célébration, au cours de laquelle le politique et le religieux se confondent, se matérialise sous la forme d’un anneau d’or, béni par le patriarche de Venise et que le doge, installé sur un trône, à la proue du navire, jette dans l’Adriatique. Celui-ci prononce alors ces mots : « Mer, nous t’épousons en signe de notre véritable et perpétuelle domination. » Avant de regagner la place Saint-Marc, le doge s’arrête à l’église San Nicolo di Lido pour écouter la messe. Un dais est alors tendu entre l’embarcadère et l’église image 6 puis le Bucentaure rejoint la place Saint-Marc.

Le Bucentaure

Le Bucentaure image d était un bâtiment de parade vénitien en bois doré, de très grand luxe, sans mât ni voile. Il était utilisé par les doges de Venise, entre autres le jour de l’Ascension pour célébrer le mariage du doge avec la mer. Quatre bateaux de ce type furent construits au cours des siècles, en 1311, 1526, 1606 et 1729. Le Bucentaure, représenté sur le tableau, date de 1729. Long de 35 m, pour plus de 7 m de large et près de 9 m de haut, il était le plus somptueux des quatre navires. Il avait été construit à l’arsenal de Venise image 7 et son décor sculpté avait été confié à Antonio Corradini (1688-1752). La partie inférieure de sa coque était rythmée par des ouvertures où étaient placés les rameurs image d, commandés par trois amiraux. Le bâtiment était couronné d’une estrade semi-circulaire sur laquelle était placé le trône du doge image e. Sur le pont supérieur, couvert d’un baldaquin rouge, étaient placés les 90 dignitaires représentant les plus hautes autorités de la ville. L’un d’eux, vêtu d’une toge de soie écarlate, est visible sur la toile. Il vient d’installer le porte-étendard de la République de Saint-Marc, orné du lion ailé image f. Cette cérémonie, qui renouvelle les noces de Venise avec la mer, cristallise encore au XVIIIe siècle l’image d’une Venise puissante et fastueuse. L’activité artistique de la Sérénissime reste importante malgré son déclin : dans le domaine de la musique avec Antonio Vivaldi image 8 dans le domaine des lettres avec Carlo Goldoni, et dans le domaine de la peinture. Francesco Guardi est le dernier maître à avoir immortalisé l’enchantement et l’élégance du XVIIIe siècle vénitien. Ce tableau appartient à un ensemble de douze toiles, dont dix sont conservées au musée du Louvre image 6 image 9 image 10 image 11 image 12 image 13 image 14 image 15 image 16.

L’âge d’or de Venise s’achève en 1797, avec la conquête napoléonienne. Le Bucentaure fut détruit à cette époque, car considéré comme le symbole du pouvoir vénitien.

Visite guidée du musée navale de Venise, découvrez le Le Bucentaure (08.21 à 10.52)une vidéo de la Marina Militare

Mots-clés

Ressources

Le dossier pédagogique de l’exposition "Éblouissante Venise" au Grand Palais (2018-2019)

https://www.grandpalais.fr/fr/article/eblouissante-venise-le-dossier-pedagogique

Présentation de l’exposition Sérénissime ! au musée Cognacq-Jay (2017)

https://www.museecognacqjay.paris.fr/expositions/serenissime

Présentation de l’exposition "Venise révélée" du Grand Palais immersif (2022-2023)

https://www.grandpalais.fr/fr/evenement/venise-revelee

Glossaire

Péotte : Sorte de gondole, grande et légère, en usage sur la mer Adriatique pour le transport de marchandises ou de personnes.