Le Premier consul franchissant les Alpes David Jacques-Louis

Le Premier consul franchissant les Alpes au col du Grand Saint-Bernard

Dimensions

H. : 259 cm ; L. : 221 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1800

Lieu de conservation

France, Rueil-Malmaison, musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau

Peinture d’histoire ou portrait ? Un événement historique ou le début d’une légende ?

S'il n'est pas le tout premier des tableaux représentant Napoléon Bonaparte [ image principale ], Le Premier consul franchissant les Alpes au col du Grand Saint-Bernard est certainement le plus célèbre d'entre eux. Toutefois, il n'a pas été commandé par le modèle lui-même, mais par le roi d'Espagne, Charles IV, son allié. Réalisé par David, chef de file du néoclassicisme, il retient l'attention de Bonaparte qui en fait peindre trois répliques, dont l'une est conservée à Versailles [ image 1 ]. Après avoir mis son art au service des idées nouvelles et de la Révolution, David s'engage désormais au côté du futur empereur.

Un épisode marquant de la seconde campagne d'Italie

Dans ce tableau, David met en scène un épisode fameux de la seconde campagne d'Italie (1799-1800) menée par Bonaparte, Premier consul, contre les Autrichiens. Ceux-ci, membres de la deuxième coalition formée pour combattre la France républicaine, étaient en position de force en Italie. En mai 1800, alors que les armées autrichiennes assiègent les Français dans le port de Gênes, Bonaparte a l'audace de faire passer ses troupes par les Alpes et d'entrer en Italie par le col du Grand Saint-Bernard, alors que les conditions climatiques, mauvaises en ce printemps 1800, ne s'y prêtaient pas. Cet exploit technique et humain lui permet de surprendre ses adversaires qu'il affronte à Marengo, le 14 juin 1800.

C'est d'ailleurs vêtu du costume porté par Bonaparte à la bataille de Marengo que David l'a peint. Plus que l'exploit d'une armée, c'est donc le vainqueur de Marengo que David célèbre dans cette toile. Cela apparaît de manière explicite dans le fait que Bonaparte occupe tout le premier plan de la composition, tandis que les soldats tirant les chariots et les canons sur des sentiers escarpés au milieu des montagnes enneigées n'y sont que des détails [ détail b ]. Ce n'est pas tant à ses troupes que le consul s'adresse qu'au spectateur et par là même à la postérité.

De la peinture d'histoire au portrait équestre

David ne représente pas la scène telle qu'elle s'est réellement passée : Bonaparte a traversé les Alpes non pas sur un cheval, mais sur une mule et avec l'assistance d'un guide. Il n'était pas enroulé dans une cape gonflée par le vent, mais vêtu d'une simple redingote. Il apparaît ainsi que le contexte historique n'est qu'un prétexte pour mettre en valeur la figure du chef de guerre et ses talents de meneur d'hommes. La peinture d'histoire devient portrait.

Le tableau s'inscrit dans la longue tradition du portrait du souverain ou du général à cheval, genre qui remonte à l'Antiquité [ image 2 ] et qui, revivifié à la Renaissance [ image 3 ], sera très prisé des chefs d'État de toute l'Europe à partir du XVIIe siècle [ image 4 ]. Comme c'est souvent l'usage dans les portraits équestres, le peintre met l'accent sur le geste de commandement. Il est ici particulièrement mis en valeur : le vent pousse la cape, la queue et la crinière du cheval dans la direction indiquée par Bonaparte et semble intimer l'ordre de le suivre.

Au service de la propagande

David s'éloigne de la tradition en représentant un cheval particulièrement cabré. Bonaparte se tient pourtant sur sa monture impassible et sans effort, ne se souciant ni du sol glissant, ni du ravin derrière lui. Son attitude assurée contraste avec celle des soldats qui peinent à progresser sur les sentiers verglacés. Conquérant et sûr de lui, Bonaparte donne l'impression de soumettre à sa volonté un monde hostile. C'est une image idéalisée et exaltée, qui présente Bonaparte en héros plein de fougue et de génie.

Tout dans le tableau en impose et concourt à l'efficacité de la représentation. Le format, d'abord : Bonaparte y apparaît grandeur nature. Ensuite la facture : les détails soigneusement représentés donnent à l'ensemble de la scène l'apparence de la réalité. Enfin la composition : elle est parfaitement structurée autour de lignes fortes qui se répondent (le geste de Bonaparte, le corps du cheval, les enrochements). Ainsi en dépit des libertés prises par David par rapport à l'événement historique, la scène paraît vraisemblable et sert un discours officiel destiné à convaincre que, placée sous la houlette de Bonaparte, la France est invincible. La propagande napoléonienne est déjà en marche. David en deviendra le plus célèbre héraut [ image 5 ].

Inscrire son nom dans l'histoire…

En franchissant le Grand Saint-Bernard avec son armée, Bonaparte renouvelait l'exploit accompli avant lui par Hannibal, le fin stratège qui avait défié Rome, et par Charlemagne, l'empereur qui était parvenu à unifier l'Europe. Dans l'angle gauche du tableau figurent trois noms gravés dans la pierre : Bonaparte, Annibal, Karolus Magnus [ détail c ]. Par ces inscriptions, Bonaparte semble revendiquer non seulement le courage et la sagesse de ces illustres chefs, mais aussi leur héritage. Avec le tableau de David, une légende commence à se construire en image. Nulle œuvre ne résonne mieux avec le vers de Victor Hugo, « Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte ».

L'événement sera traité de manière moins héroïque et plus prosaïque par Delaroche qui peint en 1848 Bonaparte franchissant les Alpes [ image 6 ]. Le contraste est saisissant entre les deux tableaux, l'un versant dans la légende, l'autre dans l'anecdote. Leur comparaison invite à s'interroger sur la force et le pouvoir des images, une question toujours d'actualité dans une société saturée d'images comme la nôtre.

Pour en savoir plus sur le contexte historique de la création de ce tableau, rendez-vous sur le site L'Histoire par l'image.

Isabelle Bonithon

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-premier-consul-franchissant-les-alpes

Publié le 17/11/2011

Ressources

Faire découvrir Napoléon aux juniors avec le site de la Fondation Napoléon

http://www.napoleon.org/fr/decouverte_junior/index.asp

Le Premier Empire raconté par les plus grands peintres sur le site de la Fondation Napoléon

http://www.napoleon.org/fr/essentiels/tableaux/premier_empire.asp

Glossaire

Néoclassicisme : Mouvement artistique qui se développe du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle. Renouant avec le classicisme du XVIIe siècle, il entend revenir aux modèles hérités de l’Antiquité, redécouverts par l’archéologie naissante. Il se caractérise par une représentation idéalisée des formes mises en valeur par le dessin.

Peinture d’histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.

Consulat : Régime politique français, né du coup d’État du 18 Brumaire (9 novembre 1799), qui met fin au Directoire. Promulguée le 13 décembre 1799, la Constitution dite de l’an VIII donne en théorie le pouvoir à trois consuls, Lebrun, Cambacérès et Bonaparte. Mais dans les faits, Bonaparte en vient à gouverner seul. Le Consulat prend fin avec son sacre, le 2 décembre 1804, sous le nom de Napoléon Ier.

Facture : Manière dont le peintre dépose la matière picturale.

Héros : Dans la Grèce antique, personnage le plus souvent issu de l’union d’une divinité et d’un mortel auquel on prête des aventures exceptionnelles. Associé à la vie locale, un culte est rendu sur son tombeau.