Le Tricheur à l’as de carreau La Tour Georges de

Le Tricheur à l’as de carreau

Dimensions

H. : 106 cm ; L. : 146 cm

Provenance

Paris, musée du Louvre

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1636-1640

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment le peintre arrive-t-il à convaincre le spectateur que des tricheurs sont à l’œuvre dans cette partie de cartes ?

Si Georges de La Tour est un des plus grands peintres français du XVIIe siècle, on ne sait presque rien de lui. Sa carrière reste énigmatique : on ne sait rien de sa formation, ni d’un éventuel voyage à Rome, capitale des arts à l’époque. Fils de boulanger, il naît près de Metz, en Lorraine, en 1593 image 3. Reconnu et apprécié de son temps, il tombe dans l’oubli après sa mort, survenue en 1652.
Ce tableau image principale a permis la redécouverte du peintre en 1915.
Une signature élégamment calligraphiée en bas à gauche de la toile, sur le bord de la table (« Giorgius De La Tour fecit »), atteste l’attribution image b.
Sa production est traditionnellement divisée en deux styles : diurne et nocturne. Le Tricheur à l’as de carreau image principale appartient à la première catégorie, qui se caractérise par le raffinement des couleurs et l’éclat de la lumière.

Une partie de cartes silencieuse

Deux hommes et deux femmes sont réunis dans une pièce, autour d’une table. Ils sont vus en gros plan, à mi-corps. Éclairés latéralement, ils se détachent sur un fond sombre. Leurs vêtements sont vivement colorés. Trois d’entre eux sont assis et jouent au jeu de prime, un jeu de cartes ancêtre du poker. Le quatrième est une servante qui apporte un verre de vin.
Les deux femmes sont côte à côte derrière la table, les deux hommes se font face. Tous sont élégants et semblent riches, à en juger par les pièces d’or posées sur la table.
Il se joue en fait sous nos yeux une action frauduleuse : trois personnes se sont associées pour dépouiller le quatrième de son or.
La victime image c est un tout jeune homme assis sur la droite. Il regarde son jeu avec concentration. Son visage poupin, son pourpoint richement brodé, son chapeau orné d’une magnifique plume nous disent qu’il s’agit d’un jeune homme de bonne famille égaré dans un milieu qui n’est pas le sien. Il ne remarque ni les regards en coin des deux femmes, ni le geste de l’homme de dos, à gauche, qui a tiré de sa ceinture un as de carreau.
Ce dernier est un tricheur image d, un pipeur comme on dit à l’époque. Il se retourne vers le spectateur, comme pour le prendre à témoin de sa ruse. Son visage est dans l’ombre, son pourpoint de couleur terne. Ses aiguillettes, les rubans qui attachent la manche à l’épaule, sont dénouées.
Au centre du tableau, une femme au visage parfaitement ovale nous fait face image e. Elle porte une robe très décolletée, un collier et des bracelets de perles. C’est sans doute une courtisane, les perles étant à l’époque un symbole d’immoralité. Son expression est étrange, inquiétante. Elle fait un geste de la main vers le tricheur et regarde obliquement la servante.
Celle-ci lui apporte un verre de vin qu’elle a tiré de la fiasque tenue dans sa main gauche image f. Elle est debout, de profil, et jette un coup d’œil en biais vers le tricheur. Le tableau ayant été agrandi par l’adjonction d’une bande de toile dans la partie supérieure, une plume a été rajoutée sur son turban.
Le dialogue furtif des gestes et des regards relie entre eux les trois complices, alors que leur proie semble isolée, absorbée par ses pensées.

Un thème caravagesque

Le thème de la tromperie se rattache à un répertoire introduit à Rome par le peintre Caravage à la fin du XVIe siècle. Lui-même l’emprunte aux Flamands, spécialistes de scènes de genre truculentes et moralisatrices.
Dans le tableau de ce maître intitulé Les Tricheurs image 1, ne figurent que des personnages masculins. Un jeune homme inexpérimenté est sur le point d’être berné par deux comparses. L’un d’eux observe son jeu par-dessus son épaule et renseigne par un geste de la main le tricheur. Ce dernier saisit une carte cachée dans sa ceinture, motif repris par La Tour dans le tableau du Louvre.
La différence réside dans l’immobilité et le sentiment d’attente silencieuse qui émanent du tableau de Georges de La Tour. Les gestes sont suspendus, seul le jeu des regards crée l’action. Le fond neutre et l’éclairage net donnent un aspect artificiel et théâtral.
On considère qu’une toile semblable de La Tour,Le Tricheur à l’as de trèfle image 2, est antérieure à celle du Louvre. Ce serait une première ébauche sur le thème. Les compositions sont proches, mais de nombreux éléments diffèrent : couleurs, lumière, détails et placement des personnages.
L’autre thème de la tromperie privilégié par les caravagesques est celui de la Diseuse de bonne aventure. Un jeune homme imprudent, désireux de connaître son avenir, est détroussé par une ou plusieurs bohémiennes profitant de son inattention. Le tableau de Georges de La Tour sur ce thème était peut-être le pendant du Tricheur à l’as de trèfle, image 2.
Georges de La Tour est considéré comme le plus grand peintre caravagesque français et le plus tardif. Sans quitter la Lorraine, il peut avoir eu connaissance des œuvres de Caravage par des copies, des gravures ou des toiles similaires de peintres de retour d’un séjour romain.

Un jeu de dupes

L’intention des peintres choisissant ce genre de sujet est clairement moralisatrice. Les questions religieuses, en particulier celle du salut, sont à l’ordre du jour depuis la Réforme.
La société et l’Église mettent en garde les hommes contre les dangers représentés par les plaisirs, principalement le jeu, le vin et le plaisir charnel. Ces trois tentations sont évoquées dans le tableau de La Tour.
Le jeu d’argent associé à la malhonnêteté est doublement condamnable. La tricherie pouvait même être punie d’excommunication.
La Parabole du fils prodigue racontée dans l’Évangile selon saint Luc est peut-être une des sources de l’inspiration du Tricheur à l’as de carreau.
Les costumes des tableaux caravagesques semblent ceux de personnages d’une pièce de théâtre ou de la littérature contemporaine. Ils sont colorés et voyants, alors que la mode de l’époque est au vêtement sombre d’inspiration espagnole. C’est un moyen de séduire le spectateur, tout en faisant la satire d’une réalité triviale.
Ces sujets trouvent en effet un écho dans la commedia dell’arte italienne et les romans picaresques espagnols. Dans ces derniers, le jeu est vu comme un symbole de la vie et de ses aléas.

Il est possible que Georges de La Tour, dont on ne connaît aucun portrait, se soit représenté sous les traits du tricheur, en raison de l’emplacement de sa signature sous le coude de celui-ci.
La peinture qu’il pratique est un art d’imitation. N’est-elle pas en elle-même une duperie ?

 

Colette Féraudet

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/le-tricheur-las-de-carreau

Publié le 26/07/2023

Ressources

Du peintre religieux au peintre de genre : Georges de la Tour - L'Histoire par l'image

https://histoire-image.org/etudes/peintre-religieux-peintre-genre-georges-tour

La notice de l'oeuvre sur le site web du musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010066276

Une biographie de l’artiste sur Wikipedia

https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_de_La_Tour

Glossaire

Scène de genre : Sujet de peinture qui présente la vie quotidienne en famille et en société.

Caravagisme : Courant artistique initié à Rome au début du XVIIe par Caravage, qui se caractérise principalement par des compositions sobres, clairement structurées, une représentation fidèle de la réalité et des effets de clair-obscur. On qualifie les peintres qui se rattachent à ce mouvement de « caravagesques ».

Pendant : on dit d'une œuvre qu'elle est un pendant quand elle a été réalisée pour répondre à une autre œuvre dans sa forme et dans son sujet.

Roman picaresque : Genre littéraire né en Espagne au XVIe siècle. Un roman picaresque se compose d’un récit sur le mode autobiographique racontant l’histoire de héros miséreux, généralement des jeunes gens vivant en marge de la société et à ses dépens (les picaros).