L'Enlèvement des Sabines Poussin Nicolas

L'Enlèvement des Sabines

Dimensions

H. : 159 cm ; L. : 206 cm

Provenance

Technique

Peinture

Matériaux

Huile sur toile

Datation

1637-1638

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

En quoi ce tableau illustre-t-il la rigueur des règles classiques et la violence du mythe de la fondation de Rome ?

Maître du classicisme français de la première moitié du XVIIe siècle, Nicolas Poussin a peint deux versions de L’Enlèvement des Sabines. Il est admis que le tableau conservé aujourd’hui au Metropolitan Museum est la première version image 1. Elle daterait de 1634-1635. Quelques années plus tard, le peintre exécute une variation de ce sujet, celle du musée du Louvre image principale, dans laquelle sa pensée est précisée et sa composition complexifiée. 

Un peintre d’histoire 

Nicolas Poussin puise le sujet de l’enlèvement des Sabines dans la lecture des auteurs anciens (Tite-Live, Plutarque, Virgile et Ovide). Peu après la fondation de Rome, pour peupler sa toute jeune cité, Romulus décide de s’emparer des femmes de ses voisins, les Sabins. Invités à un banquet, une trentaine de ses soldats reçoivent l’ordre d’enlever les Sabines. C’est le moment que peint Poussin. 

Romulus, en rouge, sur la gauche du tableau, domine la scène. Il relève d’un geste sa toge, c’est le signal qui commande l’enlèvement détail b. C’est le chaos parmi les Sabins : hommes, femmes, vieillards s’enfuient, se débattent, implorent le roi puissant détail c. Ce sujet peint par Poussin évoque un moment mythique de l’histoire de Rome, ses origines et son devenir. L’exercice de la peinture d’histoire est aussi d’accorder le style de la peinture à ce sujet noble. Dans cette deuxième version, le peintre a concentré son propos et précisé sa pensée. 

Une composition savamment étudiée 

L’artiste traduit le tumulte de la scène par de très nombreux personnages qui s’agitent dans tous les sens. Malgré cet effet visuel de panique, il a mûrement médité sa composition. En effet, Poussin organise son récit en trois temps, autour de l’enlèvement de trois Sabines. Le déroulement de l’action est servi par le jeu des positions, des gestes et des couleurs : une première Sabine en bleu à droite au premier plan est rattrapée dans sa fuite détail d, une autre à gauche, en bleu également, est soulevée du sol détail e et la troisième, au centre, est saisie et bientôt emportée par un cavalier détail f. Son vêtement jaune rime avec celui du Sabin effrayé au premier plan détail d

Autour de cet espace qui forme un triangle détail g peuvent alors prendre place les personnages secondaires, essentiels à la confusion. Le dispositif perspectif lui-même s’avère redoutable pour les Sabines : nulle échappatoire possible. En effet, en utilisant deux points de fuite, Poussin complexifie remarquablement son récit. Le premier, « réel », correspond aux lignes encore lisibles sous l’imprimatura. Un éclat de lumière sur le casque du cavalier au cheval blanc le plus à gauche de la composition souligne ce tracé, et répond à celui du casque tombé au premier plan, ce qui a pour effet «d’emprisonner » les personnages sur la scène détail g. Le deuxième point de convergence, « fictif », au centre, passe par l’arche au fond de la scène, dans le prolongement de la Sabine en jaune au bras levé. Irrésistible et dramatique point lumineux, destiné à entretenir l’illusion d’une délivrance possible, que nous savons tous désespérée détail g.

Un programme classique 

Poussin, contemporain du mathématicien Descartes et du dramaturge Corneille, lecteur d’Aristote, est convaincu comme ce dernier qu’un sujet élevé et des formes appropriées constituent le « beau idéal ». Parce que le peintre s’appuie sur la raison pour penser ses compositions, chacun de ses tableaux est l’objet d’une réflexion attentive dont témoignent ses secondes versions. Le peintre a besoin d’expérimenter plusieurs tableaux pour le même sujet au cours de sa carrière : c’est le cas ici, mais aussi pour, par exemple, L’Inspiration du poète image 2, et Et in Arcadia ego image 3

L’Enlèvement des Sabines du Louvre s’attache en effet, davantage encore que la version new-yorkaise image 1, à rendre lisible l’histoire. L’architecture dorique, à l’élévation stable, rythme la scène détail h. Les armures et vêtements rappellent l’Antiquité. Les expressions désespérées et les mouvements vains des Sabines enlevées par les Romains intiment la conviction du drame. Les lignes verticales et horizontales qui s’opposent aux obliques (pavement du sol détail i, l’utilisation de couleurs primaires jaune, bleu et rouge (pour les drapés) permettent d’articuler l’espace et de diriger le regard. Chaque élément de la composition rend lisible le discours du peintre. 

Le tableau représentant l’enlèvement des Sabines n’est pas autre chose qu’une méditation sur le devenir, puisque cette action violente s’avèrera nécessaire à la descendance du peuple romain. L’exigence du tableau s’accorde ainsi avec la rigueur du texte : « Il faut pouvoir lire le chaos », disait le peintre. 

Un théâtre en image 

Le peintre, racontent ses contemporains, utilisait une espèce de petit théâtre, une boîte dans laquelle il disposait des mannequins en cire, vêtus ou non, pour concevoir son tableau. Ce dispositif lui permettait d’étudier les positions des personnages, l’éclairage des figures, les ombres et les lumières, ce que nous montrent les dessins préparatoires image 4. C’est aussi pourquoi les personnages de Poussin obéissent à une typologie générale : femme, homme, jeune, vieux. Cette variation autour d’un même type est conforme à l’idéal du théâtre classique qui applique le principe de l’unité de temps, d’action et de lieu. La disposition et le rapport des figures entre elles d’une part, la gestuelle et l’expression des émotions (affetti) d’autre part, correspondent au cadre de la scène. 

Nicolas Poussin, source et modèle 

Bien que français, Nicolas Poussin a passé l’ensemble de sa carrière à Rome. Son œuvre connaîtra néanmoins une postérité sans précédent dans l’art français. Lorsqu’il est Premier peintre du roi Louis XIII en 1641, ses tableaux sont commentés lors des séances de la future Académie royale de peinture et de sculpture. Ils inspireront des générations de peintres classiques, de David à Ingres , jusqu’à Picasso au XXe siècle. C’est à Cézanne, sans doute, que l’on doit le plus émouvant témoignage de reconnaissance envers le peintre, lui qui confiait à Joachim Gasquet : « Toutes les fois que je sors de chez Poussin, je sais mieux ce que je suis. » L’un comme l’autre ont passionnément cherché à exprimer par la peinture, par le jeu des formes et des couleurs, le monde intérieur et ardent qui les animait. La quête d’un équilibre entre le frémissement de la sensibilité et la perfection de la forme les marque l’un et l’autre. Ils ont aussi en commun une vie de travail exigeant, faite de lenteurs et de méditations. 

Ainsi, Poussin disait au soir de sa vie : « Je n’ai rien négligé. »

Mots-clés

Sabine Barbé

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/lenlevement-des-sabines

Publié le 30/10/2025

Ressources

Notice de l'oeuvre sur le site web du musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010062438

Une réflexion sur Poussin et une analyse détaillée du tableau, comprenant des exemples de tracé perspectif (ce texte se trouve à la fin de l’ouvrage Nicolas Poussin : lettres et propos sur l’art, éd. Anthony Blunt, Paris, Hermann, 1989

http://etyen.be/sites/default/files/professeur/arikha_poussin.pdf

Une étude de L’Histoire par l’image consacrée à Louis XIII et Poussin

https://histoire-image.org/etudes/louis-xiii-poussin

Un article de GrandPalaisRmn consacré à Nicolas Poussin

https://www.grandpalais.fr/fr/magazine/nicolas-poussin-1594-1665

« Pourquoi Nicolas Poussin peignait-il avec des boîtes ? », un épisode du podcast France Culture Ouh là l’Art !, 1mn

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/ouh-la-l-art/pourquoi-nicolas-poussin-peignait-il-avec-des-boites-2933306

Glossaire

Académie (institution) : L’Académie royale de peinture et de sculpture est fondée en 1648. En 1816, l'Académie des beaux-arts est créée par la réunion de l’Académie royale de peinture et de sculpture, de l’Académie de musique (fondée en 1669) et de l’Académie d’architecture (fondée en 1671).

Imprimatura : Mot italien désignant une première couche picturale, généralement de couleur brune. Appliquée de manière uniforme sur le support préalablement préparé, elle le protège et sert de base à la peinture proprement dite.

Peinture d’histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.

Perspective : Technique qui permet de représenter l’espace et les objets avec de la profondeur et des volumes sur une surface plane pour donner l’illusion de la troisième dimension.