Les Foins Bastien-Lepage Jules
Les Foins
La Sieste d’après Millet
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L’œuvre artistique peut-elle être considérée comme un témoignage historique fidèle de l’époque à laquelle elle est créée ?
Lorsque Jules Bastien-Lepage aborde la représentation de cette scène campagnarde, intitulée Les Foins image principale, il peint déjà depuis une dizaine d'années. Fils de Lorrains, il est arrivé à Paris en 1867 et a intégré l'atelier du maître académique Alexandre Cabanel l'année suivante. Travaillant d'abord sur des sujets historiques puis sur des portraits de notables image 1 qui lui amènent une reconnaissance, il délaisse peu à peu ces thèmes au profit d'un univers plus simple, le monde paysan, qu'il connaît bien.
Un poème comme source d'inspiration
Le sujet de cette toile s'inspire d'un poème d'André Theuriet, un ami de Bastien-Lepage, dont la mère est aussi originaire de la Lorraine. Cet écrivain aime célébrer la nature, souvent avec lyrisme.
Les quelques vers suivants décident le peintre à composer une œuvre mettant en scène un couple de paysans pour magnifier le repos après le labeur dans une nature accueillante :
Midi !... les prés fauchés sont baignés de lumière.
Sur un tas d'herbe fraîche ayant fait sa litière,
Le faucheur étendu dort en serrant les poings.
Assise près de lui, la faneuse hâlée
Rêve, les yeux ouverts, alanguie et grisée
Par l'amoureuse odeur qui s'exhale des foins.
Un monde rural pour modèle
Pour représenter le monde rural, l'artiste se tourne tout naturellement vers son village de Damvillers, où ses parents possèdent une ferme. À la manière de Gustave Courbet qui fait poser les habitants de sa ville natale dans Un enterrement à Ornans, son chef-d'œuvre réaliste de 1850, Bastien-Lepage prend pour modèles des membres de son entourage. Ainsi, son grand-père pose pour la figure du faucheur allongé, et une de ses cousines prête ses traits à la jeune paysanne épuisée.
Bastien-Lepage opte pour une composition au cadrage resserré sur les personnages en remontant la ligne d'horizon au plus haut image b. Les foins coupés, qui donnent son titre au tableau, n'apparaissent qu'à l'arrière-plan.
Étonnamment, le peintre semble utiliser deux méthodes différentes : l'une, précise et détaillée, décrit les personnages, leurs expressions et leurs costumes, tandis que l'autre, plus suggestive, retranscrit l'atmosphère de la journée et campe au loin le paysage.
Une petite esquisse image 2 nous dévoile une première idée de composition assez différente, que le peintre retravaille pour mieux montrer la réalité.
La jeune femme se présente finalement de trois quarts. Son visage image c arbore une expression comme hébétée sous l'effet de la fatigue, les yeux perdus dans le vague. Assise dans l'herbe, elle se présente le dos voûté, bras et mains reposant inertes sur la toile grossière de sa jupe, les jambes écartées, sans aucun artifice. Elle ne pose pas et cherche encore moins à paraître à son avantage. Ses chaussures usées image d sont décrites de manière quasi photographique le peintre, qui représente jusqu'à la boue qui les couvre, ne cherche pas à cacher la réalité de la vie paysanne.
À l'arrière, l'homme dort, le visage protégé par son chapeau de paille qui l'isole un moment du travail fourni et du monde qui l'entoure. C'est le temps du repos et de l'oubli.
Un succès au Salon
Bastien-Lepage décide de présenter cette scène paysanne d'un format imposant (presque 2 m de largeur) au Salon de 1878. L'envoi est accompagné d'un portrait d'André Theuriet image 3.
La critique s'enthousiasme. Zola, qui reconnaît son talent, s'inquiète en même temps de ce succès et va jusqu'à déclarer : « Tous les créateurs ont rencontré au début de leur carrière une forte résistance, c'est une règle absolue, qui n'admet pas d'exception mais lui on l'applaudit, mauvais signe. » L'homme de lettres, qui publiera quelques années plus tard un roman consacré au monde paysan, La Terre, voit dans cette toile ce qu'il cherche à décrire en littérature. Pour lui, Bastien-Lepage devient le peintre du naturalisme, un courant artistique qui livre une description de la société sans concessions au beau ni à l'idéal. Ici, les détails et les attitudes paraissent si justes qu'ils contribuent à faire de ce tableau un portrait vivant du monde paysan, alors en pleine mutation.
La carrière du jeune peintre est désormais assurée. Malheureusement, il décède prématurément à l'âge de 36 ans. Son ami Auguste Rodin, répondant à une souscription lancée par le frère de l'artiste, lui rend alors hommage en réalisant une sculpture à son effigie image 4 pour son village natal, Damvillers.
L'évolution de la représentation du monde paysan
Depuis les célèbres frères Le Nain au XVIIe siècle jusqu'à Vincent Van Gogh à la fin du XIXe siècle, la représentation du monde paysan est un thème récurrent dans la peinture. S'il pousse toujours le peintre à se rapprocher de la réalité, celle-ci est parfois savamment mise en scène au XVIIe siècle, et dissimule un message qu'il faut interpréter au-delà de la condition paysanne.
Au XIXe siècle, les œuvres de Bastien-Lepage, comme Les Foins, donnent lieu au contraire à une véritable recherche d'authenticité.
En 1866, dans La Méridienne image5, Millet présente une vision respectueuse de ces travailleurs aux champs, légitimement fatigués, se reposant côte à côte. Vincent Van Gogh s'inspire de l'image proposée par son aîné et, entre 1889 et 1890, en propose une version renouvelée image 6 : le sujet paysan et le couple apaisé deviennent prétexte à une explosion de couleurs, dominées par le jaune et le bleu, sans rapport avec la réalité.
Au cœur de ce XIXe siècle partagé entre le monde moderne né de l'industrialisation et la vie traditionnelle dans les campagnes, Bastien-Lepage choisit de montrer des paysans certes fatigués mais vertueux. Simples, ignorants sans doute, ils sont néanmoins les figures triomphantes du nécessaire travail de la terre nourricière.
Véronique Duprat-Roumier
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/les-foins
Publié le 05/08/2020
Ressources
La notice de l’œuvre sur le site du musée d’Orsay
Un podcast sur l’œuvre dans l’émission Un musée dans l’oreille sur le site de France Inter
Glossaire
Composition : Manière de disposer des figures, des motifs ou des couleurs dans l’élaboration d’une œuvre.