Les Maqâmât (Le Livre des séances) d'al-Harîrî al-Wasiti

Al-Hârith se rend à la mosquée pendant les festivités de la fin du mois de ramadan

Auteur

Dimensions

H. : 37 cm ; L. : 28 cm

Provenance

Lieu de création : Irak

Technique

Miniature

Matériaux

Manuscrit à peintures

Datation

1237

Lieu de conservation

France, Paris, Bibliothèque nationale de France (BNF)

Comment les Maqâmât donnent-elles vie au monde quotidien du Proche-Orient médiéval ?

Les Maqâmât (« séances »), genre de la littérature arabe classique, apparu au Xe siècle, sont de courts récits en prose rimée. Les Maqâmât de l’Irakien al-Harîrî (1054-1122) racontent les aventures d’ Abû Zayd image 3, vagabond rusé et beau-parleur, qui parvient à escroquer de nombreuses personnes ; ses rencontres nous décrivent de manière très vivante et avec humour le monde arabo-persan de l’époque.

Un manuscrit précieux

Le livre conservé à la B.N.F. a été rapporté de Perse par l’orientaliste Charles Schefer, au XIXe siècle. Il est l’œuvre de Yahyâ ibn Mahmûd al-Wâsitî, copiste et peintre à Bagdad, qui a signé et daté (1237) son manuscrit dans un colophon. 99 peintures y illustrent 50 Maqâmât. L’ouvrage a connu un grand succès et a été plusieurs fois copié.

Cet exemplaire rehaussé d’or comporte deux représentations de souverain trônant image 1 image 2, qui suggèrent que le manuscrit a été commandé par un prince.

Le personnage d’Abû Zayd

Le héros, souvent escorté d’un marchand naïf (et narrateur des Maqâmât), al-Hârith parcourt le monde islamique de Damas à Samarcande image 13. Homme d’âge mûr, Abû Zayd apparaît souvent en homme âgé, travestissement qu’il utilise pour tromper ses interlocuteurs ; il porte alors une barbe blanche et il est souvent vêtu de bleu clair image 3 image 4. Cependant, même quand il se présente comme un mendiant, il est aussi élégant que ses riches auditeurs. Il est coiffé d’un turban se prolongeant à l’arrière par une longue bande d’étoffe, selon la mode bagdadie du début du XIIIe siècle image 5. Son costume se compose d’une cape portée sur une robe longue d’où dépassent des sous-vêtements blancs en tissu fin, caractéristiques de l’aristocratie du sud irakien de l’époque image 6. De plus, sa manche arbore un tirâz détail b, c’est-à-dire une bande décorative en tissu, brodée au nom du calife. Al-Wâsitî rend compte ainsi de l’engouement, en son temps, pour les étoffes luxueuses : bien que l’islam prône la simplicité, l’Irakien raffiné dépense beaucoup en brocarts.

Mais l’artiste veut peut-être également honorer al-Harîrî (« le Soyeux ») et son texte qui compare souvent la prose rimée à de la broderie.

Le style expressif d’al-Wâsitî

Le peintre s’applique à servir au mieux le langage savoureux d’al-Harîrî et à montrer combien les discours de son héros peuvent fasciner un auditoire. Ce dernier prend souvent la forme d’un groupe d’hommes assis en tailleur sur le sol, serrés les uns contre les autres comme les « dents d’un peigne » (selon le texte), et écoutant attentivement Abû Zayd image principale image 7.

Les visages sont peu individualisés mais l’expressivité est valorisée, à travers les mimiques et les gestes des protagonistes ; les mains disproportionnées jouent un grand rôle pour appuyer les propos du héros, qui désigne souvent d’autres personnages, ou pour révéler les réactions de ses interlocuteurs ; ainsi, certains portent leur index à leur bouche en signe d’étonnement, attitude appelée « main de stupeur » en persan ; ceci arrive au marchand al-Hârith quand il découvre que l’aveugle qui entre dans la mosquée pour y quémander une aumône n’est autre qu’Abû Zayd feignant la cécité détail b.

Une peinture de la vie irakienne au Moyen Âge

Abû Zayd recherche tous les rassemblements où il pourrait exercer ses dons oratoires. Il fréquente donc tous les lieux publics (taverne, marché…), évoqués sommairement mais efficacement par al-Wâsitî : la mosquée est représentée par le mihrab et le minbar de sa salle de prière image principale, la bibliothèque par les étagères sur lesquelles s’empilent les livres image 7, etc. Il voyage de ville en ville, parfois en bateau image 8, ou en intégrant un groupe de pèlerins partant pour La Mecque image 9.

Une peinture le montre à l’entrée d’un village avec son ami al-Hârith image 5. Tous deux, montés sur des dromadaires, s’adressent à un homme debout sur la gauche. L’arrière-plan décrit la vie du village : on y voit une mosquée à dôme bleu, un bazar à coupoles avec ses marchands, une femme filant la laine, des animaux domestiques – un coq par exemple –, un palmier dattier. Cette miniature est une des très rares peintures du Moyen Âge arabe associant campagne et animaux.

Al-Wâsitî, peintre des camélidés

De fait, dans ses peintures, l’artiste s’attarde davantage sur la représentation animalière que sur les personnages. Il montre des chevaux image 10, des oiseaux, des singes, des poissons image 11, ainsi que des dromadaires, animal favorablement cité dans le Coran.C’est la monture préférée d’Abû Zayd qui, dans le texte d’al-Harîrî, précise qu’il a fait venir sa chamelle du Yémen image 13, pays réputé pour l’élevage d’excellents dromadaires. Par ailleurs, l’artiste montre combien cet animal est indissociable du quotidien arabe, présent en toutes circonstances image 9. Al-Wâsitî le dessine avec une exactitude résultant probablement de l’observation directe, et peut-être d’une connaissance des dessins de zoologie produits par les peintres animaliers de Bagdad image 12. Les expressions, y compris humoristiques, qu’il lui donne, n’ont rien à envier à celles des humains.

Car le style d’al-Wâsitî va à l’essentiel dans des compositions allégées par un trait souple, des attitudes et des couleurs variées. Ainsi, ces Maqâmât sont considérées comme un chef-d’œuvre de la peinture arabe médiévale.

Sylvie Cuni-Gramont

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/les-maqamat-le-livre-des-seances-dal-hariri

Publié le 23/09/2024

Ressources

Le manuscrit numérisé, à feuilleter, sur le site web de Gallica

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8422965p/f211.planchecontact

Un article de recherche portant sur la représentation visuelle du personnage d’Abû Zayd, notamment dans le manuscrit illustré par al-Wâsitî

https://journals.openedition.org/anisl/3080

Un article sur l’origine des peintures d’al-Wâsitî du Maqâmât d’al-Harîrî

https://www.persee.fr/doc/horma_0984-2616_1998_num_35_1_1632

Glossaire

Mihrab : Dans une mosquée, il s’agit le plus souvent d’une niche en forme d’abside vers laquelle les fidèles se tournent pour prier. Cet élément architectural indique la direction de la Mecque.

Minbar : À côté du mihrab, sorte de chaire sur laquelle le guide de la prière (imam) peut se tenir pour prêcher.

Colophon : Note au bas d’un manuscrit ou d’un livre indiquant le nom de l’auteur, la date, etc.