Milon de Crotone Puget Pierre
Milon de Crotone
Trois quarts droit
Auteur
Dimensions
Provenance
Technique
Matériaux
Datation
Lieu de conservation
En quoi, l’œuvre de Pierre Puget est-elle atypique dans la sculpture française du XVIIe siècle ?
Cette sculpture image principale, ornait, dès 1682, les jardins de Louis XIV à Versailles. À la différence des autres sculptures du parc, elle a été réalisée par un artiste qui ne faisait pas partie du cercle des proches du roi.
Pierre Puget, né à Marseille, loin de la Cour, est d'abord formé à la sculpture sur bois par un charpentier de marine. Plus tard, son talent le fait remarquer par l'administration royale, et notamment Nicolas Fouquet, alors surintendant des Finances. Celui-ci lui confie la surveillance de l'extraction des blocs de marbre en Italie destinés aux décors royaux, ce qui est une marque de confiance, le marbre étant un matériau noble et onéreux. En 1668, Puget est chargé de diriger les équipes de sculpteurs de la marine royale à Toulon. Il travaille à l'ornementation des navires sous la direction lointaine de l'administration, les projets étant souvent issus de l'atelier de Charles Le Brun, qui dirige les équipes d'artistes travaillant pour le roi. À Toulon, Puget remarque trois blocs de marbre de Carrare inutilisés et demande à Jean-Baptiste Colbert l'autorisation de les exploiter. En sculptant dans ces blocs trois œuvres majeures du règne de Louis XIV, Milon de Crotone image principale, L'Enlèvement d'Andromède par Persée image 1 et Alexandre et Diogène, l'artiste montre toute la mesure de son talent. Il a alors cinquante ans.
Une grande liberté de travail
La réalisation de Milon de Crotone, commandé en 1670, témoigne de la confiance de Colbert envers le sculpteur provençal. En effet, contrairement à la règle, Puget peut choisir librement son sujet et décider de sa composition, sans avoir à suivre un des modèles fournis par Le Brun, directeur de la manufacture royale des Gobelins, aux artistes, tant peintres que sculpteurs, qui œuvrent au service du roi. Cette autonomie accordée à Puget est une marque d'estime d'autant plus grande que le marbre de Carrare est un matériau onéreux. Il est rare qu'un artiste bénéficie d'une telle liberté.
En pleine maturité de son art, Puget fait preuve de virtuosité et d'originalité par le sujet qu'il choisit et par le style. Il fournit un dessin préparatoire de son projet image 2 et obtient l'accord de l'administration pour le mettre en œuvre. Il s'écoule douze années entre la commande et la livraison à Versailles en 1682.
Milon, un sujet ambivalent
Milon de Crotone, athlète plusieurs fois vainqueur aux jeux olympiques, se lance le défi de fendre un tronc d'arbre à la seule force de sa main. Celle-ci se retrouve prisonnière du bois [détail b], laissant le héros à la merci des bêtes sauvages. Il est finalement dévoré par un loup, que le sculpteur a ici remplacé par un lion.
Si l'histoire évoque un héros grec, la sculpture de Puget le montre en situation de faiblesse et d'échec, ce qui est exceptionnel dans la production artistique royale. En effet, à Versailles, la représentation d'un mythe renvoie la plupart du temps à la glorification du souverain, notamment à travers les figures d'Hercule et d'Apollon. Ici, il est difficile d'identifier le héros au roi. Le sujet choisi par Puget met en valeur le caractère éphémère de la gloire et de la puissance, véritable mise en garde contre l'orgueil et la vanité des puissants. Loin d'être outré de ce qui aurait pu apparaître comme une impertinence, Louis XIV fait placer la sculpture à un endroit stratégique dans les jardins de Versailles, avec le groupe de L'Enlèvement d'Andromède par Persée image 1, devant le Tapis vert qui conduit directement au bassin d'Apollon.
L'art du détail
S'il interprète le mythe en transformant le loup en lion, Puget ne néglige pas les détails permettant à un œil averti de reconnaître le thème illustré par sa sculpture. Rien n'est laissé au hasard, comme la présence d'une écuelle aux pieds du personnage, symbole des prix qu'il a gagnés aux jeux athlétiques. Milon, dans la force de l'âge, est présenté comme un athlète parfaitement musclé, ce qui permet à l'artiste de montrer sa connaissance de l'anatomie, fondement de la pratique artistique de l'époque. La crispation des orteils, le gonflement des veines décrivent une grande tension physique, tandis que la déformation du visage souligne la douleur de l'athlète piégé détail c. Le pelage du lion détail d est détaillé avec précision, de même que le tronc d'arbre. La lumière joue sur ces surfaces diversement travaillées.
Une œuvre virtuose
Outre la qualité technique du traitement des surfaces, la sculpture de Puget est un défi aux lois de l'équilibre. Pour évoquer la tension de l'homme qui tente de se délivrer du tronc, le sculpteur organise le corps de Milon autour d'un mouvement en zigzag. Pour cela, l'artiste évide le centre du bloc de marbre initial et utilise comme contrepoids le tronc d'arbre et le corps du lion, dressé sur ses pattes postérieures dans une posture étrange détail d. Le calcul de l'équilibre des masses d'une sculpture en pierre est un élément essentiel à la réussite d'une œuvre. Ici, Puget fait un choix audacieux qui pouvait conduire au déséquilibre de l'œuvre.
Puget, un sculpteur baroque ?
Milon de Crotone offre un contraste frappant avec la sculpture versaillaise contemporaine. Privilégiant le mouvement et une forte expressivité, Puget se démarque de la sérénité et du calme qui émanent de grands chefs-d'œuvre comme Apollon servi par les Nymphes image 3 de François Girardon et Thomas Regnaudin.
Par ses origines provençales, Puget est très tourné vers l'Italie, référence absolue des artistes de cette période. Il y séjourne longuement à deux reprises et s'approprie certaines caractéristiques de la Rome baroque dominée par Le Bernin, architecte et sculpteur au service des princes italiens qui développe un art virtuose caractérisé par le déséquilibre et le mouvement image 4. Puget est le premier sculpteur français à rivaliser avec lui et à introduire à la Cour une nouvelle conception stylistique issue de l'étude du travail du Bernin et de Michel-Ange, alors que l'administration royale privilégiait l'expression de la noblesse et du contrôle de soi.
Isabelle Bonithon
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/milon-de-crotone
Publié le 26/11/2018
Ressources
« Le Milon de Crotone de Puget », un article de Guy Walton
http://provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1972-22-088_05.pdf
Cours Marly et Puget
https://www.louvre.fr/decouvrir/le-palais/lumiere-sur-la-sculpture
La biographie de Puget sur le site du château de Versailles
Le dossier de mécénat du château de Versailles replaçant l’œuvre dans son contexte
http://www.chateauversailles.fr/resources/pdf/fr/mecenat/dossier-puget.pdf
Glossaire
Gobelins : Manufacture de meubles et de tapisseries créée à Paris sous Louis XIV, dont Charles Le Brun fut le premier directeur. Institution royale puis nationale, elle conserve et produit encore aujourd’hui des pièces destinées à l’ameublement des palais de la République.
Mythologie : Ensemble des croyances et des récits liés aux religions non monothéistes.