Portrait de Delacroix Nadar
Eugène Delacroix
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Quel rapport entre portrait photographique et portrait peint ? Quelles relations peut-il se nouer entre le peintre et le photographe ?
Dans les années 1850, Félix Tournachon dit Nadar assoit sa position de photographe-portraitiste. La qualité de son travail lui vaut bientôt de réaliser les portraits d'artistes et de personnalités les plus en vue. En 1858, Eugène Delacroix se prête au jeu et accepte de poser devant l'objectif de Nadar [ image principale ].
Talent et sens du commerce
La photographie se démocratise et se banalise, les petits studios bon marché se multiplient. Nadar cherche à valoriser le portrait photographique, en lui conférant des qualités esthétiques comparables à celles d'une peinture. De par leur caractère mécaniquement reproductible, les photographies ne peuvent être des œuvres uniques, mais tout en les commercialisant, Nadar tient à préserver leur valeur artistique. En stratège astucieux, il développe un concept simple et ambitieux : photographier les célébrités de son temps pour se faire connaître. Pour cela, il exploite son carnet d'adresses. Ses amis défilent dans son studio : des écrivains comme Baudelaire ou Jules Verne [ image 2 ], des peintres comme Daumier ou Doré [ image 1 ], des musiciens ou des comédiens comme Offenbach ou Sarah Bernhardt [ image 3 ]... mais aussi bientôt des chefs d'État et de nombreux représentants de la noblesse française.
Un portrait contesté
Chez Nadar, la clientèle est choyée. Alors que ses assistants se chargent des préparatifs techniques, il reçoit en maître des lieux, discute, amuse, suggère des positions, des attitudes. Il règle l'éclairage pour obtenir des contrastes qui vont renforcer la présence du modèle. Il ajuste le costume pour mieux mettre en scène le personnage. Pourtant, la rencontre entre Nadar et Delacroix se solde par un échec. Le peintre, alors au sommet de sa gloire, est déçu par son portrait photographique et demande même à Nadar de détruire le cliché : « Monsieur, je suis si effrayé du résultat que nous avons obtenu, que je viens vous prier dans les termes les plus insistants et comme un service que je sollicite d'anéantir les épreuves que vous pouvez avoir ainsi que le cliché. »
Ce n'est pourtant pas le premier portrait photographique de Delacroix et ce ne sera pas le dernier. De nombreux photographes ont livré des images, intimes ou officielles, du grand peintre : Léon Riesener son cousin, Louis Nicolas Pillas [ image 4 ], Pierre Lanith Petit [ image 5 ], Étienne Carjat... Pourquoi Delacroix refuse-t-il alors le portrait de Nadar ? Les stigmates laissés par la maladie et la fatigue y apparaissent-ils de manière trop évidente ? Se reconnaît-il dans ce visage ainsi altéré ?
Malgré les injonctions de Delacroix, la revue L'Artiste publie le portrait en 1859.
De la peinture à la photographie
Lorsque Delacroix fait son autoportrait [ image 6 ], il manipule et embellit sa propre image. En quelques coups de pinceaux, il exprime sa nature énergique, volontaire et libre. Le portrait photographique ne permet pas le même contrôle. Sur la photographie de Nadar, Delacroix apparaît en grand bourgeois vieillissant, un rien hautain et arrogant. Pourtant, les principes adoptés par Nadar découlent de la peinture : la pose de trois quarts, le cadrage à mi-corps, le fond neutre. Le photographe joue avec la lumière qui éclaire le visage et le met en valeur. Dans ce portrait, rien ne révèle la fonction du modèle et Delacroix apparaît comme un notable. Détail curieux et significatif : les mains créatrices de l'artiste sont cachées dans le costume.
Une technique maîtrisée
Nadar explore et expérimente des procédés photographiques : du négatif à la composition chimique des bains, rien ne lui échappe. Dans les années 1850-1860, il opte pour la technique du négatif sur verre au collodion humide, qui permet d'opérer en quelques secondes, de réduire les temps de pose, et ainsi de mieux saisir l'expression d'un visage. Il est surtout l'un des premiers à tirer parti des effets que l'on peut obtenir en travaillant sur la lumière. Parallèlement à ses expériences d'éclairage en studio, il réalise des photos aériennes [ image 7 ].
L'art du photographe
« La théorie photographique s'apprend en une heure les premières notions de pratique, en une journée... Ce qui ne s'apprend pas, je vais vous le dire : c'est le sentiment de la lumière, c'est l'appréciation artistique des effets produits par les jours divers et combinés… Ce qui s'apprend encore moins c'est l'intelligence morale de votre sujet, c'est ce tact rapide qui vous met en communication avec le modèle, et vous permet de donner, non pas... une indifférente reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire, mais la ressemblance la plus familière, la plus favorable, la ressemblance intime. C'est le côté psychologique de la photographie, le mot ne me semble pas trop ambitieux. »
Ce tact rapide à l'égard du modèle, Nadar ne l'a peut-être pas eu avec Delacroix. Les deux hommes restent sur un malentendu.
Mais celui qui a inspiré à Jules Verne son Ardan (anagramme de Nadar) dans De la Terre à la Lune est surtout devenu la figure emblématique de la photographie érigée en art. Plus qu'une vogue, ses portraits forment le socle d'une discipline à part entière, qui poursuit son cheminement aujourd'hui encore.
Sonia Brunel
Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/portrait-de-delacroix
Publié le 18/10/2011
Ressources
Baudelaire, un ami de Nadar
L’exposition Nadar du musée du Jeu de paume : petit journal téléchargeable
http://www.jeudepaume.org/pdf/PetitJournal_Nadar.pdf?PHPSESSID=5bc702170d85a3d9d6a8f18f89ef6784
Le premier reportage photographique : Chevreul et Nadar
Glossaire
Collodion humide : Solution dont la composition a été inventée au milieu du XIXe siècle et qui est rapidement exploitée en photographie. Il est d’abord appliqué sur une plaque de verre, puis associé à un produit chimique sensible à la lumière. Il permet de créer un négatif sur la plaque de verre.