Princesse de Bactriane

Princesse de Bactriane

Auteur

Dimensions

H. 18,1 cm ; L. 14,4 cm ; Pr. : 16 cm

Provenance

Lieu de fabrication : Asie centrale - Lieu de découverte : Bactriane

Technique

Sculpture

Matériaux

Calcaire, Serpentine

Datation

2500-1800 av. J.-C. - Bronze ancien, Civilisation de l'Oxus

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Les Princesses de Bactriane sont-elles des souveraines ou des déesses ?

Cette statuette féminine image principale appartient à une série de petites sculptures de la civilisation de l’Oxus, qui, de 2300 à 1700 environ av. J.-C, s’est épanouie en Asie centrale, dans le sud du bassin de l’Oxus (fleuve appelé aujourd’hui Amou-Daria). Son territoire couvrait surtout deux régions nommées, durant l’Antiquité, Bactriane et Margiane, et correspondant respectivement au nord de l’actuel Afghanistan et au sud de l’actuel Turkménistan image 6.

À l’époque, la civilisation de l’Oxus tire une partie de sa richesse du commerce des métaux précieux (or, argent) et des pierres semi-précieuses (lapis-lazuli afghan).

Une statuette composite

Cet exemplaire est plus grand que la plupart des quelque 70 statuettes conservées jusqu’à aujourd’hui et appelées Princesses de Bactriane. Celles-ci sont constituées de petits éléments en pierre emboîtés détail b détail c (avec parfois utilisation d’une colle rouge) et généralement de deux couleurs différentes.

Ainsi, les chairs claires en calcite contrastent avec le costume fait en pierre bleu-vert : serpentine ici, stéatite ou chlorite pour d’autres figurines. Cependant, à cette harmonie de base bleue et blanche pouvaient s’ajouter, en quantité moindre, les teintes d’éléments rapportés (en métal ou en pierre) : diadème, bracelets, broderie du vêtement ; bien qu’ils soient souvent disparus aujourd’hui, leur présence est attestée par des traces d’entailles. La tête de cette Princesse, au nez fort et busqué et à la petite bouche étroite, paraît schématique détail c, mais il est possible que ses traits aient été précisés autrefois avec de la peinture (qui subsiste sur des statuettes analogues, pour les yeux, les sourcils …). Elle est coiffée d’un élément en serpentine difficile à identifier : turban plat ou chevelure ramenée sur le haut du crâne ?

Le vêtement de la statuette

Sa robe-manteau à manches bouffantes présente un motif répété de languettes évoquant le kaunakès porté pendant l’Antiquité en Mésopotamie (actuel Irak), c’est-à-dire un vêtement montrant des sortes de « mèches » qui ont pu être les poils d’une fourrure (peau de mouton, de chèvre…), ou des touffes de laine fixées sur une étoffe, ou bien encore le décor en relief d’un tissu.

Mais, pour ces Princesses de l’Oxus, le kaunakès s’évase de manière extraordinaire, évoquant les robes à crinoline des Françaises du Second Empire . Cet effet est amplifié à l’arrière détail d par une sorte de dédoublement du kaunakès constituant un épais volant ou châle asymétrique sur le haut de la jupe. Cette dernière est entièrement bordée de franges et, à l’avant, au niveau de la taille, forme une sorte de plate-forme creusée d’encoches où se logeaient probablement les avant-bras et les mains en calcite (encore présents sur des statuettes similaires) détail e. Au-dessus, le corsage, reprenant de façon originale le principe de l’asymétrie, est fait de deux panneaux verticaux aux décors différents : celui couvrant la moitié gauche du buste montre de grosses languettes, tandis que celui sur la droite présente des mèches plus petites détail e ; ces motifs distincts se poursuivent sur les manches pour se rejoindre dans le dos en croisant leurs panneaux détail f. Le large décolleté carré laisse dépasser le haut d’un vêtement de dessous, une chemise ou une sous-robe détail e.

Une déesse…

La plupart des statuettes montrent la femme assise image 1 , mais ici elle est debout ; cette attitude renforce l’allure distinguée et majestueuse qui a fait dénommer ces dames Princesses de Bactriane. Cette appellation traditionnelle a été remise en question. Aujourd’hui, des historiens d’art pensent que la femme évoquée serait la divinité majeure de la religion centre-asiatique, la Grande Déesse. C’est elle qui, protectrice de l’ordre naturel, distribue l’eau nécessaire à la vie, favorise fertilité et fécondité et maîtrise les forces sauvages, lesquelles prennent la forme d’animaux redoutables : dragons, lions, rapaces, serpents…

Bien que sa représentation n’ait pas été précisément codifiée, on peut l’identifier sur certains objets, notamment sur des sceaux en or et en argent, matériaux précieux correspondant à l’importance de la déesse image 2. Habillée d’un long kaunakès, elle domine sereinement des animaux sauvages et peut porter des chevreaux évocateurs de fécondité. Étant donné que de nombreuses statuettes proviennent de tombes, ces représentations de la grande déesse ont pu avoir été placées là pour protéger le mort.

… ou une reine divinisée

Cependant, dans ces représentations sûres de la Grande déesse, le vêtement n’a pas l’ampleur caractérisant celui de la majorité des statuettes de l’Oxus. Ce kaunakès en « crinoline » figure sur d’autres objets de la même région, mais porté par des femmes qu’il est difficile de qualifier comme des déesses image 3. On le retrouve sur des sceaux-cylindres du royaume d’Élam (sud-ouest de l’Iran, image 7), habillant des reines divinisées du début du IIe millénaire av. J.-C. image 4. La production des figurines de l’Oxus ayant débuté plus tôt, il est possible que les souveraines élamites leur aient emprunté leur costume pour marquer leur accès à la déification ; cela confirmerait que les Princesses de Bactriane sont bien des déesses …

Mais cette identification reste débattue, de même que leur mise en relation avec les statuettes également composites, mais masculines, de Balafrés image 5 : le visage traversé par une cicatrice, ils sont la personnification du redoutable dieu-dragon qui retient, dans le récipient qu’il porte, l’eau indispensable au renouveau de la nature. La Grande déesse doit triompher de cet ennemi dont les figurines présentent, significativement, une harmonie colorée inverse de celle des Princesses : corps sombre (recouvert d’écailles) et vêtement clair.

Néanmoins, quel que soit leur statut, ces élégantes figurines attestent de l’importance de la femme dans les sociétés d’Asie centrale.

Mots-clés

Sylvie Cuni-Gramont

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/princesse-de-bactriane

Publié le 01/07/2024

Ressources

Notice de l'oeuvre sur le site web du musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010147671

Étude de Pierre Amiet "Princesses de Bactriane ou Gracieuses mères trans-élamites ?"

https://www.cairn.info/revue-d-assyriologie-2010-1-page-3.htm

Glossaire

Kaunakès : Jupe à longues mèches imitant les poils d’animaux caractéristique de la Mésopotamie.

Mésopotamie : « Le pays entre les fleuves ». Nom donné par les Grecs dans l’Antiquité à la plaine située entre le Tigre et l’Euphrate. Cette région correspond à l’Irak et à une partie de la Syrie actuels.

Calcite : Terme général pour désigner du calcaire fin, du marbre ou de l’albâtre.

Serpentine : Pierre fine vert foncé, dont l’aspect écailleux rappelle la peau d’un serpent.

Chlorite : Pierre tendre verdâtre

Stéatite : Roche blanche, grise ou verte.

Crinoline : Large jupon reposant sur de grands cercles d’acier afin de donner une ampleur extraordinaire à la robe, à la mode sous le Second Empire.

Sceau-cylindre : Cachet cylindrique gravé de petits dessins, très utilisé en Mésopotamie durant l’Antiquité.