Vierge à l'Enfant dite de Jeanne d’Évreux

Vierge à l'Enfant dite de Jeanne d’Évreux

Folio 15 recto-16 verso. Le Baiser de Judas - L'Annonciation

Auteur

Dimensions

H. : 68 cm ; Poids : 10 kg

Provenance

Trésor de l'abbaye de Saint-Denis

Technique

Orfèvrerie, Émaillerie, Émail translucide sur basse-taille, Fonte à la cire perdue

Matériaux

Pierre précieuse, Vermeil, Perle

Datation

1324 - 1339

Lieu de conservation

France, Paris, musée du Louvre

Comment un objet d’art religieux peut-il devenir un chef-d’œuvre de la sculpture ?

Cette statuette image principale en vermeil de 68 cm de hauteur représente la Vierge Marie portant l’Enfant Jésus. Elle a été offerte par Jeanne d’Évreux, reine de France et de Navarre et veuve de Charles IV, à l’abbaye de Saint-Denis. La donation est faite en contrepartie de célébrations de messes et de prières en mémoire de son défunt époux.

Le culte marial et le culte des reliques

Le culte pour la Vierge Marie n’est pas nouveau. Il se développe particulièrement à partir du concile d’Éphèse, en 431, au cours duquel la Vierge est reconnue mère de Dieu. La Vierge devient indissociable du Christ, fils de Dieu. Elle est reine du ciel. Au XIIIe siècle, les représentations de Vierge à l’Enfant se multiplient, d’autant que, depuis cette époque, le mois de mai est consacré à Marie. Le culte des reliques se développe considérablement lors des croisades, les Européens voulant rapporter de leur présence en Terre Sainte des signes religieux en relation avec la Vierge, le Christ ou les saints. Ils découvrent à Bethléem une grotte aux parois très blanches. La Vierge s’y serait cachée avec l’Enfant avant la fuite en Égypte pour échapper aux persécutions d’Hérode. Au cours de l’allaitement, des gouttes de lait seraient tombées sur le sol de la cavité et en auraient blanchi les parois. Les croyantes utilisaient ce calcaire car il aurait favorisé la lactation une fois mélangé à l’eau, d’où le nom de lait de la Vierge. Les croisés le ramènent sous forme de petits pains. Il devient relique, non du lait de la Vierge, mais de la grotte dite du Lait de la Vierge. Certaines églises en conservent toujours dans leur trésor aujourd’hui.

Une statuette reliquaire

La statuette montre la Vierge tenant dans sa main droite un reliquaire amovible en forme de fleur de lys d’or image b. Chaque pétale, fermé par des plaques de cristal de roche, contenait une relique : vêtement, cheveux et lait de la Vierge. Le pétale central est surmonté de trois perles entourant un grenat. Deux pistils d’or se terminent par une perle en verre bleu qui a remplacé le rubis d’autrefois. Les deux pierres précieuses qui pendaient à l’extrémité des pétales latéraux ont disparu. Une inscription est lisible à l’arrière du pétale central, en lien avec la relique qu’elle contient. La Vierge est vêtue d’une longue robe tombant jusqu’au sol, soulignant sa silhouette, et d’un manteau plus court, arrivant aux genoux. Elle porte également sur ses cheveux ondulés un voile qui descend jusqu’à la taille. Les vêtements animent la silhouette hanchée de la Vierge. Sur le devant, de nombreux plis en forme de cornets renversés retombent sur le côté gauche. À l’arrière, sur le sol, ondule un beau jeu de plis image c. La Vierge esquisse un très léger sourire. Sa position, hanchée vers la gauche, est due au fait qu’elle porte sur son bras gauche l’Enfant Jésus. Elle incline la tête vers lui image d. Celui-ci, cheveux bouclés, tient une pomme dans sa main gauche qui rappelle le péché originel d’Adam et Ève. Il caresse le menton de sa mère tout en la regardant. Il est torse nu et enveloppé dans un linge image d. La couronne de la Vierge, qui était composée de pierres précieuses, et le fermail (broche) image 1 ont disparu.

Un socle somptueusement orné

Chaque coin du socle creux sur lequel se tient la Vierge est porté par un petit lion image e. Aux angles de la plateforme supérieure sont représentés les armes de la reine (France et Évreux) image f. Le socle est orné de quatorze petits panneaux d’émail translucide montrant des scènes de la vie du Christ, de l’Annonciation à la Descente aux limbes. image e image g image h image i. Ils sont enchâssés dans une architecture d’argent doré et séparés par 24 statuettes de prophètes, placées dans des niches encadrées d’un décor de feuilles en relief et soudées. Une inscription concernant le don de la reine et la date de celui-ci (1339) court sur trois côtés du socle image e image g image h.

Un florilège de savoir-faire

La statuette est composée de feuilles de métal superposées et repoussées, sans armature intérieure. Seuls ont été fondus les mains, les têtes des personnages et le torse de l’Enfant. Les petites scènes du socle ont été réalisées en émail translucide sur basse-taille. Les figures sont en réserve et rehaussées de traits d’émail coloré pour souligner les plis des vêtements ou les détails des visages. Ces plaques sont recouvertes d’émail bleu décoré de rosaces blanches à cœur rouge en émail opaque. Ces savoir-faire de qualité étaient réservés à un art de cour et royal.

Un type de Vierge très répandu

Ce type de Vierge gracieuse et hanchée, idéal féminin, est caractéristique de la première moitié du XIVe siècle, particulièrement à Paris, et réalisé dans de nombreux matériaux et de taille très variable image 2 image 3 image 4 image 5. La Vierge n’est plus en majesté comme à l’époque romane, assise sur un trône. Elle se révèle plus maternelle, aimante, attentionnée envers son fils, qui a un geste de tendresse pour elle. Ces statues, dont beaucoup ont disparu, ornaient oratoires privés, chapelles d’hôtels particuliers, châteaux et églises. Il est difficile de savoir qui est l’auteur d’une œuvre si aboutie. Nous savons que Jean Pucelle a illustré Les Heures de Jeanne d’Évreux image 6. Il pourrait s’agit d’un orfèvre de son entourage.

Ce témoignage d’un art de cour raffiné est très rare à l’heure actuelle. En effet, beaucoup de ces œuvres ont été fondues en raison de problèmes financiers ou politiques au cours des siècles.

Société des Amis du Louvre Si le Louvre m'était conté… La Vierge de Jeanne d'Évreux

La technique de l’émail transparent de basse-taille

Christine Bourdeaux

Permalien : https://panoramadelart.com/analyse/vierge-lenfant-dite-de-jeanne-devreux

Publié le 02/11/2022

Ressources

La notice de l’œuvre sur le site du musée du Louvre

https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010096615

« Jeanne d’Évreux : ses testaments et leur exécution », un article d’Elizabeth A. R. Brown publié dans la revue Le Moyen Age

https://www.cairn.info/revue-le-moyen-age-2013-1-page-57.htm

La notice des Heures de Jeanne d’Évreux sur le site du Metropolitan Museum of Art (New York)

https://www.metmuseum.org/art/collection/search/470309

Glossaire

Reliquaire : Boîte destinée à contenir une ou plusieurs reliques. Réalisée dans des matériaux divers, elle a une forme plus ou moins élaborée.

Ronde-bosse : Sculpture en trois dimensions, travaillée sur toutes ses faces. Toute statue est une ronde-bosse.

Art gothique : Style qui se développe à partir du milieu du XIIe siècle jusqu’au début du XVIe siècle dans l’Occident chrétien.

Repoussé : Technique de métallurgie qui consiste à obtenir un motif en relief en travaillant une plaque de métal par l’arrière, en le « repoussant » à l’aide d’un poinçon.

Saint-Denis : Abbaye située au nord de Paris, construite à l’emplacement de la sépulture de saint Denis. Lieu habituel de l’inhumation des rois de France depuis l’époque carolingienne.

Orfèvrerie : Art de travailler les métaux précieux.

Émail translucide de basse-taille : Technique d’émaillerie qui consiste à couvrir d’émaux translucides une plaque métallique sur laquelle le sujet choisi a été ciselé et gravé pour former un très bas-relief. Ce travail du métal reste visible par transparence après cuisson. La surface de ces émaux est lisse.